Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux.
Certainement les deux. Mais, contrairement à ce que l’on dit le plus souvent, je vois. Il est possible de voir. Ce n’est pas un super pouvoir qu’un particulier possède, il est donné à tout le monde. La seule chose c’est qu’on ne voit plus l’ordinaire. L’ordinaire c’est les choses habituelles, très courantes qui sont toujours là sous nos yeux. Ce que je vois : le noir. Je ne vois pas dans le noir, tel un chat avec ses yeux qui brillent ou encore des reflets ondulants tels de fantômes qui s’immiscent dans ma tête. Je contemple une totale noirceur qui demande de la compagnie et qui a peur de rester dans le noir, seuel. Je réalise que ce dont on a souvent peur, risque d’être chassé par la lumière. Il est le solitaire qui éveille en nous les hallucinations nocturnes, voyant le diable à tous les coins de rue, lequel il faut conjurer avec un ay fout tonnè ou un alléluia, un chant quelconque pour montrer de quel bois on est chauffé. Dans les moments intimes, cette noirceur qui a d’autres contextes nous fait peur, est conviée pour initier le tantra sexuel. Faire un appel ostentatoire à nos Damballah et jubiler dans un paroxysme éclatement, célébration d’une vêpre que la nuit catalogue dans un spiral sourd, écho du silence des étoiles.
Ce soir, je célèbre le noir de l’espace-temps infini qui donne son sens à la lumière. Elle qui ne peut exister que par la noirceur dont la disparition engendrait le néant. Faut-il la contempler pour la connaitre, la questionner ou la parcourir ? Elle qui envahit l’espace s’abattant sur nos têtes et dans nos cœurs pour sonder les infâmes, impies. Suis-je aussi impure à ce moment où apparaissent mes doutes, mes peurs ? Je suis au bord d’un gouffre existentiel et je me tiens près de ces falaises par lesquelles j’ai peur de retrouver des histoires sordides cachées dans ma penderie. Je préfère rester là, assise, à la contempler pour arriver à la connaitre. Elle est partout, elle m’appelle, elle me parle. Et dans le silence de mon esprit, soudainement je finis par atteindre la compréhension d’un langage inconnu jusqu’à cet instant.
Comment tu te sens ? dit-elle
Je réalise par cette question que toute angoisse avait disparue et je ne pensais plus à moi, j’étais curieuse.
Calme et sereine, répondis-je
Pourquoi ?
Un scintillement s’exclama en moi, comme si je venais de faire une trouvaille et d’un même ton la parole s’est embrasée par cette vérité que toutes deux nous lançons :
Etre envahit par la noirceur ne signifie pas être dominé par le mal.
C’est alors que j’ai compris, c’est la peur de notre réalité qui nous effraie. Notre manque de courage d’être différente nous empêche de voir qui nous sommes vraiment, notre peur de l’inconnu.
C’est un préjudice de m’associer à la méchanceté dit la noirceur.
N’est-ce pas cela qui fait que l’inconnu effraie tant ? Son total flou qui ne laisse voir aucune ligne à travers le chemin de la vie. Une telle incertitude nous met en apnée, provoque tachycardie, etc.
N’est-il pas aussi plus facile de pointer les autres du doigt !? vois-tu, quand tu éprouves tes émotions se sont tes craintes, tes douleurs, tes doutes...
Que veux-tu dire ?
Quand quelqu’un expérimente les sentiments positifs, il l’associe à lui. En tout cas plus qu’à autrui. Vous dites souvent que vous êtes joyeux, heureux. Vous vivez le bonheur. Du coup ces instants sont capitalisés comme un gain personnel par contre quand c’est négatif vous cherchez toujours un autre sur qui jeter le blâme.
Les gens savent témoigner leur reconnaissance. Je sais reconnaitre quand on me fait du bien.
Certainement ! cependant il implique que cette poussée d’ocytocine soit plus reliée à vous–même, vous la prenez pour acquise. Après tout c’est vous qui vivez le paradis dans vos veines. Quand c’est le malheur vous voulez le rejetez, loin. Vous cherchez à vous en débarrassez et vous avez a cœur ou plutôt en tête celui ou celle qui a été en lien avec votre malheur.
Et je pensai à ce que j’allais répondre depuis tout à l’heure, lorsqu’elle parla des sentiments positifs. Que le bonheur est contagieux. Je réalisai que le malheur aussi. Je commençai à comprendre que le doute qui m’animait à savoir l’inconnu comporte ses pièges était attirant et de plus, l’idée que la noirceur peut bien avoir un côté sombre n’est en fait le premier pas vers la découverte.
Elle de dire : Pourquoi es-tu autant attirée par l’inconnu, cette noirceur qui te fait peur ?
A cette question, je ressentis une illumination jaillir en moi comme pour révéler mystère antédiluvien, déterre sous les décombres de mon être. Et finalement elle lança ces mots comme si c’était le coup de pieux pour provoquer la craquelure faisant jaillir les premières lueurs de la lumière :
Qui es-tu ?
Je répondis alors :
Je suis la pèlerine qui parcours le chemin du voyage intérieur.