« Maître ? Vous plaisantez ? Vous pouvez me cogner comme l'ont fait tous les autres, mais je ne vous appellerai jamais maître », me suis-je écriée, debout sur une table, devant le juge et mes autres collègues avocats.
Je les ai regardés droit dans les yeux. Ils avaient peur. Je le savais. Je le sentais. J'étais bien plus forte que je ne l'ai été durant toutes les années précédentes. Pour la première fois, leur respiration se coupait et mes poumons arrivaient enfin à respirer normalement. Mais cette journée allait être synonyme de tout sauf de normal.
« Je vous demande de vous mettre debout, a articulé notre juge. Après avoir pris en considération tous les crimes que vous avez commis depuis des décennies, toutes les personnes, voire toute la population que vous avez tuée, affamée, assoiffée, appauvrie, je déclare au nom de mon peuple qui me suit désormais sur tous les petits écrans que les criminels ici présents seront exécutés dans quelques heures par le peuple libanais lui-même. Mes citoyens, nous vous attendons ! Toutes les techniques de torture seront admises. Et pour finir, je déclare la vengeance ouverte. Ne me décevez pas ! »
Je n'en croyais pas mes oreilles. Ces politiciens qui ont volé à mes parents leur jeunesse, qui les ont maltraités dans leur vieillesse, qui ont chassé mes amis et mon frère et qui, un 4 août, ont tué celui qui donnait sens et goût à mon existence, allaient être châtiés de la façon la plus horrible mais la plus juste qui puisse exister. Bi layle w dahayeha (il était une nuit et ses victimes). Ils m'ont tout pris. Ils m'ont privé de son regard dans lequel j'adorais me noyer, son regard que je cherche dans tous les yeux que je croise. Autour de moi, tout le monde pleurait. Tout le monde criait. Tout le monde voulait prendre sa revanche. Les journalistes ont arrêté de poser des questions débiles comme le « que faites-vous ici » et se sont rangés du côté du peuple. L'armée faisait une barrière autour de nous pour nous protéger de ceux qui veulent sauver leurs « maîtres ». Au loin, j'ai vu les mamans que je connaissais fort bien, portant du blanc pour la premier fois après la mort de leurs enfants, s'avancer vers nous. Elles étaient nombreuses. Très nombreuses. Trop nombreuses. L'une d'entre elles, avant de s'abattre sur celui qui la priva de son enfant, lui dit :
« J'ai attendu ce jour depuis bien des années comme j'ai attendu le retour de mon enfant. Je cache toujours une clé sous le pot de fleurs au-devant de la porte d'entrée. J'ai peur que mon bébé revienne et qu'il ne me trouve pas à la maison. Je lui prépare aussi ses plats préférés, je range son lit qui n'a plus jamais été défait, je prends sa photo dans mes bras pour l'embrasser. J'écoute sa voix dans ses vocaux. Je l'imagine retourner du travail... »
Et elle l'a poignardé.
Un coup
Deux coups
Trois coups
Et puis je n'ai plus compté.
Je tournais en rond sur moi-même. Tous me bousculaient. Me tiraient par mes vêtements. Je ne savais pas par qui commencer. Un camion trainait derrière lui deux de ces criminels. Je me suis jetée sur le premier.
Il a souri
Parce qu'à notre alphabet il manque des lettres et à nos vies des personnes, je l'ai frappé de toutes mes forces jusqu'à ce que son sourire s'efface. J'avais envie de le faire souffrir, je voulais que ses yeux pleurent à la vue de son enfant pendu, c'est pour cela que je ne l'ai pas tué sur le champ. J'ai regardé le ciel et il ne m'avait jamais paru aussi bleu. Les oiseaux gazouillaient à nouveau, le soleil a recommencé à briller, les fleurs à pousser et la tempête à se calmer. Mon pays ne puait plus la mort. Pour la première fois depuis des décennies, je ne ferai pas d'insomnie et je m'endormirai sans somnifères. J'arriverai enfin à sourire à l'endroit...
« Injectez-lui du calmant !», s'écria mon médecin traitant.
Je n'avais pas besoin de calmant, ni d'autre médicament. J'ai juste voulu que la justice prononce son dernier mot, que ceux qui avaient tué toutes ces personnes soient punis. Même s'ils ne seront pas condamnés à la peine de mort, qu'ils soient tout simplement punis. Mais à ce qu'il paraît, mes désirs ne seront jamais réalisés et je resterai ainsi, pendue à un fil entre la survie et la mort, attendant, devant la fenêtre de ma chambre d'hôpital, le retour de celui qui ne reviendra jamais. Pas même dans mes rêves il ne m'a visitée... Mais au fait, qui est revenu après s'être envolé ? Lorsque les ailes poussent, ils ne seront jamais brûlés. Même pas par la chaleur du soleil.
J'ai essayé de m'échapper, de ne pas laisser cette aiguille pénétrer mon corps.
« Laissez-moi partir, je vous en prie, je dois sortir de là. Je dois y aller. Il m'attend. Il m'attend là-bas sous notre grand chêne. Il m'a toujours attendue au même endroit. J'ai quelque chose à lui dire et mon cœur à lui donner. Je dois... je dois aller à... je dois aller à Bey... je dois aller à Beyrouth... c'est là-bas que mon cœur fut enterré il y a de loongues, loooongues années. D'habitude, je suis très ponctuelle mais l'autre soir, je ne suis pas arrivée à l'heure et il ne m'a pas attendue, il est parti sans moi. Il s'est envolé sans moi. Je n'ai pas eu le temps de lui dire adieu et vous savez quoi, il me manque tant. Ana yalle ma khalloune erjaa choufo (ils ne m'ont pas permis de le revoir). Son image se dégrade, sa voix devient inaudible, son sourire s'effrite, la vie me quitte. Je n'ai pas besoin de votre compassion, j'ai juste besoin de lui, je ne veux pas qu'il m'oublie... »
« Augmentez-lui la dose ! »
Il y avait des jours comme celui-là où je n'avais pas envie de rester en vie. De rester dans ma vie. Dans mon monde. Dans notre monde, sans lui. Il y avait des jours comme celui-là où tout ce que je souhaitais, c'était revoir celui qui manque tant à mes demains. Il y avait des jours comme celui-là où j'avais la flemme de vivre, de faire semblant. Et des jours comme celui-là, il n'en manquait pas à ma vie.
J'ai fait couler mes dernières larmes avant de m'écrouler sur le sol, entourées de médecins, d'infirmières et de patients qui n'avaient aucune idée de mon passé mais qui me traitaient de tous les noms qu'ils leur ont appris.
Et on raconte, que cette nuit-là, un cœur a raté quelques battements...
Je les ai regardés droit dans les yeux. Ils avaient peur. Je le savais. Je le sentais. J'étais bien plus forte que je ne l'ai été durant toutes les années précédentes. Pour la première fois, leur respiration se coupait et mes poumons arrivaient enfin à respirer normalement. Mais cette journée allait être synonyme de tout sauf de normal.
« Je vous demande de vous mettre debout, a articulé notre juge. Après avoir pris en considération tous les crimes que vous avez commis depuis des décennies, toutes les personnes, voire toute la population que vous avez tuée, affamée, assoiffée, appauvrie, je déclare au nom de mon peuple qui me suit désormais sur tous les petits écrans que les criminels ici présents seront exécutés dans quelques heures par le peuple libanais lui-même. Mes citoyens, nous vous attendons ! Toutes les techniques de torture seront admises. Et pour finir, je déclare la vengeance ouverte. Ne me décevez pas ! »
Je n'en croyais pas mes oreilles. Ces politiciens qui ont volé à mes parents leur jeunesse, qui les ont maltraités dans leur vieillesse, qui ont chassé mes amis et mon frère et qui, un 4 août, ont tué celui qui donnait sens et goût à mon existence, allaient être châtiés de la façon la plus horrible mais la plus juste qui puisse exister. Bi layle w dahayeha (il était une nuit et ses victimes). Ils m'ont tout pris. Ils m'ont privé de son regard dans lequel j'adorais me noyer, son regard que je cherche dans tous les yeux que je croise. Autour de moi, tout le monde pleurait. Tout le monde criait. Tout le monde voulait prendre sa revanche. Les journalistes ont arrêté de poser des questions débiles comme le « que faites-vous ici » et se sont rangés du côté du peuple. L'armée faisait une barrière autour de nous pour nous protéger de ceux qui veulent sauver leurs « maîtres ». Au loin, j'ai vu les mamans que je connaissais fort bien, portant du blanc pour la premier fois après la mort de leurs enfants, s'avancer vers nous. Elles étaient nombreuses. Très nombreuses. Trop nombreuses. L'une d'entre elles, avant de s'abattre sur celui qui la priva de son enfant, lui dit :
« J'ai attendu ce jour depuis bien des années comme j'ai attendu le retour de mon enfant. Je cache toujours une clé sous le pot de fleurs au-devant de la porte d'entrée. J'ai peur que mon bébé revienne et qu'il ne me trouve pas à la maison. Je lui prépare aussi ses plats préférés, je range son lit qui n'a plus jamais été défait, je prends sa photo dans mes bras pour l'embrasser. J'écoute sa voix dans ses vocaux. Je l'imagine retourner du travail... »
Et elle l'a poignardé.
Un coup
Deux coups
Trois coups
Et puis je n'ai plus compté.
Je tournais en rond sur moi-même. Tous me bousculaient. Me tiraient par mes vêtements. Je ne savais pas par qui commencer. Un camion trainait derrière lui deux de ces criminels. Je me suis jetée sur le premier.
Il a souri
Parce qu'à notre alphabet il manque des lettres et à nos vies des personnes, je l'ai frappé de toutes mes forces jusqu'à ce que son sourire s'efface. J'avais envie de le faire souffrir, je voulais que ses yeux pleurent à la vue de son enfant pendu, c'est pour cela que je ne l'ai pas tué sur le champ. J'ai regardé le ciel et il ne m'avait jamais paru aussi bleu. Les oiseaux gazouillaient à nouveau, le soleil a recommencé à briller, les fleurs à pousser et la tempête à se calmer. Mon pays ne puait plus la mort. Pour la première fois depuis des décennies, je ne ferai pas d'insomnie et je m'endormirai sans somnifères. J'arriverai enfin à sourire à l'endroit...
« Injectez-lui du calmant !», s'écria mon médecin traitant.
Je n'avais pas besoin de calmant, ni d'autre médicament. J'ai juste voulu que la justice prononce son dernier mot, que ceux qui avaient tué toutes ces personnes soient punis. Même s'ils ne seront pas condamnés à la peine de mort, qu'ils soient tout simplement punis. Mais à ce qu'il paraît, mes désirs ne seront jamais réalisés et je resterai ainsi, pendue à un fil entre la survie et la mort, attendant, devant la fenêtre de ma chambre d'hôpital, le retour de celui qui ne reviendra jamais. Pas même dans mes rêves il ne m'a visitée... Mais au fait, qui est revenu après s'être envolé ? Lorsque les ailes poussent, ils ne seront jamais brûlés. Même pas par la chaleur du soleil.
J'ai essayé de m'échapper, de ne pas laisser cette aiguille pénétrer mon corps.
« Laissez-moi partir, je vous en prie, je dois sortir de là. Je dois y aller. Il m'attend. Il m'attend là-bas sous notre grand chêne. Il m'a toujours attendue au même endroit. J'ai quelque chose à lui dire et mon cœur à lui donner. Je dois... je dois aller à... je dois aller à Bey... je dois aller à Beyrouth... c'est là-bas que mon cœur fut enterré il y a de loongues, loooongues années. D'habitude, je suis très ponctuelle mais l'autre soir, je ne suis pas arrivée à l'heure et il ne m'a pas attendue, il est parti sans moi. Il s'est envolé sans moi. Je n'ai pas eu le temps de lui dire adieu et vous savez quoi, il me manque tant. Ana yalle ma khalloune erjaa choufo (ils ne m'ont pas permis de le revoir). Son image se dégrade, sa voix devient inaudible, son sourire s'effrite, la vie me quitte. Je n'ai pas besoin de votre compassion, j'ai juste besoin de lui, je ne veux pas qu'il m'oublie... »
« Augmentez-lui la dose ! »
Il y avait des jours comme celui-là où je n'avais pas envie de rester en vie. De rester dans ma vie. Dans mon monde. Dans notre monde, sans lui. Il y avait des jours comme celui-là où tout ce que je souhaitais, c'était revoir celui qui manque tant à mes demains. Il y avait des jours comme celui-là où j'avais la flemme de vivre, de faire semblant. Et des jours comme celui-là, il n'en manquait pas à ma vie.
J'ai fait couler mes dernières larmes avant de m'écrouler sur le sol, entourées de médecins, d'infirmières et de patients qui n'avaient aucune idée de mon passé mais qui me traitaient de tous les noms qu'ils leur ont appris.
Et on raconte, que cette nuit-là, un cœur a raté quelques battements...