Quand Skyrock a lancé ce concours de jeunes talents, je n’imaginais pas aller aussi loin. J’y suis allée comme on entre sur un ring, combative et déterminée. Un à un, j’ai achevé mes adversaires. J’ai bien failli y rester en demi, où la victoire s’est jouée à une punchline près. Lorsque les finalistes ont été annoncés, Karim, un grand du quartier m’a dit « de toutes façons, t’es une battante toi. Depuis que t’es petite t’as les crocs ». Il voulait me prendre sous son aile pour me protéger des envieux, et il y avait de quoi. À la clé de ce concours, 1000€ et l’enregistrement d’un morceau en studio.
J’avais tout le monde derrière moi. J’étais fière faire de la lumière sur mon petit quartier sans histoire. Mon groupe de filles ne se gênait pas pour me rappeler les enjeux.
« Mélissa t’assumes maintenant, tu nous fous pas la honte hein ! C’est pas juste le quartier que tu représentes, c’est la place des filles dans le rap, oublie pas ! » lançaient-elles en rigolant pour me booster. Au fond, elles avaient raison. J’avais une double crédibilité en jeu. Mais le défi ne me fait pas peur. La victoire sera encore plus grande.
Pour moi, les battles de rap c’est comme des combats de boxe, les punchlines s’enchaînent comme des coups. Certaines peuvent te mettre K.O. Ça me donne toujours l’impression de faire de la haute voltige, sauf que tu te jettes sans filet. La maitrise technique et la répartie, c’est comme monter les mains pour parer. Il faut être vive. Des battles de rap, j’en ai fait et pas qu’un peu. Être une fille a d’abord été un frein à ma crédibilité, mais à force de victoires, je me suis taillée une réputation de kickeuse redoutable. Aujourd’hui, je n’ai plus rien à prouver aux gars de mon quartier. En battle à l’extérieur, certains disent d’emblée « Ah mais moi j’me bats pas contre une fille, c’est mort ». Je sais que mon apparence féminine déstabilise. Avec le temps, je me suis rendu compte que ça ne servait à rien de brider ma féminité pour en imposer. Au contraire, c’est mon atout principal. Ils partent tout confiant en pensant avoir le dessus. Ils déchantent très vite.
La finale avait attiré des centaines de personnes. En voyant la foule, la pression monta d’un cran. Mon quartier était venu me soutenir. Ils étaient bouillants et leur présence me donnait le courage suffisant pour éloigner le doute. Je gardais en tête ce que ma meilleure pote Leila m’avait dit la veille « Meuf, pense à ta daronne. Si tu gagnes et qu’après tu pètes les scores, tu la sors de la galère. »
La hargne en moi redoubla en pensant à ma mère qui nous avait élevés seule moi et mon frère. Elle avait tout sacrifié pour nous. Cette finale, c’était pour elle.
Mon nom est appelé. Gonflée à bloc, je fis mon entrée sous les cris déchainés de mes amis. Leur ferveur me touchait. Sur la scène, je fis face à mon adversaire. On s’évalua rapidement du regard. C’était un gars un peu plus âgé que moi. Il était assez grand, cure-dent dans la bouche qui affichait un sourire en coin. Son parfum sentait d’ici. J’allais me faire un plaisir de le lui faire remarquer au détour d’une punchline piquante.
« Bienvenue à la finale du concourt Jeunes Talents de Skyrock. On va demander aux participants de se présenter avant de commencer la battle. Honneur aux filles j’ai envie de dire ». Quelques rires provenant des supporters adverses se firent entendre. Je l’avais vu venir.
« Moi c’est Mel, je représente le quartier des Pins dans le 78 ». Mes supporters firent du bruit pour m’encourager et marquer leur présence. Mon adversaire s’avança.
« Pour ceux qui me connaissent pas, moi c’est Notch. J’représente le C-O-R clan et la cité des Lys dans le 91 ». Son annonce fut accueillie par des cris d’encouragement. Quelle arrogance.
Les présentateurs énoncèrent les règles. Trois rounds de six minutes chacun où, à tour de rôle, on aura trois minutes pour s’élancer a capella et lâcher notre freestyle.
Le premier round se déroula comme une mise en jambes. On établit tous deux notre niveau et l’audience prit connaissance du style de chacun. Notch ouvrit la battle en envoyant des punchlines travaillées avec un humour provocateur. Je ne me laissais pas impressionner. J’étais attentive à chaque phrase. J’observais afin de savoir exactement où appuyer pour faire mal. Ça me permit d’envoyer quelques coups moqueurs qui parurent le piquer. Les punchlines firent réagir le public d’où je pouvais distinguer les encouragements de mes amis. Je repris en impro en faisant en sorte que mes placements soient précis. Sentant l’inspiration manquer, j’essayai de repartir sur un freestyle, mais je ratai ma transition. Notch en profita pour rebondir et répondit à mes attaques précédentes sur un ton amère et clôtura ce round.
Au deuxième round, la cadence haussa d’un cran. Cette fois-ci, j’attaquai la première. Le public était réceptif alors j’en profitai pour interagir avec lui et fis un big-up à mon quartier qui surenchérit. Notch, intervint et administra des punchlines percutantes. De chaque côté, les combinaisons aux multi-syllabiques étaient méthodiquement envoyées. Les plus puissantes provoquaient les réactions les plus fortes. Notch rentra dans une phase égo trip, sa confiance gonflant avec les cris des supporters. Il était insolent, le public adorait ça. À la première occasion, je démontai l’excès de confiance de Notch grâce à des punchs efficaces venant piquer son égo. La susceptibilité de mon adversaire était une arme précieuse, je m’appliquais donc à l’attaquer sous tous ses angles. La fin du deuxième round sonna. Une lumière noire brillait dans les yeux de Notch qui affichait un rictus.
Dernier round. Notch entama un freestyle frontal bien exécuté. Au premier bafouillage, je l’interrompis avec un pic et enchainai avec un couplet technique qui s’attaquait à sa crédibilité. L’échange était serré. On se renvoyait les insultes. Les punchs étaient interceptées et brisées par une punch encore plus violente. Notch, piqué, prit le dessus. Son débit et le volume de voix montèrent en puissance. Il se déchaina, reprenant à peine son souffle, porté par ses supporters. Son débit était ininterrompu, ses punchlines incisives et violentes, chacune appuyée avec ferveur par le public. La fin du round allait bientôt sonner. Je voulais le stopper net, mais il faisait tout pour me donner aucune marge de manœuvre et clore la battle. Le public surenchérissait à chaque insulte. Notch saisit alors les derrières secondes pour m’envoyer au tapis avec une punchline obscène.
Time ! Le dernier round s’acheva.
J’étais dégoutée. Je n’avais pas prévu ce cas de figure où il pouvait terminer sur cette note sans que je puisse y répondre. J’espérais simplement que le jury tiendrait compte de la banalité de ses propos.
Après de longues minutes de délibération, le jury revint avec le verdict. Mon ventre se noua.
« Ça a été très, très serré. On avait deux MCs très chauds ce soir avec des flows très incisifs. Le niveau était clairement celui attendu pour une finale, mais il a fallu départager. Alors sans plus attendre, le gagnant du concours Skyrock Jeunes Talents est...
...
Notch ! »
Explosion de cris enragés dans la salle. La déception fit l’effet d’un crochet en plein ventre.
J’étais amère. Mon regard croisa celui de mes amis, tout aussi déçus que moi. La lumière sur mon quartier s’éteignit pour eux aussi. Ma performance n’avait pas été suffisante pour inverser les stéréotypes. S’envola avec le reste, l’espoir d’adoucir le quotidien de ma mère.
L’euphorie qui régnait au quartier avait disparue. Depuis la battle, un numéro m’appelait régulièrement. Je l’ignorais, jusqu’au jour où j’écoutai le message laissé sur messagerie.
« Salut Mel. Je suis Max de chez Universal Music France. On t’a repéré au concours Jeunes Talent de Skyrock il y a quelques semaines et on a été super impressionné par ta performance. On aimerait beaucoup bosser avec toi sur un projet de mixtape. Rappelle-moi sur ce numéro pour qu’on organise un rendez-vous ».
L'espoir ressurgit.
J’avais tout le monde derrière moi. J’étais fière faire de la lumière sur mon petit quartier sans histoire. Mon groupe de filles ne se gênait pas pour me rappeler les enjeux.
« Mélissa t’assumes maintenant, tu nous fous pas la honte hein ! C’est pas juste le quartier que tu représentes, c’est la place des filles dans le rap, oublie pas ! » lançaient-elles en rigolant pour me booster. Au fond, elles avaient raison. J’avais une double crédibilité en jeu. Mais le défi ne me fait pas peur. La victoire sera encore plus grande.
Pour moi, les battles de rap c’est comme des combats de boxe, les punchlines s’enchaînent comme des coups. Certaines peuvent te mettre K.O. Ça me donne toujours l’impression de faire de la haute voltige, sauf que tu te jettes sans filet. La maitrise technique et la répartie, c’est comme monter les mains pour parer. Il faut être vive. Des battles de rap, j’en ai fait et pas qu’un peu. Être une fille a d’abord été un frein à ma crédibilité, mais à force de victoires, je me suis taillée une réputation de kickeuse redoutable. Aujourd’hui, je n’ai plus rien à prouver aux gars de mon quartier. En battle à l’extérieur, certains disent d’emblée « Ah mais moi j’me bats pas contre une fille, c’est mort ». Je sais que mon apparence féminine déstabilise. Avec le temps, je me suis rendu compte que ça ne servait à rien de brider ma féminité pour en imposer. Au contraire, c’est mon atout principal. Ils partent tout confiant en pensant avoir le dessus. Ils déchantent très vite.
La finale avait attiré des centaines de personnes. En voyant la foule, la pression monta d’un cran. Mon quartier était venu me soutenir. Ils étaient bouillants et leur présence me donnait le courage suffisant pour éloigner le doute. Je gardais en tête ce que ma meilleure pote Leila m’avait dit la veille « Meuf, pense à ta daronne. Si tu gagnes et qu’après tu pètes les scores, tu la sors de la galère. »
La hargne en moi redoubla en pensant à ma mère qui nous avait élevés seule moi et mon frère. Elle avait tout sacrifié pour nous. Cette finale, c’était pour elle.
Mon nom est appelé. Gonflée à bloc, je fis mon entrée sous les cris déchainés de mes amis. Leur ferveur me touchait. Sur la scène, je fis face à mon adversaire. On s’évalua rapidement du regard. C’était un gars un peu plus âgé que moi. Il était assez grand, cure-dent dans la bouche qui affichait un sourire en coin. Son parfum sentait d’ici. J’allais me faire un plaisir de le lui faire remarquer au détour d’une punchline piquante.
« Bienvenue à la finale du concourt Jeunes Talents de Skyrock. On va demander aux participants de se présenter avant de commencer la battle. Honneur aux filles j’ai envie de dire ». Quelques rires provenant des supporters adverses se firent entendre. Je l’avais vu venir.
« Moi c’est Mel, je représente le quartier des Pins dans le 78 ». Mes supporters firent du bruit pour m’encourager et marquer leur présence. Mon adversaire s’avança.
« Pour ceux qui me connaissent pas, moi c’est Notch. J’représente le C-O-R clan et la cité des Lys dans le 91 ». Son annonce fut accueillie par des cris d’encouragement. Quelle arrogance.
Les présentateurs énoncèrent les règles. Trois rounds de six minutes chacun où, à tour de rôle, on aura trois minutes pour s’élancer a capella et lâcher notre freestyle.
Le premier round se déroula comme une mise en jambes. On établit tous deux notre niveau et l’audience prit connaissance du style de chacun. Notch ouvrit la battle en envoyant des punchlines travaillées avec un humour provocateur. Je ne me laissais pas impressionner. J’étais attentive à chaque phrase. J’observais afin de savoir exactement où appuyer pour faire mal. Ça me permit d’envoyer quelques coups moqueurs qui parurent le piquer. Les punchlines firent réagir le public d’où je pouvais distinguer les encouragements de mes amis. Je repris en impro en faisant en sorte que mes placements soient précis. Sentant l’inspiration manquer, j’essayai de repartir sur un freestyle, mais je ratai ma transition. Notch en profita pour rebondir et répondit à mes attaques précédentes sur un ton amère et clôtura ce round.
Au deuxième round, la cadence haussa d’un cran. Cette fois-ci, j’attaquai la première. Le public était réceptif alors j’en profitai pour interagir avec lui et fis un big-up à mon quartier qui surenchérit. Notch, intervint et administra des punchlines percutantes. De chaque côté, les combinaisons aux multi-syllabiques étaient méthodiquement envoyées. Les plus puissantes provoquaient les réactions les plus fortes. Notch rentra dans une phase égo trip, sa confiance gonflant avec les cris des supporters. Il était insolent, le public adorait ça. À la première occasion, je démontai l’excès de confiance de Notch grâce à des punchs efficaces venant piquer son égo. La susceptibilité de mon adversaire était une arme précieuse, je m’appliquais donc à l’attaquer sous tous ses angles. La fin du deuxième round sonna. Une lumière noire brillait dans les yeux de Notch qui affichait un rictus.
Dernier round. Notch entama un freestyle frontal bien exécuté. Au premier bafouillage, je l’interrompis avec un pic et enchainai avec un couplet technique qui s’attaquait à sa crédibilité. L’échange était serré. On se renvoyait les insultes. Les punchs étaient interceptées et brisées par une punch encore plus violente. Notch, piqué, prit le dessus. Son débit et le volume de voix montèrent en puissance. Il se déchaina, reprenant à peine son souffle, porté par ses supporters. Son débit était ininterrompu, ses punchlines incisives et violentes, chacune appuyée avec ferveur par le public. La fin du round allait bientôt sonner. Je voulais le stopper net, mais il faisait tout pour me donner aucune marge de manœuvre et clore la battle. Le public surenchérissait à chaque insulte. Notch saisit alors les derrières secondes pour m’envoyer au tapis avec une punchline obscène.
Time ! Le dernier round s’acheva.
J’étais dégoutée. Je n’avais pas prévu ce cas de figure où il pouvait terminer sur cette note sans que je puisse y répondre. J’espérais simplement que le jury tiendrait compte de la banalité de ses propos.
Après de longues minutes de délibération, le jury revint avec le verdict. Mon ventre se noua.
« Ça a été très, très serré. On avait deux MCs très chauds ce soir avec des flows très incisifs. Le niveau était clairement celui attendu pour une finale, mais il a fallu départager. Alors sans plus attendre, le gagnant du concours Skyrock Jeunes Talents est...
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Notch ! »
Explosion de cris enragés dans la salle. La déception fit l’effet d’un crochet en plein ventre.
J’étais amère. Mon regard croisa celui de mes amis, tout aussi déçus que moi. La lumière sur mon quartier s’éteignit pour eux aussi. Ma performance n’avait pas été suffisante pour inverser les stéréotypes. S’envola avec le reste, l’espoir d’adoucir le quotidien de ma mère.
L’euphorie qui régnait au quartier avait disparue. Depuis la battle, un numéro m’appelait régulièrement. Je l’ignorais, jusqu’au jour où j’écoutai le message laissé sur messagerie.
« Salut Mel. Je suis Max de chez Universal Music France. On t’a repéré au concours Jeunes Talent de Skyrock il y a quelques semaines et on a été super impressionné par ta performance. On aimerait beaucoup bosser avec toi sur un projet de mixtape. Rappelle-moi sur ce numéro pour qu’on organise un rendez-vous ».
L'espoir ressurgit.