Le dernier enchantement

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Muguette la vieille sorcière, une fois arrivée au bout de sa carrière et de ses pouvoirs, se retrouve dans une situation impossible : choisir son

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Romancière fantasy & steampunk, j'aime explorer des thèmes et des genres différents à travers les formats courts.

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Il était une fois une vieille sorcière qui allait perdre ses pouvoirs. Muguette – c'était ainsi qu'elle s'appelait – en était bien ennuyée, elle qui avait toujours adoré jeter des sorts, depuis le tout premier. Malheureusement, les lois de la magie étaient ainsi faites : chaque sorcière disposait d'une quantité de magie limitée. Et la vieille Muguette sentait qu'il ne lui restait assez de magie que pour un seul enchantement. Ce dernier sortilège, elle ne voulait pas l'utiliser n'importe comment, ni sur n'importe qui. Il fallait qu'il compte, qu'il lui laisse un beau souvenir.
Muguette se rappelait parfaitement le jour où elle avait lancé son premier sort. Oh, oui ! Même si sa mémoire commençait à lui jouer des tours depuis quelques années, ce jour-là, elle ne l'oublierait jamais. Il lui suffisait de fermer les yeux pour tout revoir, comme si c'était la veille...
 
Elle était en train de lire, bien sûr. À cette époque-là, déjà, elle lisait tout ce qui lui tombait sous la main. Et une chose l'inquiétait beaucoup : la possibilité que, malgré toutes les heures qu'elle y consacrait, elle ne trouve jamais le temps de lire l'immense quantité de livres que contenait la Grande Bibliothèque.
Elle était en train de lire quand, tout à coup, une grande et belle dame avait surgi près d'elle. Une dame habillée de façon magnifique, comme les fées dans les contes, avec une somptueuse robe bleue brodée d'or et un drôle de chapeau pointu. Et la dame lui avait annoncé cette nouvelle merveilleuse et invraisemblable : Muguette était magicienne.
Elle lui avait ensuite appris comment se fabriquer une baguette, quelles formules réciter, comment puiser ses pouvoirs au plus profond d'elle-même. Après cela, la belle dame avait disparu.
 
Pour son tout premier sort, la nouvelle sorcière qu'était alors Muguette avait rajouté une heure à sa journée. Une heure rien que pour lire !
Au fil des années, d'ailleurs, elle avait continué à se rajouter des heures – il n'y en avait jamais assez. Alors vraiment, elle était bien ennuyée de n'avoir plus qu'un seul enchantement en réserve. Comment trouverait-elle assez de temps pour lire, sans magie ?
 
Elle finit par demander l'avis de son chat qui, comme d'habitude, ne l'aida pas du tout. Au lieu de lui donner un bon conseil, il lui rappela que sa magie diminuait et que, dans trois jours à peine, elle n'en aurait même plus assez pour lancer son dernier sort. Avec toutes ses hésitations, Muguette risquait de gaspiller sa magie ! Agacé par cette négligence, son chat la pressa d'utiliser son dernier sort avant qu'il soit trop tard ; sinon, ce serait lui qui la changerait en souris. (Les chats ayant, comme chacun sait, un talent certain pour semer des souris partout où ils passent.)
 
Le premier jour, la vieille Muguette décida de se rendre dans une maison de retraite. Il y avait sûrement là-dedans des gens qu'elle pourrait aider : des esseulés, des malades à soigner, des nostalgiques à remettre de bonne humeur...
Pleine de bonne volonté, Muguette passa la porte de l'établissement en prétendant rendre visite à sa sœur et déambula parmi les résidents. Elle n'aimait pas trop ces endroits qui sentaient le désinfectant et résonnaient de gémissements tristes, mais elle avait envie de faire un effort. En revanche, elle n'arrivait toujours pas à choisir à qui offrir son dernier enchantement. Toutes les personnes de cette maison en auraient eu besoin !
Au détour d'un couloir, elle entendit un petit tintement.
C'était un bruit qu'elle connaissait bien. Le bruit que toutes les sorcières percevaient lorsqu'elle passait à côté d'une d'entre elles. Curieuse, Muguette s'approcha d'une très vieille dame en robe de chambre rose. Celle-ci lui apprit qu'elle n'avait plus de magie depuis longtemps, et quand Muguette lui proposa d'utiliser son dernier sort pour apaiser ses douleurs, la très vieille dame lui répondit :
— Oh, ne gâchez pas votre magie sur moi. J'en ai assez profité. Allez plutôt rendre service à tous ces jeunes qui s'épuisent à travailler du matin au soir. 
 
Le deuxième jour, Muguette décida donc d'aller dans les locaux d'une grande entreprise. Elle s'arma de son plus beau plumeau, se fit passer pour une femme de ménage et gravit en ascenseur les innombrables étages d'une tour transparente.
Pendant de longues heures, Muguette arpenta les couloirs et visita les bureaux pour trouver une personne à secourir. Pourtant, elle fut déconcertée par tous les employés qui croisèrent son chemin, le pas pressé, l'ordinateur sous le bras et le téléphone collé à l'oreille. Quelques-uns semblaient anxieux, d'autres ambitieux, d'autres encore plaisantaient autour d'un café.
Certains auraient sans doute eu besoin de son aide, mais aucun n'avait l'air de vouloir s'en remettre à la magie d'une vieille sorcière. Ce genre de chose, c'était dépassé. Ils avaient la technologie, maintenant, les emails, les calls, les meetings, le consulting, les team buildings, les afterworks et les happiness officers – ce que tout ça pouvait désigner, Muguette n'en avait pas la moindre idée.
Mais ce dont elle était sûre, c'est que dans un endroit comme celui-là, personne ne se souviendrait d'elle.
 
Elle quitta la grande tour et rentra chez elle, aussi déconfite que son plus vieux fauteuil. Elle ne s'était jamais sentie inutile et démunie comme ces deux derniers jours. Jusqu'à présent, la magie avait rendu sa vie colorée, surprenante et pimpante, pleine de découvertes et de rebondissements rocambolesques.
Quand Muguette songeait à ce que serait sa vie, plus tard, sans enchantement, elle en avait presque les larmes aux yeux. Elle avait toujours su, pourtant, que ce moment allait venir. La belle dame si bien habillée l'avait prévenue : sa magie serait immense, mais pas infinie.
Et elle l'avait ressenti, chaque jour depuis celui-là. À chaque philtre qu'elle concoctait, chaque maléfice qu'elle lançait quand ses voisins faisaient trop de bruit, une toute petite parcelle de quelque chose semblait s'échapper d'elle. Après tant d'années, elle devait bien admettre qu'elle se sentait un peu usée.
Muguette alla se coucher, si découragée que même son livre préféré n'arriva pas à la dérider. Elle devait utiliser son dernier sort le lendemain, sans faute, sous peine de devenir une souris pourchassée par son propre chat.
 
Le troisième jour, ne sachant plus trop quoi faire, Muguette alla se promener dans le parc à côté de chez elle. Elle grimaça en constatant que des tas d'enfants étaient venus y jouer. Muguette n'aimait pas vraiment les enfants. Ils criaient, ils couraient dans tous les sens, ils dérangeaient les choses et ils tiraient sur la queue de son chat. Muguette hésita à utiliser son dernier maléfice pour les piéger dans le bac à sable pendant toute une semaine. Mais non, elle n'était pas d'humeur.
Avec un soupir, elle se résigna à rentrer chez elle. Tant pis, elle emploierait son sort à rembourrer son vieux fauteuil, ce serait toujours ça de pris.
 
Soudain, elle entendit un petit tintement.
Un tintement qu'elle connaissait bien. Elle se retourna et découvrit, assis sur un banc, un jeune garçon qui lisait. Non, il ne se contentait pas de lire : il dévorait son histoire, page après page, le nez tout près des lignes comme s'il avait envie d'y plonger.
En dehors de cela, c'était un garçon tout à fait normal – sauf que c'était lui qui tintait.
 
Alors, la vieille Muguette sourit. Elle savait enfin ce qu'elle avait à faire et comment utiliser son dernier sort.
D'un geste plein d'émotion, elle tira de sa poche sa vieille baguette toute noueuse. Avec la dernière magie qu'il lui restait, elle s'habilla de façon magnifique, comme les fées dans les contes, avec une somptueuse robe violette brodée d'argent et un drôle de chapeau pointu.
Le jeune garçon l'aperçut et releva la tête avec stupeur.
Le cœur battant, le sourire aux lèvres, Muguette s'avança vers lui, tout heureuse de lui annoncer une nouvelle merveilleuse et invraisemblable.
 

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