« Papa, regarde ! J'ai trouvé une pièce de cinquante centimes, génial ! », se réjouit Bruno du haut de ses huit printemps.
Tous les regards des hommes présents au bord du terrain se tournent vers le dit papa, certains compatissants, amusés, d'autres moqueurs, d'autres encore choqués, atterrés, scandalisés. Des épaules se lèvent, des soupirs se font entendre, on subodore même quelques mots déplacés, oh pas bien méchants, mais tout de même audibles.
Papa, pour toute réponse, se contente de suivre la philosophie des trois singes. Il n'a d'yeux que pour son poussin jaune au milieu de dix autres poussins de la même couleur et onze poussins verts. Cela donne vingt et un poussins qui courent après un ballon et presque autant de papas coqs répartis tout autour du terrain. Quant à Bruno, il fouille, picore, explore, scrute l'herbe à la recherche de trésors perdus, c'est bien plus intéressant.
La pièce de cinquante centimes rejoint dans la poche du short une bille, un calot pour être précis, une carte de Pokémon humide et un bouton de jeans doré.
L'arbitre siffle la mi-temps.
L'entraîneur des jaunes, visiblement ennuyé, s'approche de papa, le prend à part, lui parle comme s'il lui formulait des sincères condoléances. Papa, les lèvres pincées, la tête basse, s'excuse - Il n'y a pas de quoi - il comprend, il est d'accord. L'entraîneur le remercie, lui serre chaleureusement les mains puis s'éloigne vers les vestiaires. Papa appelle Bruno.
« Allez, on rentre.
- Déjà ? Mais le match n'est pas fini.
- C'est pas grave.
- Mais papa, il y a encore plein de trucs cool à trouver dans l'herbe.
- Tu sais que ce n'est pas le but quand tu joues au foot.
- Oui mais les autres ils ne passent pas la balle de toute façon alors j'ai trouvé ça comme occupation. J'aime bien. »
Papa ébouriffe avec affection les cheveux de son fils, pose sa main sur son épaule et se dirige vers la voiture garée non loin, derrière les buts.
- Allez, on y va mon vilain petit canard.
- Si c'est pas malheureux... Quel abruti ce gosse... Je n'aimerais pas être à sa place... Moi ça me fait pitié... Si c'était mon fils, un bon coup de pied au cul... »
Tous ces mots doux arrivent aux oreilles de papa qui fait mine de ne pas les entendre jusqu'à : « Fils de pédé ».
Papa se retourne brusquement vers l'homme qui s'est permis cette insulte, un grand costaud bien planté sur ses deux jambes arquées, une crête gominée en guise de coiffure, le maillot de l'équipe de France moulé sur un torse bombé, la testostérone suintante.
« Pardon ? demande papa.
- Pédé et sourd, s'esclaffe le bodybuildé.
Un grand silence gêné s'installe parmi les pères des poussins. Le papa de Bruno ne quitte pas des yeux le provocateur qui en rajoute une couche :
- Ben quoi, tu veux ma photo en plus ?
- Euh... interrompt l'un des papas coqs, tu sais à qui tu t'adresses là ?
- Ben oui, à un pédé sourd et sans couilles en plus.
- Je ne dirai pas ça à ta place. Tu ne l'as pas reconnu ?
- Je devrais ?
- Chaminade, arrière latéral gauche de Monaco puis du Bayern, vingt-quatre sélections en équipe nationale...
- Chaminade ?... Celui qui a du arrêter sa carrière à cause du double fracture du tibia ?
- Celui-là même.
L'expression du culturiste sur vitaminé change du tout au tout. Il se tourne alors vers le papa illustre qui n'a pas cessé une seconde de le fixer du regard :
- Pardon, je suis désolé, je ne vous avais pas reconnu...
Le papa ne répond pas.
- Je... euh... Je ne pensais pas ce que je disais...
- Et vous disiez quoi ? Ah oui que mon fils était un fils de pédé.
- C'était juste une façon de parler, se dégonfle l'homme de plus en plus mal à l'aise.
- Mais non, je vous assure, c'est effectivement un fils de pédé.
- Non mais attendez, vous ne pouvez pas dire ça, quand même ! s'entend-il dire, choqué.
Tout le monde retient son souffle, on ne comprend pas très bien ce qui est en train de se passer.
- Mais oui, je peux dire ça car, figurez-vous, je suis bel et bien homosexuel – je préfère ce mot à pédé que je trouve un tantinet péjoratif - et mon mari et moi avons un fils que voici, je vous présente Bruno.
L'adepte de la gonflette en reste sans voix, tout comme le reste de l'assemblée.
- Je vous rassure, enchérit le papa dans un demi-sourire, ce n'est pas contagieux.
Il prend son fils par la main :
- Tu viens Bruno ? Ce n'est pas grave si tu n'aimes pas le foot, il y a plein d'autres sports que tu pourras faire.
- Je pourrai essayer le twirling bâton ?
- Le twirling bâton ? Mais oui, bien sûr. »
Chaminade et son fils s'éloignent sous les regards stupéfaits des autres papas.
L'entraîneur revient des vestiaires avec ses poussins jaunes, prêts à en découdre avec les verts. Il est surpris de ne voir aucune réaction chez les papas présents, surtout de la part de l'olibrius totalement éteint pour le coup.
« Qu'est-ce qui se passe ? demande-t-il à la ronde.
- Tu le savais toi que Chaminade était homosexuel ? répond un des papas.
- Ah ça y est, vous êtes au courant maintenant ? Oui, je le savais et alors ?
- Non, rien...
- Très bien.
Il tourne le dos aux papas coqs un peu déplumés pour le coup et s'adresse à ses petits joueurs :
- Allez, on y va et rappelez-vous : que vous gagniez ou que vous perdiez, que vous jouiez bien ou moins bien, le plus important c'est de prendre du plaisir et de respecter vos camarades, vos équipiers comme vos adversaires. Allez, en place, c'est à vous l'engagement. »
Tous les regards des hommes présents au bord du terrain se tournent vers le dit papa, certains compatissants, amusés, d'autres moqueurs, d'autres encore choqués, atterrés, scandalisés. Des épaules se lèvent, des soupirs se font entendre, on subodore même quelques mots déplacés, oh pas bien méchants, mais tout de même audibles.
Papa, pour toute réponse, se contente de suivre la philosophie des trois singes. Il n'a d'yeux que pour son poussin jaune au milieu de dix autres poussins de la même couleur et onze poussins verts. Cela donne vingt et un poussins qui courent après un ballon et presque autant de papas coqs répartis tout autour du terrain. Quant à Bruno, il fouille, picore, explore, scrute l'herbe à la recherche de trésors perdus, c'est bien plus intéressant.
La pièce de cinquante centimes rejoint dans la poche du short une bille, un calot pour être précis, une carte de Pokémon humide et un bouton de jeans doré.
L'arbitre siffle la mi-temps.
L'entraîneur des jaunes, visiblement ennuyé, s'approche de papa, le prend à part, lui parle comme s'il lui formulait des sincères condoléances. Papa, les lèvres pincées, la tête basse, s'excuse - Il n'y a pas de quoi - il comprend, il est d'accord. L'entraîneur le remercie, lui serre chaleureusement les mains puis s'éloigne vers les vestiaires. Papa appelle Bruno.
« Allez, on rentre.
- Déjà ? Mais le match n'est pas fini.
- C'est pas grave.
- Mais papa, il y a encore plein de trucs cool à trouver dans l'herbe.
- Tu sais que ce n'est pas le but quand tu joues au foot.
- Oui mais les autres ils ne passent pas la balle de toute façon alors j'ai trouvé ça comme occupation. J'aime bien. »
Papa ébouriffe avec affection les cheveux de son fils, pose sa main sur son épaule et se dirige vers la voiture garée non loin, derrière les buts.
- Allez, on y va mon vilain petit canard.
- Si c'est pas malheureux... Quel abruti ce gosse... Je n'aimerais pas être à sa place... Moi ça me fait pitié... Si c'était mon fils, un bon coup de pied au cul... »
Tous ces mots doux arrivent aux oreilles de papa qui fait mine de ne pas les entendre jusqu'à : « Fils de pédé ».
Papa se retourne brusquement vers l'homme qui s'est permis cette insulte, un grand costaud bien planté sur ses deux jambes arquées, une crête gominée en guise de coiffure, le maillot de l'équipe de France moulé sur un torse bombé, la testostérone suintante.
« Pardon ? demande papa.
- Pédé et sourd, s'esclaffe le bodybuildé.
Un grand silence gêné s'installe parmi les pères des poussins. Le papa de Bruno ne quitte pas des yeux le provocateur qui en rajoute une couche :
- Ben quoi, tu veux ma photo en plus ?
- Euh... interrompt l'un des papas coqs, tu sais à qui tu t'adresses là ?
- Ben oui, à un pédé sourd et sans couilles en plus.
- Je ne dirai pas ça à ta place. Tu ne l'as pas reconnu ?
- Je devrais ?
- Chaminade, arrière latéral gauche de Monaco puis du Bayern, vingt-quatre sélections en équipe nationale...
- Chaminade ?... Celui qui a du arrêter sa carrière à cause du double fracture du tibia ?
- Celui-là même.
L'expression du culturiste sur vitaminé change du tout au tout. Il se tourne alors vers le papa illustre qui n'a pas cessé une seconde de le fixer du regard :
- Pardon, je suis désolé, je ne vous avais pas reconnu...
Le papa ne répond pas.
- Je... euh... Je ne pensais pas ce que je disais...
- Et vous disiez quoi ? Ah oui que mon fils était un fils de pédé.
- C'était juste une façon de parler, se dégonfle l'homme de plus en plus mal à l'aise.
- Mais non, je vous assure, c'est effectivement un fils de pédé.
- Non mais attendez, vous ne pouvez pas dire ça, quand même ! s'entend-il dire, choqué.
Tout le monde retient son souffle, on ne comprend pas très bien ce qui est en train de se passer.
- Mais oui, je peux dire ça car, figurez-vous, je suis bel et bien homosexuel – je préfère ce mot à pédé que je trouve un tantinet péjoratif - et mon mari et moi avons un fils que voici, je vous présente Bruno.
L'adepte de la gonflette en reste sans voix, tout comme le reste de l'assemblée.
- Je vous rassure, enchérit le papa dans un demi-sourire, ce n'est pas contagieux.
Il prend son fils par la main :
- Tu viens Bruno ? Ce n'est pas grave si tu n'aimes pas le foot, il y a plein d'autres sports que tu pourras faire.
- Je pourrai essayer le twirling bâton ?
- Le twirling bâton ? Mais oui, bien sûr. »
Chaminade et son fils s'éloignent sous les regards stupéfaits des autres papas.
L'entraîneur revient des vestiaires avec ses poussins jaunes, prêts à en découdre avec les verts. Il est surpris de ne voir aucune réaction chez les papas présents, surtout de la part de l'olibrius totalement éteint pour le coup.
« Qu'est-ce qui se passe ? demande-t-il à la ronde.
- Tu le savais toi que Chaminade était homosexuel ? répond un des papas.
- Ah ça y est, vous êtes au courant maintenant ? Oui, je le savais et alors ?
- Non, rien...
- Très bien.
Il tourne le dos aux papas coqs un peu déplumés pour le coup et s'adresse à ses petits joueurs :
- Allez, on y va et rappelez-vous : que vous gagniez ou que vous perdiez, que vous jouiez bien ou moins bien, le plus important c'est de prendre du plaisir et de respecter vos camarades, vos équipiers comme vos adversaires. Allez, en place, c'est à vous l'engagement. »