Le Noël d'Holéa

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À 8 ans, j'écrivais des contes, des poèmes, puis une première pièce «JACQUES A DIT», qui fut jouée au Lucernaire en 1981. J'ai beaucoup écrit pour France Inter, puis fus scénariste pour une ... [+]

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Histoires Jeunesse :
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Vers la fin du vingt-et-unième siècle, il n'y eut plus de place pour les humains sur Terre. La population avait atteint trente-deux milliards. On construisit alors sur la Lune des bulles de tailles différentes : des espaces de vie en forme de dôme dans un matériau inaltérable, brillant comme du diamant. L'intérieur ressemblait un peu aux maisons que l'on connaissait sur Terre, sauf que toutes les pièces étaient sphériques. On s'y sentait bien à l'abri.
Puis on tira au sort des centaines de milliers de personnes que l'on envoya sur notre satellite naturel. L'air, nécessaire à la vie des hommes comme on le sait, était fabriqué par de puissantes machines situées de place en place et distribué par de gigantesques tubes, permettant la circulation entre chaque zone d'habitation. Mais il y avait parfois des perturbations dans les tubes, et on ne pouvait les utiliser qu'en portant un scaphandre. Enfin, c'était fortement recommandé...
On lança également dans l'espace des dizaines de stations orbitales où l'on avait recréé des serres géantes et reconstitué une atmosphère proche de celle de la Terre. Les denrées produites dans ces serres spatiales étaient destinées à nourrir les Lunaires.

En cette fin d'année 2099, dans la bulle de la famille Rahides, on préparait Noël. La fête avait lieu le soir même.
Holéa, une adolescente de treize ans, vive et rigolote, était tout excitée à l'idée de la soirée qui se préparait. Elle arriva en trombe dans la cuisine où sa mère concoctait le dîner du réveillon.
— Hey Mam ! Je peux aller voir Lindora ? Je lui avais promis...
— D'accord, chérie, mais je veux que tu sois revenue avant le clair de Terre ! Je n'aime pas que tu te promènes dans le tube toute seule.
Gaéma soupira longuement. Sa fille ne tenait pas en place. Elle était toujours à courir entre les bulles pour aller voir ses amis.
Pendant ce temps, sa mère taillait finement les criquets grillés qui régalaient chaque fois la famille. C'était une entrée de roi pour un repas de fête. Ensuite, elle avait prévu un cake de protéines au sirop de crevette... Une folie ! Et puis... pour le dessert... Elle n'osait même pas imaginer la sublime surprise qu'elle offrirait à sa fille.
— Eh Mam ! Je trouve pas mon scaph' rose !
— Il est à la machinerie, Holéa ! Mets ton scaphandre bleu, il vient d'être révisé.
— Pffff !! Le bleu, il est pfrout !
— J'en ai assez que tu dises sans cesse des gros mots, Holéa ! Tu mets ton scaphandre bleu. Un point c'est tout !
Holéa enfila la combinaison en exprimant sa désapprobation.
Pour elle-même, elle murmura :
— En plus, il est trop petit pour moi maintenant !
Gaéma, qui avait deviné ce qu'avait dit sa fille, lui lança gaiement :
— Tu as raison, on ira le recycler en début d'année et tu en choisiras un de la couleur que tu voudras.
Holéa se rua dans la cuisine en applaudissant de ses mains gantées de fibre de verre.
— Oh Mam ! c'est trop pop ! Merci ! Je pourrais en avoir un doré ?
— Ou même un arc-en-ciel si tu veux. J'ai mis plusieurs silvers de côté cette année.
Les silvers étaient la monnaie en cours à cette époque. Les pièces précieuses, qui mesuraient dix centimètres de diamètre, constituées d'or et d'argent mélangés, étaient devenues très rares.
— Oh Mam, je t'adore !
Holéa embrassa sa mère de toutes ses forces. La jeune fille enfila son casque, sa mère lui ajusta et bloqua les sécurités en un tournemain. Un dernier signe de la main et Holéa gagna le sas qui menait au tube ouest.

Gaéma allait avoir quatre-vingt-trois ans le premier janvier prochain. Elle n'en paraissait joliment que trente-cinq, comme à peu près toutes les femmes de sa génération. Mais parfois, furtivement comme à ce moment précis, l'espace d'une nanoseconde, toutes les années qu'elle avait vécues lui pesaient sur les épaules.
Holéa était sa troisième et dernière enfant. Il était interdit aux Lunaires d'en avoir davantage. Même si elle avait un peu honte de se l'avouer, c'est sans doute pour cette raison qu'elle était sa préférée.

Quelques minutes plus tard, le bruit du sas se fit entendre. Le cœur de Gaéma sauta dans sa poitrine. Tigmi, son mari revenait enfin ! Il allait en mission sur Terre trois fois par lunaison. Le couple, toujours aussi amoureux au bout de cinquante-neuf ans de vie commune, ne se voyait pas assez souvent à leur goût.
— Ma chérie...
Ils s'embrassèrent avec toute la tendresse du monde.

Une heure plus tard, Holéa était de retour. Elle sauta au cou de son père.
— Tu es là pour combien de temps, Pap ?
— Deux semaines !
— Yououhaou !!
— Vous ne devinerez jamais ce que je vous ai rapporté de Terre !
Tigmi sortit du sas une boîte oblongue d'environ cinquante centimètres de longueur.
Il s'en échappait un parfum unique, une fragrance épicée qui allait directement au cerveau-souvenir des deux adultes...
L'homme, avec des gestes précieux et délicats, ouvrit la boîte.
— Voici une branche de sapin, qu'on appelle scientifiquement « épicéa ». Un vrai de vrai ! ajouta Tigmi. Il vient des Alpes, de hautes montagnes situées dans l'est de l'ex-France... Je ne vous dirai pas comment je l'ai obtenu, vous seriez capable de me jeter dehors sans scaph...
Les deux femmes restaient bouche bée. Leur émotion était à la mesure de leur surprise.
Il y a quelques dizaines d'années, les sapins avaient totalement disparu de la surface de la Terre. Gaéma avait vu le dernier de sa vie en 2058 juste avant d'être envoyée sur la Lune. Et Holéa n'en avait contemplé que sur la surface transimage, une sorte de télévision immense qui couvrait un mur entier de la salle principale. Les narines frémissantes, elle toucha doucement la branche d'un vert profond, unique, puis caressa longuement les épines odorantes.
— Oh ! Pap, c'est... c'est...
— Pop ? C'est ça ton mot favori, non ?
— Hi hi ! Non ! C'est : trop pop !
— Et il est tellement vrai, qu'il perd ses épines !
— Je les garderai précieusement, tu penses !
Mystérieusement, Gaéma s'éclipsa à son tour... Elle revint quelques instants plus tard, un petit paquet à la main et le tendit à Holéa.
— C'est pour toi, ma chérie. Cela fait des mois que je l'avais commandée. Elle est arrivée ce matin par capsule expresse.
La jeune fille, tremblante de reconnaissance, huma l'ouverture du sac. Encore un nouveau parfum pour elle. À la fois subtil et tellement étrange.
Elle sortit le fruit. Et le porta à sa bouche, à son nez.
— Oh ! Mam, merciiiii ! Quel cadeau sublime ! Une orange !

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Image de Le Noël d'Holéa
Illustration : Rimbow

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