Le Don Quichotte

Toute histoire commence un jour, quelque part. Celle-ci commence à midi dans le village du désert de Fria.
Au loin un chevalier approchait
Porté par une noble créature écarlate
Une armure aux mille couleurs sans doute machination du soleil de midi
Il était majestueux ; le hennissement rendait la vue romanesque
Le spectre disparu entre deux dunes de sable
Le vieillard sorti de la tente blanche surmontée de l’emblème sacré du village où se dessinait un étalon
La clameur au dehors l’avait averti
Le chevalier réapparut, prestant et majestueux à sept cent mètres
Une ligne se forma à l’entrée du village pour accueillir l’hôte
Le vieux fronça le sourcil et s’écria d’un ton sec : le chevalier solitaire
- Un paladin au service du peuple
« Il a donc traversé le détroit » se dit le vieux
L’éclat de l’armure aveuglait et attirait les yeux crédules
Le saint Georges vient à nous s’écria une voix dans la foule

Le vieux déballa du fond de sa pensée « laisser le vous guider »
- Tel notre berger ? Rétorqua une voix jeune, il s’agissait de Fadel.
Oui ! Sanglota le vieillard, il est vaillant et plein de courage
- Mamadou, Pathé, Moussa, et Abdou sont aussi tous vaillants reprit la voix jeune
Certes, dit le vieux, mais celui-là au loin venant à nous a parcouru le monde et ses ancêtres nous ont...
- Dominés, vous vouliez dire ?!
- Oui mais lui...
- Alors laissez-nous aller découvrir le monde au même titre que lui
- Sans doute sera-t-il trop tard jeunes gens. Dans la vie :
Il faut suivre meilleur que soi jusqu’à être à son niveau
Apprendre de ses réussites et de ses échecs
Etudier sa stratégie pour pouvoirs en faire autant
Limiter les risques d’errements jusqu’à croiser la sagesse
- Laissez-nous faire nos propres erreurs et apprendre d’elles :
Aller à la rencontre de notre risque
Mourir pour nos propres rêves
Ainsi un chemin se dessinera sur le chantier du périple

- Mais vous serez en retard
- Nous le sommes déjà, il est évident et pourtant d’aucuns disaient que nous fûmes les premiers
- Laissez-le vous instruire et vous éclairer
- Nous trouverons notre propre lumière dans nos ténèbres
Le chevalier arriva enfin, en plein centre du village,
Il n’y trouva que deux mains pour l’applaudir et une bouche pour le saluer
- N’y a-t-il que vous dans ce village ? interpella le chevalier
- Oui, répondit le vieux, il n’y a que moi. La jeunesse est partie à la quête d’aventures afin de revenir être son propre berger.

Quand la nuit tomba sur le fleuve du Bendé, le Chevalier sorti alerté par les secousses du sol. Au dehors, les feuilles des arbres tombaient et les cases vacillaient.
Une énorme créature faisait face au chevalier, rugissant tel un lion. Le jeune Fadel avait fait appel au sortilège du Ninki Nanka. Du haut de ses trois mètres, il pesait autant que deux taureaux.
Les tambours résonnèrent déchirant les ténèbres et chaque pas du Ninki Nanka humain martelait la terre qui s’affaissait sous le poids du géant.
- Hélas, je ne suis pas venu pour mourir sur cette terre bénite - dit le Chevalier - le glaive haut dans le ciel tandis qu’il dissimulait l’épée du Saint derrière son armure.
- je ne suis pas venu te tuer non plus, humain - dit le Ninki Nanka- mais je vais te montrer ce qu’aucun de tes semblables n’a jamais vu et je vais te dire ce qu’aucun de tes semblables n’a jamais entendu. Ouvre bien les yeux de ton cœur et écoute le Ninki Nanka s’exprimer à travers ma bouche. Ouvre tes oreilles pour saisir l’essentiel de mon message.
Bluffé, le chevalier se mit dans une position de combat ; le pied gauche en avant, le dos recourbé et la tête droite. Son glaive à la main droite et son bouclier sur la gauche en disaient long sur le guerrier qu’il était.
Le Ninki Nanka rugit puis souffla une tempête sur les torchent, tenues par les mages du village, qui s’éteignirent plongeant dans l’obscurité toute l’assemblée. Le chevalier ne voyait plus mais il sentait le souffle ardent du Ninki Nanka.
Il dégoulina de sueur mais savait qu’il devait se battre pour sa vie comme tant de fois par le passé.
Subitement le chevalier se sentit projeter violemment, il avait décollé du sol suite à un choc violent sur la poitrine. Les deux bras ballant et les pieds en l’air ; son casque s’était envolé et son armure fissurée. En une demie seconde le Ninki Nanka se volatilisa puis le saisi d’une main par le dos. Le Ninki Nanka atterrit avec le chevalier et à la manière d’un projectile, il s’envola avec sa victime.
Les tambours avaient recommencé à tonner de même que des chants, des incantations s’élevaient dans les airs. Ces incantations balayaient les nuages et accompagnaient comme un cri l’ascension des deux protagonistes.
Le chevalier malheureux venait de reprendre connaissance. Piégé par le bras monstrueux du Ninki Nanka, son épée sur le dos ne lui servait à rien. La peur le submergea à nouveau quand il prit conscience qu’il volait. Son ravisseur l’amenait-il au ciel ?
Ils étaient dans en endroit baigné par la lumière. La lumière enveloppait l’atmosphère où ils étaient. Les chants ne parvenaient plus. Seul le règne du silence ; rien que le silence, intimident et le Ninki Nanka, terrifiant.
- Tu as finalement eu raison de moi, dit le chevalier à son bourreau. Suis-je mort ?
- Comme je t’ai dit, je ne vais pas te tuer.
- Qu’attends tu de moi ?
- je veux te montrer ce que tu as oublié et ce que tu ignores.
- Le seigneur que je sers est ma seule connaissance, répondit le chevalier.
- et qui est ton seigneur preux chevalier ? demanda la voix rauque et grave du Ninki Nanka
- Mon seigneur est l’Amour. Je ne sers que Lui.
Le géant lâcha la prise qu’il opérait sur le chevalier. Il le regarda attentivement puis tourna le dos avant de se retourner brusquement.
Il s’approcha du chevalier duquel il s’était éloigné de plusieurs mètres. Arrivé à sa hauteur, il le dépassa et d’un claquement de doigts, un portail s’ouvrit comme par magie. Il montra au chevalier une passerelle tout en lui désignant du doigt d’emprunter le chemin.
- vas - dit le Ninki Nanka - je t’ai amené ici pour te montrer l’avenir de ma communauté que tu es chargé de guider.
Avant son arrivé dans ce désert où tout a commencé, le chevalier était chargé de défendre et de répandre l’Amour. Faisant parti d’une entité de guerriers de lumière, il menait des expéditions de combattants à travers le Vieux Monde. Détrônant des couronnés et faisant de nouveaux rois au service de l’amour. Il avait mené en tout vingt-trois expéditions de ce genre. Surnommé le Cavalier étincelant par certains, pour d’autres, il était le Don Quichotte. Son Seigneur, à la veille de son trépas lui confia un ordre caché dans le marbre.
Il a traversé le détroit avec cette instruction : il devait guider la communauté du désert vers cet amour éternel. Son Seigneur décédé, la seule raison de vivre du chevalier demeurait cet ordre.
Six mois et six jours l’avaient mené au détroit, une nuit d’octobre, où il rencontra un homme qui devait être un pêcheur dans la soixantaine. Il partagea le pain avec l’inconnu et entama une conversation qui le mènera à son but et à cette fatale rencontre avec le Ninki Naka.
Les deux hommes étaient assis à même le sol autour d’un petit feu. Le bruit des vagues rythmait le silence ambiant. Les deux hommes à un moment levaient la tête vers le ciel immense.
- La lune à cet endroit de la terre dégouline de blancheur mon cher ami, dit le chevalier au pêcheur
- Je ne connais que les lunes blanches, dit le pêcheur avec un sourire.
- A certains endroits de la terre, elle est rouge, elle est sombre. Le sang de l’innocence l’a taché.
- De ce côté-ci, la mer et le désert purifient cet astre.
- Certes - dit le chevalier - certes
Ils retournèrent chacun dans leurs pensées. Au bout d’une demie heure, le chevalier demanda au pêcheur l’endroit où il peut trouver le peuple du désert.
- il te suffit de traverser le détroit et de suivre l’étoile du Sud, répondit le pêcheur.
Sur ce dernier échange les deux hommes s’affalèrent sur leur couverture pour dormir.
Le lendemain le cavalier entreprit son ultime voyage vers son destin. Il mit en scelle son cheval qui hennit de toutes ses forces – sans doute par crainte de ce qui aller se passer.
- Ton neuvième sens, Malaw. Encore ton neuvième sens soupira le cavalier.
Le vieux pêcheur assista à la scène mais ne dit rien. Il se contenta de se recoucher ; laissant la brise du matin rendre ses minutes de sommeil complémentaires les plus douces de sa semaine de dure labeur, contre les vagues et les marais.
Au bout d’une demie heure, le chevalier atteint le détroit où il devait traverser à bord d’une embarcation de fortune.
- je vais au pays du désert dit-il au passeur.
- Tu dois parler du Bendé, le village au fleuve caché du désert.
- je ne saurais te dire comment l’on nomme cette cité
- Moi je sais - répondit le passeur – je sais où tu vas cavalier de lumière, l’autre nom du village est Fria.
Perplexe et étonné le chevalier resta placide devant ce passeur mystérieux et monta avec son cheval à bord de l’embarcation.
Le voyage dura le temps d’un sommeil. Au réveil du chevalier, le passeur amarrait son embarcation puis il indiqua au chevalier le chemin de l’ouest ; chemin qui mène à la ville de Fria.
Sur le chemin de l’Ouest, le chevalier savait qu’il devait faire face une fois de plus à son destin...
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Maintenant le chevalier était dans l’antre que lui avait indiqué le Ninki Nanka. Des sons de cloches raisonnaient à profusion puis cessèrent laissant place à un silence dominical, le silence d’une mosquée. Son souffle devenait chaud dès qu’il eut entreprit de s’enfoncer dans cette grotte sombre. Son seul réconfort étant la lumière qu’il semblait apercevoir au fond. Une voix tonique l’interpella à mi-chemin. C’est le Ninki Nanka qui parlait.
- Sais-tu combattre la guerre ? Je connais ta peur et je me suis nourri d’elle ; tu auras peur de tout même de l’Amour que tu sers. Je t’enivrerai jusqu’à ce que tu te perdes dans ton propre esprit. Tout sera noir et sombre autour de toi. Qui sera à même de te sauver si tu te fourvoie, toi le chevalier étincelant ? La destinée de tes gouvernés étant liée à la sienne vous ne pourrez échapper à mon courroux qui ne s’amenuise que par la destruction. Tu restes quand même libre de tes choix, je ne suis pas maitre de ton esprit mais j’empoisonne ton cœur par le feu sombre, le murmure.
Le chevalier se rappelant des mots de son Seigneur avant sa mort eut un sursaut et ainsi sans réfléchir, sans hésiter, d’un geste précis sa main droite sorti le glaive attaché en bandoulière ; sans trembler, il le planta dans la partie la plus lumineuse de l’astre qui lui faisait face. Tout s’écroula autour de lui tel un château de carte. Tout tomba sans bruit, seul le silence rien que lui. Pourtant quand tout tomba l’antre fut baigné par la lumière.
Le chevalier s’était souvenu que son seigneur lui disait au crépuscule de sa vie que le mal pouvait se voir dans la lumière mais que de l’obscurité peut naitre la lumière, il suffit tout simplement de trouver le mal qui se nourrit de cette lumière et de le détruire ; ainsi la lumière se rependra, libérée.
Le chevalier se retrouva, après son exploit, devant une cité illuminée, peuplée d’êtres humains raffinés avec des accoutrements tout de même bizarres.
« Mais où suis-je encore tombé » s’interrogea-t-il ? « Suis-je dans un monde parallèle ? »
De sa colline il vit d’innombrables collines parfaitement taillées qui scintillaient. Des oiseaux géants métallisés chassaient des proies invisibles.
« Le Ninki Nanka m’a trompé » se dit-il. « Je suis mort et je dois être au paradis ! »
Dans son désarroi, il rangea le glaive et réajusta son armure. Soudain une personne passa juste à côté de lui et le dévisagea. C’était une femme aux cheveux boursouflés mais brillant sous le soleil.
Il entreprit quand même de saluer la jeune femme et l’interrogea aussitôt sur l’endroit où ils sont.
- Monsieur, nous sommes à Fria
- Fria ?
- Oui, Fria. En 2070 et nous fêtons ce matin le chevalier millénaire, Le Don Quichotte.