Chaque été, pour fêter la Sainte-Anne, la ville de Camp-Perrin organise une course à pied. C'est un marathon de sept kilomètres, de Mazenod à Saut-Mathurine. J'ai douze ans seulement. Ce ne sera pas facile de grimper le morne dans une dizaine de minutes, encore moins de battre ses grands expérimentés. Ce n'est pas pour moi. Pas encore, me dit-je.
Cet impétueux désir me tourne considérablement dans la tête et me rend insupportable.
En février, pendant les vacances du carnaval, je rends visite à mon oncle. Je lui parle de la course et de ma grande envie d'y prendre part. Mon oncle Poinvien me pose mille questions sur l'organisation, l'entraînement, l'inscription, la piste.
- Tu peux courir dix kilomètres. Blandinette, vas-y ! finit-il par m'annoncer. C'est bien ma petite nièce ! Toujours forte, intelligente et prête à relever les défis. Je vais m'investir, car j'ai confiance en toi. Si tu gagnes je t'appellerai désormais ma championne.
- Ouah!
Avec d'autres amies, je m'inscris à la course pour représenter Saut-Champloy, mon quartier. Nous nous entraînons durement pendant quatre mois. Comme de vraies combattantes.
Le matin de la course, sur la ligne de départ, j'aperçois mon oncle parmi les spectateurs, qui serre fort ses deux mains pour me saluer en hurlant : « Bonne chance ma petite fille ! »
C'est moi le plus jeune ! Mais je suis déterminée. Je crois que J'y arriverai et je dois faire plaisir à mon oncle.
Tout au long de la course, je suis toujours à la tête parce que je suis légère et plus rapide que les adultes. « Lâche pas, chouchou ! » crie mon oncle.
Cependant, au bout d'une quinzaine de minutes, je quitte la piste. Ah non ! Elle se désiste ! se dit mon oncle, époustouflé. Comme il se sent déçu!
Mais moi très épuisée, je pose le pied sur le caniveau, je respire fort, prends un coup d'eau froide, puis me penche, renoue mes lacets et reprends la course derrière les neufs premiers. Poitrine en avant et les pieds écartés, je fends l'air frais de la colline merveilleuse. « Vas-y mon cœur ! » s'exclame-il avec un grand soulagement.
Quelques minutes plus tard, rapide comme le vent et meilleure qu'un cheval au galop, moi Blandinette, coquette dans mes cuissettes, le bonheur veut que je franchisse la ligne d'arrivée, à la tête, avec sérénité, sous les applaudissements de nombreux spectateurs. Mon oncle me prend dans ses bras et toute l'admiration du monde rayonne dans ses yeux.
- Tu as couru sept kilomètres en vingt minutes !
- Pas assez dur pour moi, dis-je le souffle saccadé.
Puis, m'aspergeant la tête avec une bouteille d'eau froide :
- Je ne le mérite pas, ce fameux nom ?
Oncle Poinvien me regarde et sourit.
- L'an prochain je courrai dix kilomètres. Je te le promets, mon oncle adoré.