Le gnome de Moly Wicks

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J'écris parce que j'aime ça, que j'ai un peu de temps et la tête remplie d'idées en tout genre. Alors ce serait vraiment dommage de ne pas les partager avec vous...

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Nouvelles :
  • Imaginaire
En entendant la porte claquer violemment derrière son dos, Moly Wicks sursaute, manquant de lâcher l'encensoir en laiton qu'elle tente vainement de suspendre au-dessus de la cheminée depuis près d'un quart d'heure. 
À son âge, les gestes simples sont difficiles, quand ils ne sont pas périlleux, et le fait d'y voir clair se révèle chaque jour un peu plus malaisé.
 Ah, mon gnome, te voilà enfin ! Où diable étais-tu passé ? Viens donc par ici me filer un coup de main ! Je n'arrive à rien avec ces fichus ongles crochus !
 Nan, j'ai pas envie !
Abasourdie, Moly Wicks se dévisse le cou pour le fixer méchamment, ses sourcils broussailleux hérissés d'indignation.  
 Comment ça, t'as pas envie ? Mais je ne te demande pas ton avis, petit foutriquet insolent, je te dis de venir m'aider 
 Et moi je te dis que j'ai pas envie, alors laisse-moi tranquille !
Le souffle coupé, et les jambes vacillantes sur le marchepied bancal qu'elle a placé contre le mur décrépi dans l'espoir d'atteindre le crochet métallique que ses petits yeux chassieux peinent à distinguer à travers le brouillard laiteux de sa cataracte congénitale, Moly Wicks en reste coite. 
Depuis quand son gnome ose-t-il se montrer aussi insolent ? Et puis c'est quoi, cette soudaine rébellion 
 Zakpog, reviens ici tout de suite !
Mais seul le bruit d'une autre porte qui claque, à l'étage, lui répond, la laissant encore plus hébétée que jamais.
 Nom d'une sangsue pétrifiée ! Qu'est-ce qui lui arrive à mon gnome ?
Avec moult précautions, Moly Wicks descend de son marchepied, une main refermée sur l'encensoir qui ne sera pas accroché aujourd'hui, et l'autre appuyée contre le mur abîmé que des colonies d'insectes répugnants s'empresseront de parcourir une fois la nuit venue.
Elle prend soin de ne pas s'empêtrer dans sa longue robe noire défraîchie, devenue trois fois trop grande pour elle à présent qu'elle n'a plus que la peau sur les os, puis se dirige d'un pas chancelant vers sa table de travail sur laquelle s'entassent grimoires, fioles, bougies, encens, cristaux et autres accessoires indispensables à son activité. Elle a quelques potions qu'il lui faut impérativement concocter avant la fin du crépuscule, mais son agacement est tel qu'elle s'expose à des loupés certains dans les dosages, les ingrédients et l'ordre à respecter en les versant. 
Zakpog est un être d'humeur facilement chafouine, ça, elle le sait, mais jamais il n'est allé jusqu'à lui claquer une porte aux oreilles. Ce n'est qu'un gnome, bon sang ! Alors, certes, il a le droit d'avoir ses petites contrariétés, mais ça ne doit en aucun cas l'empêcher d'être respectueux et obéissant envers la sorcière qui l'héberge 
Moly Wicks l'a pris sous son aile, il y a de cela un quart de siècle, alors qu'il s'embourbait dans la misère et la faim, parcourant les rues à moitié nu et effrayant les enfants qui dormaient la fenêtre ouverte. À l'époque, elle avait besoin d'un assistant mais elle ne voulait pas écumer les villes alentour pendant des semaines pour en dénicher un de vraiment fidèle et dévoué. 
Elle cherchait donc un moyen de se faciliter la tâche lorsque soudain, Zakpog l'avait percutée de plein fouet au détour d'une ruelle sordide, fuyant un homme enragé à qui il venait de faucher le portefeuille. 
De suite, elle avait vu en lui un don, non pas du ciel mais des enfers, du fait de son caractère ombrageux et obstiné. Il lui avait plu à la seconde même où ses yeux noirs de sorcière s'étaient posés sur sa face hideuse de gnome couvert de boue. Sans surprise, leur relation s'était développée dans un environnement fait d'orages, de houles et de tempêtes cycloniques, mais Moly Wicks s'en délectait. 
Jusqu'au jour où l'évidence lui tomba dessus, plus effroyable qu'une armée de dragons. Elle aimait son gnome comme une mère aime son enfant ! Elle eut beau lutter contre ces horribles sentiments, rien n'y fit, alors elle renonça et se résolut à accepter l'inconcevable.
Alors forcément, l'attitude présente de Zakpog la chiffonne. L'angoisse, même.
Elle passe ses doigts ridés sur son menton poilu, se gratte la verrue, fait de même avec son gros nez, puis fronce ses vilains sourcils gris. 
 Bon, inutile de chercher dans les grimoires, dit-elle brusquement à voix haute en baissant les yeux vers Carbone, son chat noir âgé de treize ans. Non, je sens au fond de mon âme de sorcière que le problème de Zakpog est grave et qu'il doit être traité sans attendre. Je monte lui parler !  
Comme chaque fois, l'ascension s'avère délicate, longue et épuisante, mais au terme d'une bonne dizaine de minutes, Moly Wicks parvient enfin à l'étage. Elle halète mais a encore assez d'énergie pour parcourir les trois mètres qui la séparent de la chambre de Zakpog.
 Fiche-moi la paix ! entend-elle crier avant même d'avoir toqué au battant en bois.
Là, Moly Wicks voit rouge. Elle entre sans frapper, la fureur au nez et des flammes dans les yeux.
 Dis donc espèce de sale petit...
Les mots restent bloqués dans sa gorge. Allongé sur son lit, Zakpog est en larmes. 
Son visage, déjà moche en temps ordinaire, est littéralement affreux. Pourtant, Moly Wicks sent son cœur se serrer. Elle s'approche de lui, émue de le voir dans un si piteux état.
 Raconte-moi tout, mon gnome, murmure-t-elle d'une voix qui n'a jamais été aussi douce.
Surpris, mais touché par l'attention de sa sorcière, Zakpog se livre alors sans retenue, déversant une flopée de maux enfouis depuis trop longtemps, et raconte à Moly une histoire dont elle ignorait tout. Une rencontre, un amour profond, une relation chaotique mais passionnée, des moments de joie, d'autres plus douloureux, des projets, des rires, des larmes, et puis... une rupture. 
 Je souffre trop, Moly, je veux que ça s'arrête.
 Tu veux une potion anti-douleur ?
 Aucune potion ne fera jamais disparaître la douleur que j'ai dans le cœur. Non, ce que je veux, c'est mourir.
Moly Wicks s'affaisse, le souffle coupé. 
 Alors ça, il n'en est pas question ! bredouille-t-elle en balayant fébrilement les larmes qui lui brûlent tout à coup les yeux. Tu es mon gnome et mon devoir de sorcière est de prendre soin de toi ! Je vais t'aider à aller mieux, fais-moi confiance !
Sur ce, Moly Wicks redescend, les deux mains agrippées à la rambarde pour ne pas se prendre une gamelle puis, une fois en bas, se traîne jusqu'à sa table de travail. Elle dégage tout ce qui gêne et ne conserve qu'un seul objet, celui réservé aux cas d'extrême urgence. 
Un miroir à double sens.
Elle place son visage devant, faisant fi de son teint verdâtre qui ne l'avantage pas, puis prononce la formule incantatoire nécessaire pour entrer en communication avec celles qui vont pouvoir l'aider. Des sorcières de lune, cosmiques, éclectiques, mentales, énergétiques, chamaniques et autres... Elle y passe la nuit, expliquant, suppliant, patientant, luttant contre le sommeil, mais lorsque l'aube arrive, sa table de travail croule sous tout ce que ses consœurs lui ont apporté, à califourchon sur leur balai, sur le dos de leur animal fétiche ou simplement portées par le sortilège du Ventus rapidus.  
Épuisée mais confiante, Moly Wicks se dirige alors vers son chaudron puis verse dedans les ingrédients sans même se soucier de l'ordre.
Une fois la décoction prête, elle grimpe à nouveau l'escalier, une tasse bien fumante dans sa main fripée puis frappe doucement à la porte de Zakpog. Elle entre et lui tend le breuvage.
 Tiens, bois ça mon gnome, après tu te sentiras mieux.
Zakpog la regarde, méfiant, mais ne dit rien. Il prend la tasse et en vide le contenu d'une traite.
 Il y avait quoi dedans ? demande-t-il, son affreux visage ravagé par le chagrin.
 Des écorces de courage, des cristaux de patience, des pierres de résilience, de la poussière de confiance, quelques gouttes d'espoir et deux poils de tendresse. Mes poils, précise Moly Wicks en désignant son menton. 
Zakpog baisse la tête, gêné, puis bougonne :
 Pourquoi tu t'es donné tant de mal pour moi 
 Parce que je... hum... euh... argh... t'aime, mon gnome, s'étrangle Moly Wicks.

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