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— Hier, en faisant ma ratatouille, rien à faire, ça accrochait. Il va falloir que je change la cocotte.
— Le mauvais ouvrier a toujours de mauvais instruments.
— Comment ça ?
— Eh bien, le mauvais ouvrier se plaint toujours d'avoir de mauvais instruments.
— Merci, tu es bien gentil, je connais mes proverbes. Donc tu veux dire que je suis un mauvais cuisinier ?
— Non, je disais ça comme ça.
— Ça comme ça ? C'est pas très clair.
— Mais dis donc, tu as une pêche d'enfer, aujourd'hui !
— C'est ton coup du mauvais ouvrier, là, qui m'a énervé. Qu'est-ce que tu en sais, qu'il n'a pas des mauvais outils en vrai et que cela le gêne pour travailler, hein ?
— C'est pour dire que souvent...
— Je sais, je sais. Mais il y a pas mal de situations où le pauvre mec, il a vraiment des mauvais outils et tout le monde se moque de lui parce qu'il travaille mal. Il essaye de s'expliquer et on lui dit que c'est sa faute, « le mauvais ouvrier a toujours de mauvais instruments », et patati et patata.
— Peut-être qu'il entretient mal ses outils ou pire, il les casse, à la limite du sabotage, quoi !
— Mais qu'est-ce que tu as contre les ouvriers, toi ? Je ne savais pas que tu étais patronal à ce point ! Pour moi, c'est le contraire : l'ouvrier en question, il a du caractère, il en impose, alors le contremaître a peur de lui. Il n'ose pas lui donner des ordres et ça fait désordre dans son organisation du monde. Ça le dérange au quotidien alors, de proche en proche, il répand l'idée que c'est un mauvais ouvrier. Le chef d'atelier, l'ingénieur, le chef du personnel et enfin jusqu'au patron, tout le monde finit par penser que c'est un mauvais ouvrier.
— Je ne vois pas le rapport avec les mauvais outils !
— Eh bien, si justement ! Comme il est mal vu, on ne lui confie pas les bons outils et il se retrouve avec les rebuts, les outils usés ou d'une technologie périmée et bien moins efficace. Le mec au départ il ne dit rien, il ne râle pas ; s'il avait de bons outils, il serait aussi bon que les autres, peut-être même meilleur, mais comme sa gueule ne revient pas au contremaître, il se retrouve avec de mauvais outils et il n'arrive pas à faire son travail correctement. Il essaye d'expliquer qu'avec des outils comme ça... « Ha ! Ha ! Ha ! disent-ils tous en cœur, le mauvais ouvrier a toujours... »
— Il y a aussi le cas où quelqu'un rejette la faute de son travail raté sur...
— Mais tu insistes ! Je te dis que l'ouvrier, il est salarié, c'est quand même pas à lui de fournir les bons outils. Déjà qu'il est mal payé, il faudrait qu'en plus il achète des outils ? L'outil de production, justement, il appartient au patron, non ? Alors c'est à lui de fournir des bons outils et de les entretenir s'ils s'usent ou s'abîment.
— Mais le proverbe, il ne parle pas du tout de ce cas-là, il parle de quand quelqu'un...
— Eh bien ! Je ne suis pas d'accord ! Si l'ouvrier réclame des bons outils, c'est quand même la preuve qu'il aimerait mieux pouvoir faire bien son travail. Mais voilà, il est naïf, il croit qu'en disant la vérité – on ne lui donne pas les bons outils et les conditions de travail ne sont pas adéquates – cela va s'arranger, qu'ils vont se rendre compte là-haut que ce n'est pas très efficace de faire travailler les ouvriers avec des outils déglingués et qu'ils vont décider de renouveler le parc. Malheureusement, ce n'est pas le point de vue du patron qui voudrait faire aller ses outils jusqu'au bout sans avoir à en racheter trop souvent.
— Mais ça n'a rien à voir avec la ratatouille !
— Bien sûr que si ! L'ouvrier, il a de bonnes idées pour améliorer et le rendement et ses conditions de travail, mais comme il est le seul à réclamer, il se fait mal voir. On le prend pour un subversif. Peu à peu, il devient le rouge, le syndicaliste qui fait chier tout le temps, le révolutionnaire utopiste, le mauvais ouvrier. Le bon ouvrier, c'est celui qui ne moufte pas, qui ne se plaint jamais, ni de ses conditions de travail ni de son salaire. Voilà ce que c'est ton proverbe, un point de vue réactionnaire sur les ouvriers qui dénote chez celui qui l'emploie une mentalité petite-bourgeoise étriquée, moralisatrice et paternaliste.
— D'accord avec toi. Mais, heu, quand quelqu'un accuse ses outils alors que c'est lui qui...
— Putain ! Mais tu n'as rien compris de ce que je t'ai dit ! Quand on veut tuer son chien, on l'accuse d'avoir la rage.
— Qu'est-ce que tu as contre les chiens ?
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