Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité.
Ces moments où je ne cherchais pas toujours à m'acquitter de ses appréhensions et réactions. Ces moments où je ne recherchais pas forcément l'équité dans mes actions ;
Ces moments où j'ai su me fondre dans les multiples et subtils plaisirs de la vie, ces moments où j'étais heureux d'être moi, ces moments où j'étais Humain !
Ces moments ne datent pas de si longtemps que ça, même si j'emploie le passé composé ou l'imparfait. Ça fait exactement une semaine que j'avais entrepris mon périple pour un lieu qui à la fois hantait et meublait mes pensées, mon existence en tant qu'humain de ce monde et ce, depuis mon très jeune âge. Je suis Camerounais et fier dé l'être néanmoins, je sais que malgré les frontières, les régimes ou systèmes, les idéologies, les classes sociales ou encore nos paradigmes qui nous séparent, nous Humains nous venons d'une même contrée, le pays de l'Humanité !
Cette aventure je me l'imaginais excitante, inouïe mais aussi contingente ; en 25 ans de vie sur terre, moi Eya'a, c'était la première fois que j'allais me séparer de mes compagnons habituels ; le rejet, l'anxiété sociale permanente, la dépression, l'étreinte de la mort qui se resserrait progressivement et que j'appréciais bien, n'allez pas croire que je suis suicidaire, ne croyez pas non plus que je ne le suis pas. Ils n'allaient pas tant me manquer que ça quand-même, car de retour de mon voyage on recommencerait sûrement notre cycle habituel. Entre ces masques différents que j'arborais fièrement chaque jour au plus grand plaisir des standards de ma société, j'en avais d'ailleurs une collection très riche et variée adaptée à toutes les circonstances... pathétique n'est-ce pas ? Non, oh non je ne dirais pas ! Car voir ces sourires factices, écouter ses promesses qui s'effritent avec le temps comme ces sourires disparaissaient de leurs visages une fois le dos tourné, me réjouir de ces petites attentions que je savais fausses- un temps aussi peu soit-il, constituait mes petits plaisirs quotidiens... il faut bien se faire plaisir dans la vie, tous les moyens sont bons ou bien ?
Je voulais un vrai compagnon ; un compagnon dont le cœur battrait lorsqu'il aspire une bouffée d'air, un compagnon qui rirait à haute voix sans tenir compte du son de sa voix, un compagnon qui aurait une écoute active si j'en avais besoin, un compagnon qui rajouterait toujours un plat sur ma carte même si la vie ne me présente plus son menu, un compagnon qui me ferait apprécier les relations interpersonnelles. Quelle affabulation ! Mais ne dit-on pas que les rêves sont permis ? enfin, ils sont tous permis tant qu'on vit à Douala.
Douala, la ville qui m'a vu naître, qui a bercé l'enfant timoré que j'étais et reste, la ville qui m'a offert mes premières leçons de vie et ce, gratuitement. Pour cela, j'ai envie de lui dire na som jita c'est-à-dire merci beaucoup comme on le dit ici en langue Duala. Eriko, Un chanteur émérite camerounais des années 2000 que j'appréciais énormément disait ceci : « Viens même planter poteau à Douala et ça donne (...) », des paroles d'effervescence pleines de sens, du grand art ! Entre les poissons braisés de la Base navale, les montagnes d'immondices qui couvrent la place publique au marché central de New-Bell, l'architecture coloniale que reflètent encore bâtiments administratifs de Bonanjo, les piscines « naturelles » nées des inondations de Makepe Missoke, c'est dans les rues de de Ndogpassi que j'ai rencontré Azany ; Azany, l'Humain parfait ! Je vous ai dit que tous les rêves sont permis tant qu'on vit à Douala.
L'Humain parfait... un peu loufoque n'est-ce pas ? C'est avec lui que mon voyage pour le pays de l'Humanité a pris tout son sens. Un esprit libre, une personne sans filtre, fier de son orgueil avec un goût prononcé pour le sarcasme. Il pouvait jouer au Football sur les sols lessivés et boueux de Ndogpassi ou alors assister aux spectacles dans les somptueuses salles de spectacle d'Akwa, peu importe l'activité, il s'y donnait à cœur-joie. J'avais trouvé le compagnon parfait, l'ami, l'Humain que je recherchais ; Azany et moi on se rencontrait presque chaque jour soit pour manger notre plat mythique de Eru chez Aunty Jennifer car elle seule avait le secret de cette huile de palme qui relève le goût de ce mélange de légumes,« waterleaves» et «l'okok». Un mets qui témoigne de la richesse de l'art culinaire Camerounais, le Eru est exquis ! Ou alors, on se rencontrait au gymnase nouvellement aménagé près du campus pour jouer au Basketball. Mon voyage avait pris bon train, mon cœur s'épanouissait de ce que je vivais, je profitais de chaque instant avec Azany, j'abusais de son affection, ça aurait dû durer mais tant s'en faut.
C'est assez révoltant lorsque les représentations mentales et les constructions auxquelles s'habitue trop souvent notre esprit se heurtent à la réalité. La vie est improbable, entrainante et effrayante, elle nous éduque parfois avec un beau sourire ou alors avec la virulence de ses épreuves ; quoiqu'il en soit nous ne sommes jamais au bout de nos surprises et je l'aurais compris avec Azany. Ça faisait déjà deux jours complets qu'on ne s'était pas vu car Azany m'avait appris que sa petite sœur était tombée malade et il devait rester à son chevet pour prendre soin d'elle et veiller sur elle. Ça me faisait de la peine naturellement mais je crois que ce qui m'attristait encore plus c'était le manque que j'éprouvais du fait de son absence même si je trouvais ça très égoïste de ma part. Je décidai alors de sortir, pour me changer les idées et aérer mon esprit. Une pluie diluvienne venait de s'abattre, les rues étaient presque désertes, les routes difficiles d'accès, l'odeur du pétrichor qui se dégage après la pluie se faisait agréablement ressentir, le ciel était pâle et sombre, quel beau spectacle la nature m'offrait ! Je pris place sur un banc public près d'un arbre dans le parc de Bonanjo et de là j'eus l'impression d'apercevoir Azany ; plus je me rapprochais, plus j'essayais de me convaincre que ce n'était pas lui. C'était bien lui, il était assis avec des proches et ils riaient à n'en plus finir. Il me vit arriver et aussitôt que je le remarquai, je retournai précipitamment vers mon banc mais il me suivit. Il essayait alors de m'expliquer la situation mais mon esprit était comme absent, les questions foisonnaient dans ma tête ; pourquoi m'avait-il menti ? n'aurait-il pas pu me dire qu'il voulait prendre un peu de recul ? Non car j'aurais sûrement essayé de le convaincre. Un moment de latence, mais ces paroles de lui me firent revenir à l'instant présent
Eya'a tu es une bonne personne tu sais ? Mais parfois je me sens absorbé, je ne pourrais t'accorder toute l'attention que tu désires et aucune personne singulière d'ailleurs ne saurait le faire à suffisance. Le bonheur se construit dans les détails de la vie et l'Humanité que tu recherches tant est un TOUT dans lequel nous sommes des TOUS.
L'échos de ses paroles parcouraient mon esprit avec résonance. Ce fut un tournant décisif de mon voyage car à ce moment j'ai compris que l'Humanité que je recherchais se trouve d'abord en moi, qu'elle réside dans nos sensibilités humaines et nos différences car les différences sont ce que nous avons de plus commun dans la vie. Cet instant a duré une bonne minute. Elle était la plus vraie de ma vie. Celle qui a inscrit une nouvelle couleur dans mon itinéraire, était-ce ma destination finale