Le label vert

En direct sur les antennes de la RTBF
 
— Oh mais quel match, mon cher Philippe ! C'est incroyable ce qu'il se passe ce soir au Stade Roi Baudouin !
— En effet, Manu, une finale de Croky Cup inédite et palpitante. La RAAL, club de Nationale 1, vient d'obtenir un penalty à quelques secondes de la fin des arrêts de jeu de la rencontre.
— Un score de zéro à zéro au terme du temps réglementaire et puis cette erreur de la défense centrale des mauves à une poignée de secondes des prolongations. La faute est flagrante, l'exclusion du dernier défenseur logique. Impardonnable à ce niveau.
— Une intervention dangereuse. De la frustration peut-être. L'attaquant louviérois reste au sol, espérons que ce ne soit pas trop grave. L'arbitre fait monter le staff médical sur la pelouse. Lançons une page de publicité en attendant la suite.
 
Fred se souvient
 
Sur le terrain, désigné tireur par le coach, Fred Duchamp tient le ballon entre ses mains. Il se souvient. Le centre de formation de Nerpede, les années de sport-études, les sacrifices, son premier contrat professionnel à Anderlecht, ses deux matches en Jupiler Pro-league, sa mi-temps en Coupe d'Europe. Une belle carrière se dessine. Puis, ses transferts ratés, sa descente aux enfers après l'expérience finlandaise. Son retour en Belgique et l'abandon de la pratique du foot. Désillusion, dépression, boulimie, prise de poids. L'immobilité devenue son mouvement préféré ; la flemme, sa nouvelle religion. Plus rien ne lui fait envie, pas même l'envie de rien.
 
Le coup de fil
 
— Allez ! Debout là-dedans ! Arrête de glander dans ta chambre. Il y a quelqu'un pour toi au téléphone.
— Maman, laisse-moi tranquille.
— Il dit que c'est important.
 
Nikos Vargas, mon entraîneur à Nerpede, au centre de formation du Sporting d'Anderlecht, club le plus prestigieux de Belgique.
Ce jour-là, tant de choses me revinrent en mémoire. Une adolescence à rêver de devenir pro.
Nikos Vargas, que des bons souvenirs avec lui.
— Fred, j'ai un projet pour toi. Tu végètes depuis trop longtemps.
J'eus beau répondre que j'étais en surpoids et que seule la console de jeu me donnait les frissons du football, rien n'y fit.
— Viens nous rendre visite. Tu verras sur place.
J'acceptai.
 
Nikos me reçut chaleureusement.
Devenu Directeur Technique d'un club montant en Nationale 1, il me fit visiter son jardin : le complexe Saint-Julien, centre de formation et d'entraînement de la RAAL (Royale Association Athlétique Louviéroise). Un site moderne et à la pointe construit sur des friches minières. « Symbole d'un passé renaissant dans cette région industrielle », me dit-il.
Lors de sa visite en grande pompe, le sélectionneur des Diables Rouges avait vanté ces infrastructures. Idéales, selon lui, pour le retour de La Louvière parmi l'élite.
La majorité des clubs professionnels ne possédaient pas de telles installations.
 
Rencontre avec le Président
 
— Nous sommes un club amateur. Je ne peux te donner un salaire de joueur professionnel mais je te propose un job. Nikos m'a confié que tu avais obtenu un master en sciences et gestion de l'environnement lorsque tu étais à Anderlecht. Ça m'intéresse.
 
Le Président me dévoila alors le projet d'un nouveau stade, en phase avec l'objectif de rejoindre la D1A dans les six ans.
Monsieur Carabas me convainquit.
La RAAL La Louvière était le premier club de football en gestion participative de Belgique.
Nous visions le Label Vert, reconnaissance convoitée par toute entreprise voulant allier respect de l'environnement et développement durable.
 
Monsieur Carabas me raccompagna à la porte des locaux administratifs de la Wolves Academy.
— Travaille avec nous et si l'envie te reprend de tâter le terrain, tu pourras t'entraîner avec l'équipe réserve. Tu iras voir notre diététicienne et notre staff médical. Si tu retrouves le niveau pour la saison prochaine, tu intégreras le noyau de l'équipe fanion. Fred, le foot, c'est ta vie. Nikos ne tarit pas d'éloges à ton sujet.
 
Un Président convaincu et convaincant ; j'appréciai l'homme.
Nous nous serrâmes la main pour sceller l'accord.
Je repartis de là gonflé à bloc, prêt à m'investir comme je ne l'avais plus été depuis longtemps.
 
Cet emploi me fit le plus grand bien. Je réappris à me lever tôt, à m'investir dans un projet, à penser, à bouger. Mon hygiène de vie s'en trouva améliorée. Et cerise sur le gâteau, le plaisir de chausser à nouveau les crampons et d'arpenter le gazon avec les P3 du club.
 
Le label
 
« Un label vert pour les Verts » titra la presse (les couleurs du club étant le vert et le blanc).
Nous avions intégré l'écologie dans toutes les étapes du processus de construction et d'exploitation du futur stade. Il serait impossible de fonctionner comme un bâtiment à énergie positive mais nous nous en rapprocherions. Des arbres seraient plantés pour racheter notre impact carbone. Les partenariats avec les fournisseurs locaux seraient privilégiés dont celui avec une entreprise de travail adapté pour la gestion des espaces verts de nos différents sites. Énergies renouvelables, isolation performante, choix des matériaux, récupération et usage des eaux de pluie, station d'épuration autonome, gestion et tri des déchets, etc. Le projet d'un stade du futur s'installant durablement dans le temps tout comme le projet sportif porté par le Président.
Redevenu « fit and well », je m'entraînais avec la réserve.
 
Depuis deux mois, j'ai rejoint l'équipe première.
Sept buts et un assist en cinq matches.
Et ici, ce soir...
 
Retour du direct de la RTBF
 
— Chers téléspectateurs, nous revoici à l'antenne. Suivons ensemble le dénouement de cette finale de Coupe de Belgique opposant le Sporting d'Anderlecht, club le plus titré du pays, au Petit Poucet de La Louvière, pensionnaire de Nationale 1, actuellement en tête de son championnat.
— Oui, Manu, vibrons pour le beau jeu. Bravo aux Loups pour ce parcours et ces émotions proposées tout au long de cette campagne.
— Tout à fait, Philippe. Une belle épopée jusqu'à cet instant. Tout repose désormais sur Fred Duchamp. Il est en forme et respire la confiance ces dernières semaines.
 
Sur le terrain
 
Dans le grand rectangle, Soumaré se relève. Les soigneurs l'aident à quitter la pelouse.
La moitié du stade chante en vert et blanc ; le camp mauve s'est tu.
 
Fred pose le ballon sur le point de penalty, recule de quelques pas, inspire à fond puis souffle lentement. Ses épaules se relâchent. Ses pieds sont ancrés dans le gazon vert du stade. Il a retrouvé l'âme de son sport.
 
L'arbitre siffle ; Fred s'élance, un club, une région derrière lui.
 
S'il marque ce coup de réparation, pour la première fois de l'histoire, une équipe évoluant en Nationale 1 représentera le football belge dans les poules de l'Europa League.
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