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La salle de classe ressemblait à un couloir sans fin...
Et notre professeur de solfège, au visage fleur de soufre, avait la fâcheuse habitude, juste avant les cours, d'égarer ses lunettes. Tandis qu'elle les cherchait sur le vieux piano, sous les partitions de la Lettre à Élise et des multiples sonates de Domenico Scarlatti, elle nous demandait de prier.
« Bon Saint-Antoine, retrouvez les lunettes de Sœur Marie-Thérèse », ânonnions-nous.
Plus la réalisation du vœu tardait, plus l'intonation, prise pour répéter en boucle la supplique, se transformait en monocorde mélopée ou en ritournelle endiablée. Le patron des objets perdus devait veiller car, lorsque mélopée ou ritournelle dégénérait outrageusement, Sœur Marie-Thérèse retrouvait ses bésicles. Elle farfouillait alors dans une poche de sa longue jupe noire élimée pour y récupérer son diapason. « La... La... La... ». La leçon pouvait enfin commencer.
Tout, dans ce pensionnat, semblait au diapason.
« Mens sana in corpore sano », la célèbre devise de Juvénal, poète satirique de la Rome antique, était suivie à la lettre. Des séances obligatoires de gymnastique étaient, en effet, programmées. Nous empruntions, alignées en rang par trois, le boulevard de Sévigné. À l'image d'une nuée d'étourneaux sous la surveillance d'une novice dont le voile voletait dans la brise, nous nous dirigions vers l'annexe. Là-bas, dans le jardin aux fragrances de menthe sauvage, un portique muni d'une poutre en acier, à laquelle était accrochée une corde, constituait le centre de nos ébats.
Gwaroch – tel était son patronyme –, la préposée à la gymnastique un tantinet rondelette mais très tonique, nous attendait. L'échauffement consistait invariablement à nous métamorphoser, tête et colonne vertébrale baissées, en moutons... de Panurge ou de prés-salés ? Une élève plus ou moins souple et légère, plus ou moins experte en la matière, prenait appui avec ses mains sur notre dos et... hop... sautait en écartant les jambes.
La séance de saute-mouton terminée, Gwaroch déclarait : « Si vous souhaitez aller de l'avant dans la vie, mesdemoiselles, grimpez à la corde... et mouillez le maillot ! ».
Bien évidemment, nous souhaitions aller de l'avant... Quant à mouiller le maillot, c'était une autre affaire.
Le grimper de corde permettait, apprenions-nous, le renforcement des muscles, l'amélioration des facultés de coordination et la confiance en soi... Que pouvions-nous demander de plus ? L'ascension n'était cependant pas aisée pour toutes.
« Berthelet ! Imaginez-vous, un jour de tempête à Ouessant, devant le phare de la Jument ! Si vous ne grimpez pas, les flots en furie vont vous engloutir ».
Pauvre Berthelet ! Voilà bien longtemps qu'elle a dû piquer du nez dans la plume et disparaître dans l'immensité des profondeurs sous-marines !
Nous venait parfois l'envie de varier les plaisirs et de batifoler... Avec Soizick, ma complice, et Jojo pot de colle, nous faisions l'école buissonnière. Boulevard de Sévigné, à la hauteur de la petite rue menant au parc du Thabor, nous quittions les rangs... Sans tambour ni trompette... Ni vues ni connues...
Notre cours obligatoire d'éducation physique et sportive se transformait en cours facultatif d'éducation sentimentale. Auprès des statues de Diane aux seins nus et du faune flûteur, Jojo ne cessait d'évoquer son cousin. À nous en rebattre les oreilles ! À l'ombre d'un séquoia centenaire, Soizick racontait dans le détail son premier flirt. Au doux prénom de René ! Et moi, non loin du bassin aux nymphéas, je racontais mes rencontres du jeudi avec un garçon aux culottes courtes de boy-scout, au regard de réglisse, qui, des heures durant, sifflait sous ma fenêtre au quatrième étage à l'angle l'air de Bambino.
Comme il était romantique, propice à l'évasion et aux confidences le parc du Thabor !
En revanche, pour rien au monde je n'aurais séché les cours de Littérature. L'enseignante rieuse, lumineuse, à la démarche chaloupée, me subjuguait. Elle parlait si bien de Ronsard, du château de la Possonnière, de Cassandre Salviati... Et elle était si jolie ! Pour tenter de l'épater, j'étais capable de réciter par cœur des pages entières des Mémoires d'outre-tombe et la quasi-totalité des poèmes de Rimbaud.
Nous éclations de rire quand, de l'autre côté de la cloison, nous entendions Sœur Marie-Joseph traiter ses élèves de « bourriques ». De « sales bourriques »... Ou encore lorsque Miss Lavoisier ne résistait pas, pendant les interrogations écrites de Physique et de Chimie, aux effets soporifiques des pavots de Morphée. Profitant de son sommeil, nous recopiions noir sur blanc les réponses contenues dans le manuel ouvert sur nos genoux. Lorsqu'elle se réveillait soudainement, le camouflage au même instant de tous les manuels dans les pupitres faisait un retentissant claquement.
Soizick, Jojo pot de colle et moi-même rîmes beaucoup moins en constatant que, compte tenu de notre goût immodéré pour la botanique, Gwaroch nous avait octroyé d'office un zéro en éducation physique. Notre moyenne générale s'en trouva considérablement diminuée.
C'est à peu près à cette époque qu'elle baptisa les échelons chiffrés de la corde à grimper de noms délicieux à prononcer : Borlagadec, Brézellec, Kerlouan, Kernascléden, Plounéour-Trez, Quimerc'h, Rumengol... Le sommet étant le Menez Hom...
« Berthelet ! Vous n'allez tout de même pas passer le reste de votre vie à Borlagadec ! Accédez au sommet, que diable ! À 330 mètres d'altitude, le panorama est saisissant. »
Berthelet se montrait incapable de se rapprocher des nuages.
Après la grimpette, le réconfort... Quel bonheur de se réunir dans le réfectoire impeccablement tenu ! Au dessert, toujours les mêmes petits pots de mûres et de fruits rouges aux saveurs des chemins creux du Trégor, du Léon ou du Goëlo. Il convenait de déjeuner en silence afin d'écouter une élève de la classe du BEPC lire, avec le ton inapproprié d'une daurade ne comprenant strictement rien aux bulles sortant de sa bouche, un ouvrage concernant la vie de Surcouf, de Duguay-Trouin ou de Du Guesclin. Exception faite ce trimestre-là. À table, entre deux bouchées, nous découvrions la haute montagne, les cordées fantastiques, les crevasses avec Roger Frison-Roche.
L'apothéose avait lieu à la fin du mois de juin. Le jour de la Fête de la Jeunesse. Notre professeur de gymnastique, ouvrant le défilé, portait allègrement le fanion sur lequel était inscrit en lettres d'or : « Par les monts et par les grèves ».
Nous n'étions pas peu fières de lui emboîter le pas...
Tout au long de l'itinéraire menant au stade, nous chantions à tue-tête « Âmes pures, têtes dures, cœurs solides et muscles fo-o-o-ooorts... », ou encore « Sur les routes blondes, dans le soleil et dans le vent... Jeunesse de France, en avant ! »
Nous ne connaissions rien de la vie... Avions des myriades d'illusions.
Et nos couleurs étaient celles de l'insouciance... Celles aussi des monts et des grèves du beau pays breton.
***
L'occasion m'a été donnée, un été, de revoir Berthelet.
Elle tenait, au bas des remparts de Saint-Malo, une petite boutique d'espadrilles aux semelles de corde de qualité haut de gamme.
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Pourquoi on a aimé ?
Charme désuet pour ce grimper de corde qui rappellera des souvenirs tendres (ou effroyables !) à certains. L’histoire des amitiés d’antan
Pourquoi on a aimé ?
Charme désuet pour ce grimper de corde qui rappellera des souvenirs tendres (ou effroyables !) à certains. L’histoire des amitiés d’antan