Le jardin de Stan

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Nouvelles - Littérature Générale
Le transistor crachouillait une chanson de Léo Ferré. Le vieil anar avait beau s'évertuer, la fille tanguait maintenant un air anglais à la façon d'une fêtarde ayant abusé d'une soirée trop arrosée. Stan tapa un peu sur l'appareil, sans succès. Il faudrait changer les piles. De toute façon, il avait trop de choses à faire ce matin.
Il regarda le bout de terrain. Toujours avec cette allégresse qui le remplissait de l'extrémité des orteils aux derniers poils qu'il avait sur le caillou. Le vieux Stan, il l'aimait bien son lopin, son morceau de jardin ouvrier comme il s'entêtait à le nommer malgré les nouvelles appellations comme jardins familiaux ou jardins partagés. Parce que pour le partager, c'était hors de question. Pouvaient toujours se brosser, les prétendants. Lui seul avait le privilège de retourner la terre, de le bêcher, de le biner, de planter, de désherber, d'arroser et de voir pousser les fleurs et les légumes. Il voulait bien partager ses salades, ses radis, ses courgettes, ses potimarrons, ses endives et autres tomates, faire profiter ses voisins des pommes reinettes et des reines-claudes, des fraises et des framboises, couper des bouquets de roses et de lupins pour les ramener à quelques veuves encore bien mises – car là aussi il pratiquait le tri sélectif, le Stan – de son entourage en échange d'un petit café, d'un bout de quatre-quarts et d'un plus si affinités qui ne venait jamais, mais pas question que quelqu'un d'autre que lui y foute les pieds dans son carré de terre.
Sauf Léon et Gaby, quand le soleil pointait son museau et réchauffait leurs vieilles carcasses et qu'il leur semblait alors vital de les rafraîchir avec un petit rosé bien frais, histoire de ne pas les laisser se dessécher sur place. Mais généralement, ils restaient tous les trois à proximité du cabanon, avachis dans les vieux fauteuils pliants qui avaient survécu à bien des intempéries à radoter sur le « c'était mieux avant ».
Il s'y sentait bien Stan, dans son carré de verdure, enchâssé dans un îlot de nature, lui-même assiégé par une armée de tours en béton d'un côté, de la voie ferrée et du périphérique où résonnaient sans interruption les mugissements de monstres mécaniques de l'autre. Un coin de paradis au milieu du purgatoire où il avait le sentiment d'être intensément vivant. Il s'y sentait tellement bien qu'il lui arrivait de rester discutailler avec les étoiles les chaudes soirées d'été, habillant la nuit citadine de quelques ronflements bien sentis.
Depuis toutes ces années, même du temps où Geneviève était encore de son monde, il avait expérimenté toutes sortes de cultures. Avec plus ou moins de bonheur. Mais maintenant, il avait l'un des carrés les plus productifs et les plus enviés de toute la surface. Et sans un pet de glyphosate, d'engrais chimique ou une autre de ces saloperies. Rien que naturel, du compost, qu'il fabriquait lui-même avec ses propres restes alimentaires et quelques débris végétaux. Les lombrics étaient ses amis à Stan, autant que les coccinelles bouffeuses de pucerons et de cochenilles. Les abeilles, les carabes, les staphylins, les perce-oreilles étaient aussi les bienvenus. Même les peu estimés cloportes participaient au recyclage de la matière organique.
Et maintenant, le Stan, il était passé maître dans l'art de la butte maraîchère. De la paille, du carton, du terreau, du compost. Des graines mêlées de légumes et de fleurs. En apparence, un joyeux bordel, mais quand ça avait commencé à donner de tous les bords, les Léon et Gaby qui s'étaient d'abord bien foutus de sa gueule, ils en étaient devenus jaloux à presque crever.
— Qu'est-ce que tu fous là encore, à creuser un trou comme ça, Stanislas ? avait questionné Léon en siphonnant son premier verre.
— Faut bien que je décaisse pour ma nouvelle butte.
— Tu ferais mieux d'aller à Montmartre, avait rétorqué, moqueur, Gaby.
— Putain, vous êtes trop cons. Je vous en ressers un petit ?
— Un peu mon n'veu, il se laisse apprivoiser celui-là !

La nouvelle butte, elle avait donné à profusion. Un feu d'artifice de fleurs où prédominaient quelques tournesols géants, d'immenses marguerites à effeuiller et de fragiles coquelicots pour poètes désespérés. Et des courges immenses, des choux pas Bruxellois pour un sou, du fenouil gros comme ça et des plans de haricots à faire pâlir le Jack du conte.
Personne ne s'était posé la question de savoir ce qu'il avait bien pu foutre comme engrais le Stan, là-dessous. Et personne n'avait pu poser la question au jardinier lui-même. Parce qu'il avait mis les voiles Stan, sans rien dire à personne, sans révéler sa destination.
Non, personne ne s'était posé la question. Sauf Léon et Gaby qui avaient bien leur petite idée sur la chose. Parce qu'ils savaient que Stanislas avait passé des examens à l'hosto et qu'il n'avait rien voulu leur dire de plus. Parce qu'ils avaient vu, deux mois plus tôt, le grand carton déjà recouvert d'un tas de terreau, de compost et de paille, posé là, tout près de la cavité fraîchement creusée. Un grand carton qu'il était, somme toute, assez facile de tirer au-dessus de soi, allongé au fond du trou.
Alors, pendant que les flics se préoccupaient enfin de la disparition, ils revenaient entretenir le jardin de Stan. Et d'une petite bouteille de derrière les fagots. Léon remplit trois verres. Il en tendit un à Gaby, prit le deuxième et, de sa main gauche, versa le troisième sur la butte.
— Santé Stan !
Ça devait grouiller de vie là-dessous.

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