Le père de Federico

« Jean: J’écris pour changer les gens. La prose : je sème et j’arrose Jean la prose  »

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Maitre ? Vous plaisantez ? Vous pouvez me cogner, comme l'ont fait tous les autres, mais je ne vous appellerai pas maitre. Il faisait référence aux épreuves endurées dans le village de MANJO. Ces paroles mettaient un terme à la conversation qui a eu lieu hier dans le château de NGANDO entre le père Federico et notre très vénéré roi ATOUBEU.
La rencontre, entre le missionnaire blanc et le roi qui se voulait d'abord chaleureuse a très vite revêtu un caractère violent.
Après les salutations cordiales entre l'homme de Dieu et le roi, ils sont entrés au salon des invités où l'échange devait avoir lieu, nous laissant ainsi dans la cour du palais.
Odama monsieur le religieux, disait le roi en langue locale au prêtre en guise de salutation. Oui bonjour sa majesté et comment va votre famille ? répondît le prélat. Avec une voix épaisse traduisant l'assurance et la fierté, ATOUBEU répond en disant, oui ma grande famille va bien. Le village est sécurisé ; la moisson fut très abondante et greniers sont pleins. De plus, treize de mes cent-trente femmes ont mis au monde de valeureux garçons le mois derniers. Et vous comment va votre femme et vos enfants ? baisant la tête en guise de déception, le prêtre expliqua au roi qu'il n'avait pas d'enfant ni de femme, toutefois, qu'il avait une grande famille qui va bien par la grâce de Dieu. Le roi poussa un rire narquois pour se moquer de son invité, vous n'avez pas de femme et vous vous dites homme...ahah haha je me demandais bien pourquoi vous arborez une robe noire, je peux vous offrir une de mes esclaves provisoirement. ATOUBEU n'avait pas compris pourquoi le prêtre n'était pas marié. Il n'avait jamais rencontré de missionnaire jusqu'ici. Le Jésuite resta calme et feignait d'approuver les mots du roi, car il avait eu écho du caractère déshumanisant de ce roi. Après s'être moqué, le roi dit : qui êtes-vous et que chercher dans mon village ? Merci sa majesté, depuis mon ordination presbytérale, on m'appelle Père Federico, je suis un prêtre jésuite et je suis dans votre contrée pour vous apporter la bonne nouvelle de notre seigneur Jésus Christ et vous faire sortir définitivement de ténèbres. Humm !!! comme ça monsieur se fait appeler père, et prétend que moi ATOUBEU le tout puissant roi de NGANDO je vis dans les ténèbres. Je ne vous appellerai jamais ainsi monsieur Fieffé je ne sais plus quoi... cependant, jusqu'à ce que vous quittiez ce village vous allez m'appeler maitre. On voyait bien que le roi était très en colère. Le père se leva, prit sa bible dans sa main et dit : Maitre ? Vous plaisantez ? Vous pouvez me cogner, comme l'ont fait tous les autres, mais je ne vous appellerai pas maitre. Le roi ne dit plus rien, et le père se tourna en direction de la grande porte de sortie sous le regard dévorant du roi.
Nous sommes ensuite rentrés chez papa Talla, le notable où nous logions. Après deux heures de marche à travers le village, nous sommes arrivés. Nous nous sommes baignés au marigot jouxtant la maison. Après le bain, c'était l'heure de la rencontre avec les jeunes chrétiens du village.
Nous avons chanté, dansé et prié tous ensemble. Dans son prêche, père Federico a parlé de la fermeté et la confiance en Dieu. Il a aussi raconté ce qui s'est passé au palais pour exhorter les jeunes à rester fermes dans leurs choix.
Après la bénédiction, le père demanda qu'on lui parle du village. Ornella prit la parole et le remercia d'avoir pour l'occasion qu'elle avait de parler du village, car cela était interdit. Elle dit : « mon père nous vivons un véritable enfer dans ce village. Avant votre arrivée nous ne pouvions même pas nous réunir et parler tous ensemble. Il est formellement interdit de regarder un homme dans les yeux. La polygamie et les violences féminines sont pratiques courantes et encouragées». En fait, dans leur tradition, la grandeur d'un homme se mesure à son nombre de femmes et au degré de soumission de ces dernières. Ces hommes ne ménageaient aucuns efforts pour soumettre leurs épouses, allant parfois jusqu'à l'usage de la chicote. A NGANDO, les femmes étaient moins respectées que les jeunes garçons.
Julio prit ensuite la parole. « Loué soit le Christ Jésus fils de marie et de joseph. nous sommes tous choqués par la marginalisation des femmes dans ce village. Mon père je vais vous parler d'un autre fait ; il s'agit de l'anniversaire du dieu Tumbu. Cette cérémonie à l'occasion de laquelle quatre-vingt-seize filles vierges sont sacrifiées sur la place du marché de NGANDO. Elle me semble être la plus cruelle et la et la plus meurtrière de la Terre... » Après avoir dit cela Julio s'assit.
En attendant cela, le cœur du père fut terriblement rempli de peur. On aurait cru que ce jeune missionnaire français de 28 ans se demandait dans quel monde il s'était retrouvé. Toutefois, comme guidé par un esprit que personne sous la tente ne voyait il se leva et prit la parole avec courage et dit : « au nom de mon sacerdoce, je ne tolèrerai plus jamais de telles pratiques au nom tout puissant de Jésus ».
La rencontre était sur le point de s'achever quand les hommes de la garde royale ont débarqué, soulevant des tonnes de poussière sur nos visages rayonnants de la joie du Christ, malgré l'heure qu'il faisait : il était 19h45. Cagoulés et vêtus de noires, ils étaient furieux et paraissaient tous drogués. Ils ont arrêté Ornella, car son nom figurait sur la liste des filles qui allaient être sacrifiées lors de la cérémonie. Malgré les efforts du prêtre , ils l'ont emmené sur l'un de leurs chevaux.
Après l'enlèvement de la jeune fille, le prêtre n'a pas cessé de jeûner et de prier afin qu'elle soit relâchée. Grace aux contacts de M.TALLA au palais, il a pu avoir une rencontre avec le roi. Une fois reçu, il a immédiatement formulé sa demande auprès du roi. Sa majesté, incliné devant vous, je vous demande de libérer ces filles qui vont être sacrifiées. Elles ne méritent pas ce châtiment, je vous prie d'accepter ma doléance. En ces mots, il s'adressa au roi. Ahuri par le ton et l'audace de sa demande, le roi rit puis lui dit : « pour qui te prends-tu ? Penses-tu pouvoir venir bafouer d'un revers de la main les traditions d'ici ? » Le roi voulait à la fois rejeter sa demande et l'humilier.
Après quelques minutes de silence, le roi dit : « qu'est-ce que je gagne en faisant ce que tu veux ? ». Et le père répondit : « ma vie ». Le roi vit l'occasion de se glorifier davantage en utilisant le sang d'un blanc pour le sacrifice. Il fit signer au père Federico des documents pour attester qu'il était conscient de l'accord qu'il venait de passer. Après cela, un garde relâcha les jeunes filles sous les ordres du roi. Et Ornella vit le père une dernière fois. On lui passa une grosse chaine autour du cou et il fut enfermé dans la prison du palais.
Trois jours plus tard, c'était le jour du nouvel an, le village était rassemblé sur la place du marché. Comme il était de coutume, les servantes du palais exécutaient des danses. Après les cérémonies protocolaires et le discours du roi, on amena le père sur l'autel du sacrifice. Soudain, le calme s'installa. Après ses incantations, le sacrificateur NTALIM trancha la tête du père et tout le village se mit à crier de joie en l'honneur du dieu Tumbu. Ils ont mangé, ils ont bu et la fête était belle.
Tout semblait bien aller dans le village jusqu'à ce que le malheur ne commence à s'abattre sur la famille du roi et de ces collaborateurs :complices de la mort du père. En une nuit ATOUBEU avait perdu quarante-neuf garçons de façon mystérieuse. Le scénario était le même chez tous les notables qui avait approuvé la mort du père et mangé sa chair.
Après trois jours d'épreuves, le roi rassembla le village sur la place du marché. Dans un discours plein d'émotion il regratta solennellement la mort du père Federico et abolit le sacrifice. Depuis ce jour la vie à NGANDO est agréable pour tous. L'anniversaire du dieu TUMBU fut rebaptisée « Journée Père Federico ». Julio et moi continuons l'évangélisation du village.