9 avril 2032
Je me lève en sursaut. Un horrible cauchemar m'a réveillé. J'étais allongé sur mon lit, ligoté aux chevilles et aux poignets, incapable de hurler. Je descends à la cuisine pour aller boire un verre d'eau, avec toujours cette impression d'être attaché. Je prends mon petit-déjeuner. Comme d'habitude, je sors ensuite prendre l'air, me rends dans mon jardin et remarque une trace sur le mur, une sorte de tige sur la façade avant de la maison, comme une veine transparente. On croirait voir un liquide jaune pâle à l'intérieur. Je l'arrache, n'y prête guère attention.
10 avril 2032
Au matin, avant de démarrer ma voiture, je jette un coup d'œil par hasard, près de la porte du garage, à l'emplacement où se trouvait la trace, et constate avec stupéfaction que la petite veine d'hier a pratiquement recouvert toute la façade de la maison. Je sors de ma voiture et examine les maisons voisines. Toutes sont recouvertes d'une mousse verdâtre composée de milliers de lianes entrelacées les unes ou autres, certaines épaisses, d'autres filandreuses, qui envahissent les portes, les fenêtres, empêchent les habitants de sortir ou de rentrer et vont même jusqu'à fissurer les murs. Celle de mon voisin est déjà en piteux état, sur le point de s'effondrer. Je l'aperçois d'ailleurs dans son potager, totalement paniqué, désemparé. J'essaie de le calmer.
– Comment veux-tu que je me calme ? me répond-il. Regarde, même ta maison est en train d'être détruite par les lianes !
Il n'a pas tort. Je préfère ne pas répondre et appelle ma sœur qui vit à New-York. Chez elle aussi, les mêmes végétaux attaquent les maisons, les immeubles, recouvrent les routes, les trottoirs, les voitures, chaque petite parcelle de goudron. Elle a dû fuir à la campagne, chez une amie.
Je me fraie un chemin pour rentrer chez moi, car les lianes poussent de plus en plus vite. Je me connecte aux réseaux, lis les nouvelles sur Libération : partout dans le monde c'est la même chose, la nature se révolte, envahit les métropoles et reprend ses droits. Non loin de chez moi, à moins d'une dizaine de kilomètres, la forêt qui surplombe la ville s'est rapprochée, pas de beaucoup mais quand même. Il est maintenant 21 heures. Je suis épuisé, totalement effrayé.
11 avril 2032
Encore ce cauchemar : je suis ligoté à mon lit ; de la mousse a poussée dans ma bouche ; mes orteils, mes doigts ont noirci et se sont allongés, épaissis pour se changer en racines ; au plafond, la lueur de ma lampe de chevet reflétait une lumière vert foncé où l'on distinguait l'ombre d'une plante menaçante.
A mon réveil, il fait encore nuit. J'essaie d'allumer la lumière mais rien, plus d'électricité. Je mets la main sur une lampe torche et vais chercher des bougies, puis me dirige vers la fenêtre du salon pour aller ouvrir les volets mais une résistance m'en empêche. Je ne peux plus sortir. Je pousse les volets, tape comme un dingue. J'essaie de les briser mais n'y arrive pas. Alors que j'attrape le combiné pour téléphoner à un ami, je me rappelle qu'il n'y a plus de courant, que les lianes ont probablement grimpé le long des poteaux électriques et pour couronner le tout, mon portable n'a plus de batterie.
Je suis désespéré. Comment vais-je sortir de là ?
Je prends un couteau de boucher et commence à tailler les lianes dans la petite ouverture que j'ai réussie à obtenir en forçant les volets. Ce dur travail m'a pris une heure.
Je revois enfin la lumière du jour, cette lumière rose tendre de l'aurore. Que ce soleil me fait du bien ! Sentir sa chaleur sur mon visage, revoir la couleur du ciel me requinque.
Je quitte ma maison en passant par la fenêtre. Chez mon voisin, seulement une ou deux lumières allumées, mais partout ailleurs : rien, ni lumière ni mouvement particulier. J'ai peur. Je frappe à la porte de mon voisin. Aucune réponse. J'arrache les lianes à m'en faire saigner les mains. J'ai réussi à créer une brèche que j'étire et dans laquelle je peux me glisser pour entrer dans la maison. J'appelle, je hurle. Je me précipite vers la cuisine mais manque de me fouler la cheville en me prenant les pieds dans le tapis du salon. Je hurle son prénom à tue-tête. Je monte à l'étage, passe dans toutes les chambres et finis par trouver la sienne : papier-peint totalement démodé, vert et bleu, une vieille fenêtre avec un rideau tricoté à la main. Son lit est là, éventré, comme la pièce, par un arbre gigantesque, avec sur le plancher défoncé des morceaux d'habit, sur une branche un bout de t-shirt, sur une autre un morceau de gilet et aux racines les chaussons de mon voisin. Je sors de la maison en courant, j'appelle à l'aide. Mais rien, le silence, ou plutôt les craquements terribles du bois. Au centre de chaque maison, trônant tel un totem silencieux après un sacrifice, trône un arbre, parfois jeune et frêle mais aussi puissant et majestueux.
Je retourne chez moi. Je tente de rassembler mes esprits. J'essaie de manger un morceau mais n'arrive pas à l'avaler. Ma gorge est comme nouée. Je monte dans ma chambre. Mes muscles se contractent. Tant bien que mal, je réussis à monter l'escalier. Je suis terrorisé. Une intense fatigue me saisit. Je me glisse sous la couette. Au-dessus de moi, le plafond se trouble. Je ferme les yeux, somnole doucement, puis m'endors.
12 avril 2032
Plus aucun cauchemar... ma nuit a été paisible. Je me sens reposé mais suis incapable de me lever. Mes jambes sont lourdes, paralysées, mes bras durs et rigides comme des branches. Je ne lutte pas, et me rendors.