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L'odeur du gazon fraîchement coupé me saisit comme je sors de l'immeuble. Chaque particule d'air semble emplie de verdure. Chaque inspiration entraîne vers mes narines une cohue insensée d'effluves frais et tonitruants. Je ferme les yeux... J'ai cinq ans et je me roule dans l'herbe au fond du jardin de grand-mère Louise. Je ris en dévalant la pente. Maman m'attrape par le bras et me gifle, car j'ai sali ma belle robe blanche.
Le quotidien était austère alors, il fallait se tenir droit à table, ne pas parler sans y être autorisée, s'habiller correctement, ne pas se tacher, être mesurée en toute chose, obéir, toujours obéir, faire fi de mes envies profondes, de mes désirs, car tout cela n'avait que peu d'importance pour Maman. Elle m'avait modelée à son image. C'est à peine si j'avais conscience de moi, tant l'ultime but de ma vie était de rendre heureuse cette femme qui n'avait pourtant rien de maternel et qui annihilait en moi toute trace de joie, de spontanéité, toute expressivité, toute affirmation de ma personne, de ma pensée, tout envol, toute liberté.
L'odeur de l'herbe coupée comme un soubresaut de joie enfantine ; ensuite, ce fut le désert, l'aridité... J'ai grandi loin de moi-même, traversée parfois par quelques pensées qui m'étaient propres. Mon corps m'était étranger.
Naïvement, j'épousai un homme dont Maman vantait la valeur et qui s'avéra affable, souriant, compréhensif pour tout autre que moi, me réservant la lie de ses humeurs, son cynisme, sa froideur, ses remarques cinglantes, jour après jour. Je rétrécissais, disparaissais et désirais vaguement l'inexistence plutôt que la souffrance inutile, stérile, imbécile que je subissais sans même savoir pourquoi. Au fil des années, j'avais totalement perdu l'odorat, le goût.
Je vivais en apnée, emplissant à peine mes poumons comme par peur d'insuffler trop de vie en moi, de prendre plus que ma part.
Après avoir ouvert mon cœur à une amie au terme d'un trop long silence, elle me fit cette injonction d'une force fulgurante, d'une beauté époustouflante : « Respire ! »
Des torrents de larmes ruisselèrent sur mes joues et mes poumons faillirent éclater tant je les emplissais d'air, comme les voiles gonflées de vent d'un navire s'éloignant du rivage.
J'ai tout quitté sans un regard, sans un regret.
L'odeur de l'herbe coupée ramène tant de choses à la surface ; toutes ces particules qui explosent de verdure saturée de souvenirs d'enfance racontent mon histoire. Les odeurs inouïes qui m'ont éveillée au monde sont inscrites en moi à jamais : le pain encore tiède qui croustille, les croissants tout chauds sortis de leur sachet en papier un peu gras, les camélias du jardin de Mamie encore trempés de rosée, la menthe frottée sur la pulpe des doigts, le citron vert tranché qui gicle en fines gouttelettes sur la peau, le flacon d'eau de violette gorgée de tendresse, la ratatouille ensoleillée de Grand-mère, son divin gâteau au chocolat embaumant la maison, le café corsé qui fait frémir les narines, l'odeur humide des sous-bois, celle, revigorante de l'herbe tout juste coupée... Chaque particule en suspens dans l'air vient titiller nos souvenirs.
Après avoir longé de vastes étendues de gazon, je pénètre dans le parc. Le parfum envoûtant des magnolias me submerge. Étourdie par cette déferlante fleurie, en pleine résurrection olfactive, je me sens bien.
Assise sur un banc, imprégnée de l'effluve sucré des magnolias, je croise le regard d'un homme qui me sourit et poursuit son chemin d'un pas léger. Je me prends à rêver... Un jour, peut-être, les mains d'un homme sur ma peau nue, un frisson et l'infinie douceur d'une caresse...
Le quotidien était austère alors, il fallait se tenir droit à table, ne pas parler sans y être autorisée, s'habiller correctement, ne pas se tacher, être mesurée en toute chose, obéir, toujours obéir, faire fi de mes envies profondes, de mes désirs, car tout cela n'avait que peu d'importance pour Maman. Elle m'avait modelée à son image. C'est à peine si j'avais conscience de moi, tant l'ultime but de ma vie était de rendre heureuse cette femme qui n'avait pourtant rien de maternel et qui annihilait en moi toute trace de joie, de spontanéité, toute expressivité, toute affirmation de ma personne, de ma pensée, tout envol, toute liberté.
L'odeur de l'herbe coupée comme un soubresaut de joie enfantine ; ensuite, ce fut le désert, l'aridité... J'ai grandi loin de moi-même, traversée parfois par quelques pensées qui m'étaient propres. Mon corps m'était étranger.
Naïvement, j'épousai un homme dont Maman vantait la valeur et qui s'avéra affable, souriant, compréhensif pour tout autre que moi, me réservant la lie de ses humeurs, son cynisme, sa froideur, ses remarques cinglantes, jour après jour. Je rétrécissais, disparaissais et désirais vaguement l'inexistence plutôt que la souffrance inutile, stérile, imbécile que je subissais sans même savoir pourquoi. Au fil des années, j'avais totalement perdu l'odorat, le goût.
Je vivais en apnée, emplissant à peine mes poumons comme par peur d'insuffler trop de vie en moi, de prendre plus que ma part.
Après avoir ouvert mon cœur à une amie au terme d'un trop long silence, elle me fit cette injonction d'une force fulgurante, d'une beauté époustouflante : « Respire ! »
Des torrents de larmes ruisselèrent sur mes joues et mes poumons faillirent éclater tant je les emplissais d'air, comme les voiles gonflées de vent d'un navire s'éloignant du rivage.
J'ai tout quitté sans un regard, sans un regret.
L'odeur de l'herbe coupée ramène tant de choses à la surface ; toutes ces particules qui explosent de verdure saturée de souvenirs d'enfance racontent mon histoire. Les odeurs inouïes qui m'ont éveillée au monde sont inscrites en moi à jamais : le pain encore tiède qui croustille, les croissants tout chauds sortis de leur sachet en papier un peu gras, les camélias du jardin de Mamie encore trempés de rosée, la menthe frottée sur la pulpe des doigts, le citron vert tranché qui gicle en fines gouttelettes sur la peau, le flacon d'eau de violette gorgée de tendresse, la ratatouille ensoleillée de Grand-mère, son divin gâteau au chocolat embaumant la maison, le café corsé qui fait frémir les narines, l'odeur humide des sous-bois, celle, revigorante de l'herbe tout juste coupée... Chaque particule en suspens dans l'air vient titiller nos souvenirs.
Après avoir longé de vastes étendues de gazon, je pénètre dans le parc. Le parfum envoûtant des magnolias me submerge. Étourdie par cette déferlante fleurie, en pleine résurrection olfactive, je me sens bien.
Assise sur un banc, imprégnée de l'effluve sucré des magnolias, je croise le regard d'un homme qui me sourit et poursuit son chemin d'un pas léger. Je me prends à rêver... Un jour, peut-être, les mains d'un homme sur ma peau nue, un frisson et l'infinie douceur d'une caresse...
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