Cette œuvre est
à retrouver dans nos collections
Nouvelles - Littérature Générale Écouter l'histoire
« L'homme est un loup pour l'homme » qu'il disait l'autre...Ça a débuté comme ça. Moi, j'y étais pour rien. Rien. C'est le frisé qu'a commencé. Une sorte de caniche des alpages, un ovin, camarade de montagne lui aussi. On se rencontre donc au champ du ruisseau. C'était l'après-midi. Je le regarde. Il me voit même pas le c... « Alors compagnon de galère, que je commence, on se désaltère ? On a la dalle en pente, besoin d'un petit remontant ? » Alors il lève la tête. Il me voit. Il reluque qu'il n'y a personne autour. Pas âme qui vive. En fait, il n'y a jamais personne ici. Trop haut. Y en a pas un qui a le courage de grimper jusqu'au ruisseau. Malgré les fleurs, l'herbe plus verte... Tous des feignasses ! Ça broute proximité. Quitte à être les uns sur les autres. À se renifler le crin. Des fois que ça leur exploserait le caisson de monter, que ça les ferait trop suinter de la bouclette. Pareil pour les femelles avec leurs avortons qui leur pendent aux pis comme des tiques sur des clébards. Une race dégénérée tout ça. Un ramassis échoué de lainages crasseux, puants, affamés, bouffés aux mites, rongés de l'intérieur par les parasites. Il a dû s'égarer celui là. Je répète ma question.
« J'avais très soif, qu'elle me répond la pelote. J'ai bien cru ne jamais pouvoir m'arrêter de boire. » Le voilà qui recommence à laper ma flotte. « Ben ! Faut pas te gêner » que j'ai répondu du tac au tac pour montrer que j'étais pas son copain. « Je peux vous faire une petite place si vous le souhaitez » qu'il insistait. Bien poli. J'ai pas relevé. Je voulais pas pointer trop tôt l'insulte. Je voulais lui laisser croire, encore une minute, qu'elle valait le coup d'être vécue, la vie. « Avant de mourir plus copieusement qu'un chien ! » comme aurait dit mon camarade Bardamu... Un sacré celui-là ! « Tes pieds et ta gueule dans ma source, que je recommence, ça dégueulasse mon breuvage ». Alors il miaule que c'est pas possible, qu'à cause qu'il est en bas, moi en haut, que l'eau ça remonte pas, je sais pas quoi... Voilà. Il tentait de trouver un terrain d'entente. La nuit approchait de nous deux sans qu'on s'en soit rendu compte. J'avais la cafetière fatiguée par toute cette parlote et le buffet toujours vide. « Comme la charogne, tu salopes tout ce que tu touches ici, que j'ai insisté. Tes frangins itou... » C'est à cause de moi que la dispute a repris alors tout de suite et de plus belle. « Avec les mots on ne se méfie jamais suffisamment... On ne se méfie pas d'eux, des mots et le malheur arrive » qu'y dit toujours le Bardamu. Et il a raison. Voilà. Il a bien essayé d'argumenter le bouclé. Ça se voyait qu'il se branlait l'imagination pour trouver des bobards. Dans la pénombre ses yeux « de velours » se transformaient en deux cavités larmoyantes, brillantes comme des flaques de pus au clair de lune. On entendait au loin s'éloigner le troupeau et sa masse de crétins gueulards. Les clébards, ces saligauds excités jappaient comme des grosses mères affolées découvrant leur enfant jouant au bord d'un précipice. On aurait dit que les clebs découvraient la nuit pour la première fois.
Et lui il s'empêtrait, la carne. Il fouettait même salement. Comme tous les autres, il était lâche. Dès lors sa frousse devint panique. Jamais il n'avait senti plus implacable la sentence.
« Serais-je donc la seule espèce crétine affamée sur cette terre ? » pensais-je. « Pourchassée par les hommes, traquée par les chiens, honnie des bergers, piégée de toutes parts ?... Autant comme autant... on était des rats ».
J'y plantais les dents. Avec mes crocs, sans mes crocs, avec mes pattes, sans mes pattes. Avec ma force carnassière. Sordide. Le plaquant hurlant, le déchirant, dévorant ses entrailles. L'entendre haleter, le bichon, alors que je l'étripe. L'anéantir, le détruire, me régaler de son sang sucré. Ses boyaux chauds traçant des chemins sans fin sur l'herbe devenue noire. Je laissais toute sa bile fielleuse aux fourmis, toute. Grâce à moi il ne serait plus puceau de l'horreur et je me serais bien gavé. Qu'on en parle plus.
© Short Édition - Toute reproduction interdite sans autorisation