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- Au Boulot !
Il est six heures du mat', Paris s'éveille avec la gueule de bois. C'est son moment, au petit balayeur, il a sauté dans le premier métro. En passant l'tourniquet, il n'a pas oublié de saluer le poinçonneur des Abesses. Dans la rue, tous les néons sont blafards, voilà l'aube crade qui pointe le bout de son nez, timidement, comme un rat d'égout qui furette. À l'entrée, tout transi, fatigué, dans son bel uniforme, c'est le portier, les yeux gris, qui se boit un petit café. Dans le bouge, la salle est vide, il reste une odeur de fumée tenace. Les derniers fêtards sont partis – sauf André, l'apollon des bals pop. Allongé sur le sofa, l'André il ronfle fort, son galurin de travers, enfoncé sur le crâne, il cuve encore son absinthe, cette tisane qui finira par le rendre cinglé.
Sur le parquet, des traces de gomme, ils ont encore bien dansé, les flonflons, les froufrous, les couples enlacés. Les gigolos, les midinettes, leurs bas de soie, habits rouges et cols noirs, leurs mains baladeuses sous les jupons des filles, les regards fripons, les rires surfaits des entraîneuses, des aguicheuses. Sur la scène, dans le coin, traîne l'accordéon du gars Léon. Le gars, il est monté, sur le coup de 4 heures, chez la patronne. Il doit moins faire le fanfaron, à l'heure qu'il est ; elle est grincheuse la daronne, et quand on y monte il faut durer...
Le petit balayeur, lui, il s'en fout de tout ça, sur lui, les belles ne se retournent pas. Tout ce qu'il peut reluquer, ce sont ces traces de pas, sur le parquet abîmé, putain, il va falloir bien astiquer !
Faut dire qu'ils ont bien dansé, tous ces vauriens, leur belle sous le bras, oui, lui il est loin de tout ça. C'est un rêveur, ce balayeur. Ce soir après le turbin, il montera ses sept étages, ça l'éloignera du caniveau. Il sera seul dans sa mansarde et tout Montmartre, là, sous ses yeux, brillera un peu rien que pour lui. De sa fenêtre, il regardera s'enfuir l'ombre du Chat Noir sur les toits.
Parfois il se prend à compter sa petite monnaie. Oui, il aimerait bien l'inviter, la douce Damia, cette petite chanteuse des ruelles qui l'ensorcelle. Il aimerait bien l'emmener là-bas, à la campagne, avant qu'un bel endimanché des beaux quartiers vienne lui faire un brin de causette, pour la charmer, ou bien qu'un hidalgo d'pavé, avec ses beaux souliers vernis, vienne lui conter la sérénade pour l'embobiner et la poser sur les trottoirs d'la rue Mouffetard.
Lui, Damia, il l'emmènera plus loin, ils prendront l'train, ce tortillard du bonheur, destination les bords de Marne, et les guinguettes. Il placera dans son panier un de ces petits vins blancs bien frais. Tous les deux ils s'en iront guincher sous la tonnelle, en habits du dimanche, en saluant les péniches. Pour le moment il est loin de tout ça, et il a intérêt de s'y mettre, la patronne redescend l'escalier. Elle est en haut et pourtant, déjà, il l'entend gueuler : « C'est pas l'moment d'lâcher le balai, je te paye pas encore pour rêver, j'en ai connu des tas d'fainéants qui savent à peine remuer l'manche. Toi mon bossu si tu veux rester, va bien falloir que tu t'y mettes ! Frotter, reluire, bien m'astiquer... ce beau parquet. »
Il s'en fout de tout ça le petit balayeur, car ce dimanche il ira guincher, ils prendront l'train de 33, et ça sera pas du cinéma. Il sait qu'il partira un jour, à Santiago ou à Cuba, Valparaiso, loin de la grisaille mal famée, des marlous du Paris canaille. Il se verrait bien embarquer sur un de ces paquebots de grand luxe, comme balayeur de première classe. Il ira promener ses galons tout neufs sous la statue de la Liberté – ça l'fait rêver un peu plus loin, de s'imaginer. Il en a marre de ce vieux parquet, à quatre pattes toute la journée, pour encaustiquer, en long, en large et en travers. Ces frimeurs, ces gogos, ces danseurs de tango, ceux qui se défient du regard comme coqs en foire, ils pourraient moins, ces traîne-savates, rayer l'parquet ! Il s'en fout ce petit balayeur, et pour la petite histoire, il s'appelait René.
Sur le parquet, des traces de gomme, ils ont encore bien dansé, les flonflons, les froufrous, les couples enlacés. Les gigolos, les midinettes, leurs bas de soie, habits rouges et cols noirs, leurs mains baladeuses sous les jupons des filles, les regards fripons, les rires surfaits des entraîneuses, des aguicheuses. Sur la scène, dans le coin, traîne l'accordéon du gars Léon. Le gars, il est monté, sur le coup de 4 heures, chez la patronne. Il doit moins faire le fanfaron, à l'heure qu'il est ; elle est grincheuse la daronne, et quand on y monte il faut durer...
Le petit balayeur, lui, il s'en fout de tout ça, sur lui, les belles ne se retournent pas. Tout ce qu'il peut reluquer, ce sont ces traces de pas, sur le parquet abîmé, putain, il va falloir bien astiquer !
Faut dire qu'ils ont bien dansé, tous ces vauriens, leur belle sous le bras, oui, lui il est loin de tout ça. C'est un rêveur, ce balayeur. Ce soir après le turbin, il montera ses sept étages, ça l'éloignera du caniveau. Il sera seul dans sa mansarde et tout Montmartre, là, sous ses yeux, brillera un peu rien que pour lui. De sa fenêtre, il regardera s'enfuir l'ombre du Chat Noir sur les toits.
Parfois il se prend à compter sa petite monnaie. Oui, il aimerait bien l'inviter, la douce Damia, cette petite chanteuse des ruelles qui l'ensorcelle. Il aimerait bien l'emmener là-bas, à la campagne, avant qu'un bel endimanché des beaux quartiers vienne lui faire un brin de causette, pour la charmer, ou bien qu'un hidalgo d'pavé, avec ses beaux souliers vernis, vienne lui conter la sérénade pour l'embobiner et la poser sur les trottoirs d'la rue Mouffetard.
Lui, Damia, il l'emmènera plus loin, ils prendront l'train, ce tortillard du bonheur, destination les bords de Marne, et les guinguettes. Il placera dans son panier un de ces petits vins blancs bien frais. Tous les deux ils s'en iront guincher sous la tonnelle, en habits du dimanche, en saluant les péniches. Pour le moment il est loin de tout ça, et il a intérêt de s'y mettre, la patronne redescend l'escalier. Elle est en haut et pourtant, déjà, il l'entend gueuler : « C'est pas l'moment d'lâcher le balai, je te paye pas encore pour rêver, j'en ai connu des tas d'fainéants qui savent à peine remuer l'manche. Toi mon bossu si tu veux rester, va bien falloir que tu t'y mettes ! Frotter, reluire, bien m'astiquer... ce beau parquet. »
Il s'en fout de tout ça le petit balayeur, car ce dimanche il ira guincher, ils prendront l'train de 33, et ça sera pas du cinéma. Il sait qu'il partira un jour, à Santiago ou à Cuba, Valparaiso, loin de la grisaille mal famée, des marlous du Paris canaille. Il se verrait bien embarquer sur un de ces paquebots de grand luxe, comme balayeur de première classe. Il ira promener ses galons tout neufs sous la statue de la Liberté – ça l'fait rêver un peu plus loin, de s'imaginer. Il en a marre de ce vieux parquet, à quatre pattes toute la journée, pour encaustiquer, en long, en large et en travers. Ces frimeurs, ces gogos, ces danseurs de tango, ceux qui se défient du regard comme coqs en foire, ils pourraient moins, ces traîne-savates, rayer l'parquet ! Il s'en fout ce petit balayeur, et pour la petite histoire, il s'appelait René.
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