Le Diamant Bleu

"Maître ? Vous plaisantez ? Vous pouvez me cogner, comme l'ont fait tous les autres, mais je ne vous appellerai pas maître"

Il était le plus prisé de mes bijoux, d'une beauté incroyable, mais également indomptable.
Il ne se soumettait à personne, cette phrase m'avait tellement marqué que j'en ai fini par le craindre. Vous y croyez ? Le dealer qui a peur de sa came, le dresseur de fauve qui a peur de l'une de ses créatures.
Je l'ai tellement désiré, jusqu'à tout essayer pour qu'il soit à moi, vraiment tout. Mais même s'il savait de quoi j'étais capable, il m'avait dit cette phrase avec le plus beaux des regards, un regard remplit de haine. Un regard qui était différent de celui dont j'avais droit, pour lui je ne méritais qu'un regard d'indifférence.
Il n'avait aucun point faible et il le savait, il n'avait peur de rien et il le faisait bien comprendre. Parfois je me disais que je ne faisais que prétendre sa possession.
Il était hypnotisant, envoutant et réveillait tous nos désirs les plus enfouit, rien qu'en le regardant. Il était magnifique, tout son visage était une œuvre d'art coiffé d'un noir des plus profonds et ses yeux bleus diamants étaient les plus beaux yeux du monde. Il était différent de tous mes bijoux, pour le convaincre je lui ai promis le monde, mais je savais qu'il méritait plus encore.

C'était lui et je lui ai attribué le nom de Diamond. Un nom qui le décrivait parfaitement, dur et incassable, accompagné d'une brillance qui défie les étoiles et d'une beauté convoité par tous.

J'étais un homme d'affaire, plutôt je me définissais comme tel. Mes clients les plus fidèles étaient ses hommes de pouvoirs, qui donnait l'impression de tout avoir, mais moi, j'avais ce qu'ils cherchaient dans leurs rêves les plus secrets.

Mon marché était celui des bijoux, mais mes bijoux étaient différents de ceux qui rendaient folles les femmes, c'étaient des bijoux qui rendaient fous les hommes. J'en avais trois sortes : les rubis pour faire référence aux garçons, les saphirs aux filles. Ils n'étaient pas trop jeunes, mais assez pour satisfaire. Quand ils commençaient à devenir adultes, je les transférais chez les émeraudes.

La règle était simple, un client avait le droit de choisir son bijou et pouvait passer deux heures entières en sa compagnie.
C'étaient mes pierres précieuses, mes biens les plus chères. Je n'avais que ces trois classes et cela a toujours été suffisant. Quant à eux, ils ne manquaient de rien, touchaient un pourcentage et vivaient dans une villa que j'ai surnommé la « boite à bijoux ».

J'ai toujours eu pour principe de ne jamais les toucher, mais Diamond avait éveillé un sentiment en moi, qui me poussait à bafouer toutes les promesses que j'ai pu me faire. Comment pouvais-je vaincre la tentation ? J'avais un diamant bleu sous mes yeux et comme tout homme de bon sens, j'ai voulu me l'approprier.
Il était là au milieu des bidonvilles, rien qu'en posant mes yeux sur lui, l'envie incroyable d'être le premier à pouvoir le tailler m'a subitement gagné. Mais ces mots me hantent, un autre a déjà tenté sa chance et a échoué comme moi.
Quand il a décidé de me suivre à la boite à bijoux, j'ai cédé à tous mes caprices. J'ai alors créé la classe diamant uniquement pour lui et cette classe ne pouvait exister que pour lui.
Les autres ne lui adressait pas la parole, peut-être savaient-ils qu'ils ne jouaient pas dans la même cour ou était-il trop intimidant.
Seul cette Saphir pouvait l'approcher. C'était une nouvelle, comme lui et c'est peut-être la raison qui les rendait proche. Il était différent avec elle et ça me mettait hors de moi. J'exécrais de les voir ensemble, jamais je n'aurais cru, que mon obsession puisse autant ruiner mes principes.
Cette fille n'était pas particulièrement belle, mais ses yeux ne mentaient pas, elle aimait Diamond, sauf que lui ne connaissait pas l'amour. Quand elle avait décidé de se déclarer, il lui a répondu avec son regard habituel d'indifférence : « l'amour est un sentiment sale. Le Premier Ministre aussi dit m'aimer à chaque séance et je pense même qu'il m'aime plus que toi. Moi, je n'aime personne et je ne souhaite aucunement faire vivre l'amour à qui que ce soit, personne ne mérite d'être aimée, crois-moi»
Etait-ce la goutte d'eau qui avait fait déborder son vase ? Elle voyait peut-être en Diamond ce que je voyais et n'a pas pu supporter l'illusion de ne l'avoir jamais eu, mais de l'avoir quand même perdu. Elle a même arrêté de lui parler, mais elle l'avait fait pour elle-même, car ça n'avait rien changé à la vie de Diamond.
Un mois après elle décida de s'ôter la vie, une vie dont la dernière lueur d'espoir n'était alimentée que par ces sentiments à un sens et dans le milieu, la mort était un doux cadeau que seuls les plus braves osaient s'offrir. Mais son dernier acte lui a quand même offert le plus beaux des cadeaux, elle était la seule personne que j'ai pu connaitre à avoir dessiné la tristesse dans ces yeux bleus diamants.

Il avait perdu un être qui lui était donc chère et j'ai voulu le consoler, mais au fond c'était moi je consolais à travers lui. Je ne savais rien de ce qui se passait dans sa tête, je savais seulement, que je n'y avais pas ma place. Les morts non plus n'avaient pas de place dans le monde des vivants, mais même sous sa tombe j'ai continué à détester cette saphir, car même morte je ne rivalisais pas contre elle.

Mes pensées me hantent toujours, est ce qu'elle aurait su ce qui s'était passé ce jour-là? Est-ce qu'il lui aurait tout raconté ?
Les hypothèses envahissent ma tête et ce jour me marquera sans doute à jamais.
Tout a débuté avec ce coup de feu, l'alarme qui marquait la fin de tous mes désirs. Un seul bruit qui m'a ramené à la dure réalité.
Les armes étaient strictement interdites lors des séances, mais toutes règles souffraient d'une exception et le premier ministre était l'exception de presque toutes les règles de la boite à bijoux.
Avec qui il était ? C'est là que mes pensées ont commencé à être brouillées. Si c'était un autre bijou, j'aurais eu peur d'avoir perdu mon plus gros client, mais tout était différent, car il était avec Diamond.
J'avais peur que la mort me l'ait arraché, sans même que je n'aie pu l'avoir. J'avais désespérément peur de le perdre, que j'en ai souhaité que le Premier Ministre soit celui dont le corps était troué par cette balle.
Quand je suis entré dans la chambre, il était là. Le rouge du sang défiait le bleu de ces yeux. Ces mains délicates avaient commis un crime, un crime que j'étais prêt à pardonner pour lui. Des centaines de scénarios me traversaient l'esprit, mais ma priorité était de le cacher, faute de ne pas être son maître, je voulais être son sauveur.
J'étais prêt à être son complice, son bourreau, je suis même allé jusqu'à cacher l'arme pour lui, cette arme qui me l'arrachait. Je l'ai emmené dans la voiture, cette même voiture dans laquelle il est venu pour faire partie de mes bijoux. Un emprunt, de courtes durées, qui a fait basculer ma vie entière.

Arrivé à la limite de la ville, je savais ce qui allait s'en suivre. Il partira, comme s'il n'était jamais venu. Moi, je ne serais hanté que par mes illusions, ma peine et un sentiment encore plus sale que l'amour.
Il ne m'avait même pas dit un seul mot, mais me regarda. Cette fois ses yeux brillaient, ils étaient d'un bleu étincelant à la vue de la lumière. Mais les échos sourds de ce silence m'a étouffé. J'ai fini par dire ces mots, ces mots qui me sont sortis de la bouche, afin de masquer les cris de désespoir de mon cœur. Des mots de regret, qui m'accompagneront à sa place, des mots pour témoigner de mon échec, des mots que je n'ai pu lui dire les yeux dans les yeux. J'ai alors détourné le regard, pour n'avoir aucun souvenir de sa silhouette s'éloignant de moi tout en lui disant : « va et approprie toi le monde que je n'ai pu t'offrir »