Le mystère de notre cher ami Samson

Toute histoire commence un jour, quelque part mais celle que je vais vous raconter, et qui, d’ailleurs, est assez amusante, ne s’est pas tout à fait terminée n’importe où... Il était une fois, notre cher ami Samson. Ah ! Grand galantin chenapan qu'il était. Plus riche en poil dans le blanc de l’œil qu’il ne l’aurait jamais été en conscience pour ses neuf prochaines vies. Et dans sa tignasse brûlant vivement d’un brun sale on retrouvait si souvent le maigre héritage de ses lieux de perdition ; les fines dents d’un peigne en bois, véritable hécatombe de cure-dents, du fétu de paille comme des guirlandes dorées sur un buisson desséché, des bribes de lard, peut-être un peu plus nombreuses qu’on l’aurait été à l’enterrement du chien du voisin, de la gomme à mâcher, de l’émail, de la fibre de laine aussi, et même une ou deux petites crottes de volaille sournoisement embusquées. On ne peut pas dire que sa vie à lui était à chier, ça non ! Veinard va ! Les paysannes du patelin, en rut, lui couraient littéralement après, toutes ! À croire qu’il n’y a jamais eu qu’un seul Adam dans ce paradis, et pas qu’une seule fois il avait été découpé en deux. Oui, qu’on était un tantinet envieux. Il n’empêche, qu’on restait ses bons amis.


Et puis, un beau matin, notre cher Apollon a bondi tout de go— vous auriez dû voir — avec un tel aplomb ! Son torse dans le ciel faisait de l’ombre sur nos trombines décontenancées, et arborant des narines de dragon, un menton en visière, sans autre forme de procès a dit !

« — Mes chers compagnons, j’ai décidé, à compter de ce jour, d'être un homme posé ! »

Nous nous sommes fendu la poire à un point — à pisser de rire ! On découvrait là le talent d’humoriste surprenant, insoupçonné et atomique ! Du coureur de jupon typique. Mais il nous faisait la figure crispée de Van Gogh ; et d’aussi loin que remontassent nos souvenirs, il n’avait jamais eu même l’air sérieux. Si tant est que cela dût lui arriver, j’engage d’ores et déjà la possibilité qu’il eût été frappé de la main du Saint-Esprit en personne et que le stigmate de cette paume ardente devait lui griller ses petites miches de vagabond à la moindre lubie libertine ! Et, justement, à notre immense stupéfaction ;


« — Je m’imaginais m’y aventurant ; ces cheveux longs et lisses qui me piégeaient dans leurs tourbillons parfumés. Ils pouvaient s’emparer d’objets, tel un monstre tentaculaire, et nulle lame n’aurait su les abattre. Oh que oui ! Ils étaient vivants ces cheveux. Vivants comme le courant de la rivière, vivants comme un séisme en Asie, vivants, comme l’hydre de Lerne. Très vivants, tout simplement. Ils allaient donc, féroces, récalcitrants, jusque dans les courbes inférieures de leur dompteuse, non moins sombres que les abysses, plus noirs qu’une nuit dénuée d’étoiles... Je m’imaginais m’y risquant dans ces cheveux, impudent, envoûté, fasciné.» Ce fut le cas...

Avec une description aussi fabuleuse du détail, nous pataugions avec excitation dans l’empressement de faire la connaissance de celle qui avait accompli l’exploit ; de changer le diablotin cornu en poupon auréolé. Mais le fourbe se gardait bien de cracher le morceau, préférant ainsi se prélasser dans son mimétisme énigmatique, au risque de balancer sur les ronces notre féale amitié. Et un jour — qu’est-ce qu’on a pu faire au bon Dieu ?

« — Je m’en vais, chers compagnons, avec elle. Nous vivrons heureux et plusieurs fois vous serez faits oncles. »

Cet arnaqueur de judas s’est fait la malle ! Il va de soi que nous nous sommes mis à sa recherche. Nous avions fouillé les rues de fond en comble. Nous avions dû distribuer des affiches, nous avions fait appel à un expert aussi, et même promis une récompense au ravisseur (la ravisseuse ?). Tintin ! Il s’était comme qui dirait volatilisé « pouf ! » aucune trace. Quinze années s'étaient écoulées depuis sa disparition... Jusqu'à ce drôle de dimanche à l’Eglise où, chauve comme une boule de billard, vêtu d’une grande robe blanche qui lui frôlait les doigts de pieds, et d’une écharpe verte crucifiée à ses genoux, ouvrant généreusement ses mains aux fidèles, l’air illuminé tel un saint apôtre, notre grand Samson, notre chenapan de Samson, notre diable de Samson, officiait la messe... Nous étions sur le cul.

Le fameux mystère de cette petite histoire avait un nom : elle s'appelait Dalila. Douce, pieuse... et couverte — très couverte. Il l’avait rencontrée par un bel après-midi, au village, alors qu’elle s’acquittait de ses devoirs religieux auprès des indigents. Elle l’avait ébloui... Tous ces... cheveux dans son récit n’étaient en réalité qu’un fantasme, un psaume de son cru pour garder la face auprès de ses chers compagnons. Il n’aurait pas pu nous l’avouer sur le moment. Pour sûr, entre bonne sœur et âme sœur, notre bonhomme n’a pas fait la girouette. Car même si tout les séparait désormais, si l’amour avait décidé de les unir malgré tout, eh bien ça ne pouvait être, forcément, que dans la demeure de Dieu.