Pièce en un acte
Par Lilou Manzato
LES PERSONNAGES
Sébastien, le mari
Mélanie, la femme
La scène se déroule dans leur salon. Au centre se trouve un canapé confortable ayant vécu de nombreuses soirées dessin animé Disney, matchs de foot et jeux familiaux sur la Switch. On aperçoit également une table basse (pour ne pas dire un repose-pied), des plantes et une lampe. Aux murs, agencés dans une subtile symétrie, les visages de la famille au complet, à la mer, au ski, sous le sapin...
Et tout près de la porte, se trouve fièrement accroché, un grand miroir à dorures, objet de notre pièce.
Mélanie passe un balai qui a vécu de meilleurs jours, Sébastien nettoie le miroir, enfin... passe un chiffon sur sa surface.
Sébastien, du produit et un chiffon à la main. – Et voilà c'est fait.
Mélanie, s'approchant de son mari. – Fais-moi voir ça (examinant le miroir) mais non regarde, (pointant le miroir) il y a encore des traces là.
Sébastien. – Ah bon ?
Mélanie. – Mais oui regarde ça !
Sébastien, frottant le miroir avec sa main. – Mais ce n'est rien ça. Tu exagères, elle était toute petite cette trace. Nous aurions pu la laisser grandir avant de la faire disparaître sans vergogne ! M'enfin, tes désirs sont des ordres.
Mélanie. – Ne frotte pas avec ta main !!! Tu fais n'importe quoi, laisse-moi faire ! (Elle lui prend le chiffon et le produit des mains.) Voilà tu vois c'est déjà mieux. Forcément faut que je m'y mette pour que ça ressemble à quelque chose !
Sébastien, scrutant le miroir cm2 par cm2. – Oui bon effectivement c'est mieux. (Puis sur un air taquin) Oserais-je dire, « on n'est jamais mieux servi que par soi-même » ?
Mélanie, scrutant toujours le miroir. – Oh non, je ne te conseille pas de le dire ! (Puis se remettant à frotter énergiquement le miroir) D'autant qu'il y a des traces ici que je ne parviens pas à faire partir.
Sébastien, avec malice. – Les rebelles ! Elles osent s'opposer à la maîtresse de maison.
Mélanie, s'énervant un peu plus. – Je t'assure, elles ne partent pas. (Puis regardant le pulvérisateur et son contenu d'un drôle d'œil) il a quel âge ce produit pour vitre ?
Sébastien. – Je l'ai fait il y a quelques mois de cela. J'ai remplacé tous nos produits de ménage par des recettes de famille. Beaucoup plus saines pour l'environnement, crois-moi.
Mélanie. – Ah le fameux vinaire blanc, je présume ?
Sébastien. – En effet, il fait de petites merveilles.
Mélanie. – Vinaigre blanc produit miracle, produit miracle... je crois qu'on atteint les limites du produit miracle.
Sébastien. – Dis, je tiens cette recette de ma grand-mère paternelle qui elle-même la tient de son illustre tante Philomène de la Frotte.
Mélanie, regardant son mari en rigolant. – Philomène de la Frotte ? Tu te moques de moi ?
Sébastien. – Devine ?
Mélanie, retournant à son miroir. – Tu me fais marcher et moi je cours ! En attendant je les vois plus ces traces. Ah si les revoilà. J'ai cru un instant qu'elles avaient disparu d'elles -mêmes.
Sébastien. – Il faut peut-être reconnaître ta défaite et capituler ?
Mélanie. – Je te remercie de ton soutien mais sûrement pas. Je ne leur laisserai pas mon miroir sans me battre.
Sébastien, se rapprochant. – Laisse-moi voir. Alors où sont ces malheureuses traces dont tu parles ?
Mélanie, en montrant plusieurs endroits. – Là, là et là et là et aussi là et là.
Sébastien, sourire aux lèvres. – Je vois.
Mélanie. – Comment ça tu vois ? Et tu ne fais rien pour les faire partir ?
Sébastien. – Je sais qu'elles ne partiront plus ces traces-là.
Mélanie. – Et ça ne te fait rien à toi ?
Sébastien. – Si, ça me rend heureux de pouvoir les contempler. J'aime ce qu'elle me rappelle.
Mélanie. – Ce qu'elle te rappelle ? Tu débloques ?
Sébastien. – Oui, elles me rappellent les milliers de fous rires que nous avons partagé, les inquiétudes aussi. Des petites joies aux grands bonheurs en passant par quelques malheurs. Tous les évènements qui ont bien rempli notre vie commune. Ici, (montrant le front de Mélanie) il y a les maladies des enfants, leurs échecs et le jour où ils sont partis de la maison. Et là (montrant les tempes de Mélanie) il y a le jour de notre mariage, la naissance des enfants et des petits-enfants et juste ici (montrant le coin des lèvres de Mélanie) il y a leurs premiers pas, leurs réussites et mes blagues pas si drôles auxquelles tu continues pourtant de rire. (Faisant pivoter Mélanie face au miroir) Ces traces, mon amour, sont tes rides et elles racontent notre histoire alors s'il-te-plaît ne cherche pas à les faire disparaître.
Mélanie. – Dis comme ça, je crois que je les aime bien aussi ces traces finalement. Et puis en regardant de plus près...
Sébastien. – Quoi « en regardant de plus près... » ?
Mélanie, pointant le miroir au niveau du front de Sébastien. – Il y en a ici aussi. Là ton licenciement (promenant son doigt sur le miroir vers les yeux de Sébastien), là le jour où ta maman est partie (puis désignant le contour des lèvres de son mari) et là et là les anniversaires des enfants, les soirées bowling avec les copains et mes blagues, qui elles, sont toujours drôles.
Sébastien. – Ben voyons ! Heureusement que je t'aime toi !
(Ils s'embrassent.)
RIDEAU