Toute histoire commence un jour, quelque part, et se termine de la même façon. C'est ce qu'avait toujours pensé Maxine, même étant petite, ce qui se traduisait alors par une aversion sans borne pour les contes débutant par la fameuse formule "il était une fois, dans d'un pays lointain", et plus encore quand ils se finissaient sur un vague "ils se marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants".
Aujourd'hui maman à son tour, elle prenait grand soin de ne pas user de ces conventions insupportables lorsqu'elle racontait une histoire à ses enfants. Son mari aimait la taquiner à ce sujet. Ainsi quand il savait qu'elle l'écoutait raconter une histoire, il s'appliquait à la commencer soit par un "il était une fois" très appuyé, soit par une description ridiculement précise du lieu et du moment. Cela faisait pouffer les petits et sourire Maxine qui tournait volontiers sa petite manie en dérision, persuadée qu'elle était bien inoffensive.
Un soir d’avril, Maxine rentra chez elle d’humeur légère, comme tous les autres soirs. Elle fut accueillie avec effusion par ses fils, puis alla embrasser son mari qui préparait le dîner. Elle fronça les sourcils devant son air renfrogné.
« Quelque chose ne va pas ? demanda-t-elle, surprise.
- Il faut que tu ailles parler à ta fille.
- Pourquoi, qu’est-ce qu’il se passe ?
- Elle a quitté Bastien.
- Oh non, pauvre bichette... Mais attends, on n’avait pas dit que c’était toi qui gérais le premier chagrin d’amour ?
- Si, mais là c’est différent. Tu devrais y aller. »
Cette affirmation très péremptoire laissa Maxine perplexe, mais elle faisait confiance au jugement d’Emilien et ne se fit pas prier pour monter voir leur aînée. Une fois devant la porte, elle prit une profonde inspiration. Elle ne se sentait pas prête à affronter ça, il lui avait déjà été dur de réaliser que sa fille, à treize ans, était assez grande pour avoir un amoureux, alors pour le perdre...
Elle toqua doucement et attendit en retenant son souffle que la voix de Camille lui réponde. Sa fille était assise à son bureau, devant un cahier d’histoire, les yeux un peu rouges et l’air un peu las.
« Salut ma Camillette. »
A la mention de ce surnom, la jeune adolescente coula un regard soupçonneux à sa mère.
« Papa t’a dit, déduisit-elle.
- Oui, je suis vraiment désolée pour toi ma puce, tu dois être triste, et déçue. Est-ce que tu veux me raconter ce qu’il s’est passé ? »
Camille soupira et repoussa sa chaise pour faire face à sa mère.
« C’était ce midi, dans la cour, relata-t-elle. On parlait avec des correspondants anglais qui sont au collège avec nous cette semaine, tu sais ? Et une fille a demandé à Bastien depuis quand on était ensemble. Et il a dit que ça avait commencé à la fête chez Méline, il y a 5 mois. Mais on était déjà ensemble depuis presque une semaine, à cette soirée !
- Et c’est ça qui t’ennuie ?
- Maman, on n’a pas le même début ! s’indigna Camille. Toi tu devrais comprendre ça, c’est super important, le début ! Et lui il n’a pas le bon. Si on n’est pas d’accord sur ça, alors on n’est pas du tout sur la même longueur d’onde, sans doute pour plein de choses ! Et ça veut dire qu’il se fiche pas mal du vrai début.
- Et pourquoi est-ce qu’il pense que c’est cette soirée-là, le début, lui ? Tu lui as demandé ?
- Non, avoua l’adolescente d’une petite voix avant de s’emporter de nouveau. Mais tout ce qu’il y a eu de spécial à cette soirée c’est qu’on s’est embrassé pour la première fois ! S’il n’y a que ça qui compte pour lui, qu’est-ce que ça dit de sa vision de notre relation ? Je suis là que pour ça, moi ? Il s’en fiche de ce que je pense ou ce que je dis, je suis rien qu’une potiche à embrasser ? »
Maxine secoua la tête et tenta de calmer sa fille avant de lui répondre d’une voix douce.
« Camille, bien sûr que savoir quand et où tout à commencé est important, mais ça ne veut pas dire qu’il faut que le début soit le même pour tout le monde. Chacun a le droit à sa version de l’histoire. Tiens, par exemple, ton histoire à toi, si tu devais faire ton autobiographie, tu la commencerais où et quand ?
- Et ben, à la maternité, le jour de ma naissance.
- Et si moi je devais faire ta biographie, je ne choisirais pas ce début, parce que pour moi ton histoire commence le jour où j’ai su que j’étais enceinte de toi. Et si on demandait à ton père, peut-être qu’il aurait encore un début différent. Mais je ne vois pas ça comme un problème. Pour toi, la fête chez Méline c’était « juste » votre premier baiser, mais peut-être que c’est autre chose pour lui. Peut-être qu’avant ce baiser il n’osait pas croire qu’une fille si extraordinaire voulait bien être sa copine. Peut-être que c’était une soirée importante parce que c’est la première fois que vous vous voyiez en dehors du collège. Peut-être qu’il s’est passé autre chose qui ne compte pas pour toi mais qui compte pour lui. Peut-être que c’est le jour où il s’est rendu compte qu’il était amoureux. Tu devrais l’appeler pour le lui demander. Et si tu n’aimes pas sa réponse, là tu peux éventuellement rompre avec lui. Mais laisse-lui au moins une chance. »
Camille, n’ayant jamais eu envie de se séparer de son amoureux, se laissa convaincre assez facilement. Sa mère redescendit pour faire un compte-rendu à son mari. Une fois le soulagement passé, son visage se renfrogna.
« Tes petites superstitions ont failli causer des dégâts, reprocha-t-il sévèrement.
- Oh, Lili, s’amusa l’accusée, failli est le mot clé dans l’histoire. Si j’ai réussi à les rabibocher en moins de dix minutes, c’est que ça n’aurait pas été une crise majeure, et si ça n’avait pas été à cause de mes « petites superstitions », ça aurait été à cause d’autre chose. Ils ont 13 ans. »
Emilien aussi se laissa persuader sans lutter. Il appela les garçons pour le dîner et attendit avec anxiété de voir avec quel visage sa fille les rejoindrait.
Toute histoire commence un jour quelque part et se termine de la même manière. Celle de la première dispute amoureuse de Camille commença un midi d’avril, dans la cour du collège, et se termina le soir même, dans sa chambre.
Aujourd'hui maman à son tour, elle prenait grand soin de ne pas user de ces conventions insupportables lorsqu'elle racontait une histoire à ses enfants. Son mari aimait la taquiner à ce sujet. Ainsi quand il savait qu'elle l'écoutait raconter une histoire, il s'appliquait à la commencer soit par un "il était une fois" très appuyé, soit par une description ridiculement précise du lieu et du moment. Cela faisait pouffer les petits et sourire Maxine qui tournait volontiers sa petite manie en dérision, persuadée qu'elle était bien inoffensive.
Un soir d’avril, Maxine rentra chez elle d’humeur légère, comme tous les autres soirs. Elle fut accueillie avec effusion par ses fils, puis alla embrasser son mari qui préparait le dîner. Elle fronça les sourcils devant son air renfrogné.
« Quelque chose ne va pas ? demanda-t-elle, surprise.
- Il faut que tu ailles parler à ta fille.
- Pourquoi, qu’est-ce qu’il se passe ?
- Elle a quitté Bastien.
- Oh non, pauvre bichette... Mais attends, on n’avait pas dit que c’était toi qui gérais le premier chagrin d’amour ?
- Si, mais là c’est différent. Tu devrais y aller. »
Cette affirmation très péremptoire laissa Maxine perplexe, mais elle faisait confiance au jugement d’Emilien et ne se fit pas prier pour monter voir leur aînée. Une fois devant la porte, elle prit une profonde inspiration. Elle ne se sentait pas prête à affronter ça, il lui avait déjà été dur de réaliser que sa fille, à treize ans, était assez grande pour avoir un amoureux, alors pour le perdre...
Elle toqua doucement et attendit en retenant son souffle que la voix de Camille lui réponde. Sa fille était assise à son bureau, devant un cahier d’histoire, les yeux un peu rouges et l’air un peu las.
« Salut ma Camillette. »
A la mention de ce surnom, la jeune adolescente coula un regard soupçonneux à sa mère.
« Papa t’a dit, déduisit-elle.
- Oui, je suis vraiment désolée pour toi ma puce, tu dois être triste, et déçue. Est-ce que tu veux me raconter ce qu’il s’est passé ? »
Camille soupira et repoussa sa chaise pour faire face à sa mère.
« C’était ce midi, dans la cour, relata-t-elle. On parlait avec des correspondants anglais qui sont au collège avec nous cette semaine, tu sais ? Et une fille a demandé à Bastien depuis quand on était ensemble. Et il a dit que ça avait commencé à la fête chez Méline, il y a 5 mois. Mais on était déjà ensemble depuis presque une semaine, à cette soirée !
- Et c’est ça qui t’ennuie ?
- Maman, on n’a pas le même début ! s’indigna Camille. Toi tu devrais comprendre ça, c’est super important, le début ! Et lui il n’a pas le bon. Si on n’est pas d’accord sur ça, alors on n’est pas du tout sur la même longueur d’onde, sans doute pour plein de choses ! Et ça veut dire qu’il se fiche pas mal du vrai début.
- Et pourquoi est-ce qu’il pense que c’est cette soirée-là, le début, lui ? Tu lui as demandé ?
- Non, avoua l’adolescente d’une petite voix avant de s’emporter de nouveau. Mais tout ce qu’il y a eu de spécial à cette soirée c’est qu’on s’est embrassé pour la première fois ! S’il n’y a que ça qui compte pour lui, qu’est-ce que ça dit de sa vision de notre relation ? Je suis là que pour ça, moi ? Il s’en fiche de ce que je pense ou ce que je dis, je suis rien qu’une potiche à embrasser ? »
Maxine secoua la tête et tenta de calmer sa fille avant de lui répondre d’une voix douce.
« Camille, bien sûr que savoir quand et où tout à commencé est important, mais ça ne veut pas dire qu’il faut que le début soit le même pour tout le monde. Chacun a le droit à sa version de l’histoire. Tiens, par exemple, ton histoire à toi, si tu devais faire ton autobiographie, tu la commencerais où et quand ?
- Et ben, à la maternité, le jour de ma naissance.
- Et si moi je devais faire ta biographie, je ne choisirais pas ce début, parce que pour moi ton histoire commence le jour où j’ai su que j’étais enceinte de toi. Et si on demandait à ton père, peut-être qu’il aurait encore un début différent. Mais je ne vois pas ça comme un problème. Pour toi, la fête chez Méline c’était « juste » votre premier baiser, mais peut-être que c’est autre chose pour lui. Peut-être qu’avant ce baiser il n’osait pas croire qu’une fille si extraordinaire voulait bien être sa copine. Peut-être que c’était une soirée importante parce que c’est la première fois que vous vous voyiez en dehors du collège. Peut-être qu’il s’est passé autre chose qui ne compte pas pour toi mais qui compte pour lui. Peut-être que c’est le jour où il s’est rendu compte qu’il était amoureux. Tu devrais l’appeler pour le lui demander. Et si tu n’aimes pas sa réponse, là tu peux éventuellement rompre avec lui. Mais laisse-lui au moins une chance. »
Camille, n’ayant jamais eu envie de se séparer de son amoureux, se laissa convaincre assez facilement. Sa mère redescendit pour faire un compte-rendu à son mari. Une fois le soulagement passé, son visage se renfrogna.
« Tes petites superstitions ont failli causer des dégâts, reprocha-t-il sévèrement.
- Oh, Lili, s’amusa l’accusée, failli est le mot clé dans l’histoire. Si j’ai réussi à les rabibocher en moins de dix minutes, c’est que ça n’aurait pas été une crise majeure, et si ça n’avait pas été à cause de mes « petites superstitions », ça aurait été à cause d’autre chose. Ils ont 13 ans. »
Emilien aussi se laissa persuader sans lutter. Il appela les garçons pour le dîner et attendit avec anxiété de voir avec quel visage sa fille les rejoindrait.
Toute histoire commence un jour quelque part et se termine de la même manière. Celle de la première dispute amoureuse de Camille commença un midi d’avril, dans la cour du collège, et se termina le soir même, dans sa chambre.