Toute histoire commence un jour, quelque part. Et c’est à partir de ce jour que tout bascule, que notre vie change. Pour Patrick ce fut le jour où il posa les yeux sur Alice. Alice, beau morceau de femme, teint d’ébène, de la pointe de ses cheveux au bout de ses orteils, tout respirait la beauté féminine. Alice se distinguait des autres demoiselles africaines par son attachement au naturel. En effet, elle n’arborait ni mèches artificielles, ni faux cils, et ne se pommadait qu’au beurre de karité, et c’est dire que cela lui réussissait bien. Parmi les jeunes filles du quartier, elle était celle qui sans conteste attirait le plus les regards. Ses formes généreuses et taillées en forme de guitare avaient donné maints torticolis aux jeunes hommes qui ne se gênaient nullement pour se retourner et la regarder furtivement au passage.
Patrick avait fait lui aussi les frais de cette beauté, et il ne trouvait plus le sommeil, il là lui fallait coûte que coûte, vaille que vaille. Comment ce pauvre bougre avait-il succombé aux charmes de cette sirène sortie tout droit d’un mythe grec ? Patrick était en classe de Terminale D au Lycée du quartier, Alice quant à elle était en Terminale A. A première vue, pas possible qu’ils se rencontrent, mais c’était sans compter sur un coup de pouce du sort. Des travaux ayant rendus la salle des Terminale A indisponible, il leur avait été proposé d’occuper celle des Terminale D qui justement avaient une heure creuse en ce moment. Et voilà les élèves de Terminale D qui sortent, tandis que ceux de Terminale A rentrent, dans la mêlée, Patrick tombe sur un petit visage qu’il n’oubliera plus : celui d’Alice. Et voici le jeune homme amoureux comme Roméo l’était pour Juliette, sauf que dans cette histoire, la Juliette n’était pas encore Juliette.Il l’épiait chaque jour à sa sortie des cours, et un jour alors qu’elle s’apprêtait à sortir de sa salle, il tenta sa chance :
- Bonjour mademoiselle lui dit-il
Elle lui répondit par un bref signe de la tête car elle était en train de ranger son sac et cherchait à rentrer à la maison. De plus elle s’était habituée à se faire saluer par les hommes et ne prêta donc pas grande attention à cet énième visiteur importun. Il renchérit de plus belle
- Mademoiselle, je vous salue, ayez au moins l’obligeance de répondre convenablement
Cette fois ci, elle leva les yeux et examina l’intrus de la tête aux pieds. Elle aurait bien voulu l’envoyer paitre mais l’éducation que lui avait donné sa mère le lui interdisait, alors elle dit :
- Bonjour, monsieur, excusez-moi mais je suis un peu prise par le temps
Patrick sentit que la situation allait lui échapper, alors il joua son va-tout :
- On m’avait dit que vous étiez belle mais ce n’étaient que des rumeurs
Alice se sentit piquée au vif et elle lui lança un regard dur en lui rétorquant :
- Ah bon ?? Et que faites-vous là alors ? Vous voulez juste me retarder ?
- Non vous n’êtes pas belle renchérit Patrick, vous êtes magnifique
Les européennes ont une particularité, elles rougissent en cas d’émotion forte, ce qui fait que l’interlocuteur sait s’il a fait mouche ou pas, mais avec les africaines aucun signe extérieur d’émotion n’est perceptible et il faut alors être très attentif. Dans ce cas, Alice était complètement désarçonnée. Elle était familière des flatteries mais ce jeune homme avait une manière assez particulière de les faire. Contre toute attente elle reprit :
- Je suis une créature du bon Dieu, c’est normal que je sois magnifique lui lança-t-elle sans perdre de sa superbe.
- Oui oui, il parait que tout ce que Dieu fait est bon, et celle qui est devant moi est très bien faite.
- Alléluia fit la jeune fille en levant les bras au ciel. Cher monsieur je vous remercie pour toutes vos flatteries mais je vais devoir prendre congé de vous dit-elle en empoignant son sac qu’elle avait fini de ranger
- Mais je ne connais même pas votre prénom, vous demander de me le donner ne vous l’ôterai pas.
- Chaque chose en son temps mon cher monsieur, aujourd’hui les salutations et les flatteries, demain peut-être les présentations, sur ce je pars.
Elle avait sa manière bien à elle d’éconduire les prétendants, elle avait déjà un homme dans sa vie et comptait lui rester fidèle, de plus elle se focalisait sur ses études, elle chassait donc de son sillage toute choses qui nuirait à son objectif.
Patrick quant à lui ne comptait pas rester sur cet échec, jour après jour, il sentait que son affection pour Alice grandissait. Et jour après jour, il trouvait toujours un temps pour passer dans la salle d’Alice afin de se rappeler à son bon souvenir. Patrick n’était pas laid et en plus il savait parler aux femmes, donc elles tombaient toutes à ses pieds. Mais Alice était d’un autre moule et bien décidée lui compliquer la tâche. La chance lui sourit cependant.
Pendant les congés de Noël, il aperçut Alice attablée dans un glacier avec ses copines, il alla s’asseoir dans un endroit du glacier d’où il pouvait voir sans être vu par la jeune demoiselle. Alice et ses amies comme à leur habitude papotèrent sans se douter qu’elles étaient observées. La discussion était tellement joyeuse qu’une amie d’Alice renversa par mégarde le contenu de son pot de glace sur le chemisier de cette dernière, Patrick bondit alors de son siège et en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire il fut auprès de l’infortunée un mouchoir à la main. Alice était à la fois surprise et ravie. Surprise de voir Patrick surgir comme un beau diable de sa boite mais ravie par ce geste d’attention. On peut dire que cela fit mouche car les filles invitèrent le jeune homme à leur table. Ils passèrent alors l’après-midi tous ensemble, Patrick put même raccompagner Alice jusqu’à sa porte.
- Tu as l’air d’un type bien lui lança Alice, et ta compagnie est appréciable mais laisse-moi te dire que j’ai quelqu’un de ma vie, ne va pas t’imaginer des choses.
- Laisse-moi te tenir compagnie, le reste on verra lui répondit Patrick avec un sourire qui en disait long sur ses intentions.
Ils passèrent les fêtes du Nouvel An ensemble et naturellement ils se retrouvèrent au lycée à la fin des congés. Alice commençait à s’habituer à la présence de Patrick avec qui désormais elle rentrait chaque soir. Son homme était hors du pays pour un long moment et cette nouvelle présence masculine près d’elle lui permettait de sentir le temps moins long.Jour après jour, semaine après semaine, invitation après invitation, Alice sentait Patrick s’insinuer dans son cœur, et ce sentiment commençait à lui procurer une certaine gêne.Elle refusait de s’avouer que ce jeune homme commençait à lui plaire. Elle continuait donc de feindre l’indifférence vis-à-vis de lui. Mais ne dit-on pas que la chair est faible ? Un soir après les cours, Alice ne reçut pas la visite habituelle de Patrick dans sa classe, elle essaya de le joindre au téléphone mais il sonnait dans le vide. Le lendemain ce fut le même scenario, elle entreprit donc de passer le voir en weekend si la situation perdurait. Le samedi vint et elle était toujours sans nouvelles de lui, n’étant pas habituée aux camarades de Patrick elle n’avait pas voulu leur poser de questions. Elle se rendit donc directement dans sa cour familiale. Sa mère la reçut courtoisement et l’informa que Patrick était alité depuis le début de la semaine mais son état s’améliorait de jour en jour. Sur ce, Patrick sortit de la chambre.
- Bonjour Alice dit-il, visiblement surpris de la voir chez lui
- Bonjour lui répondit elle, faisant mine de se fâcher, tu aurais pu répondre à mes appels, je me suis vraiment beaucoup inquiétée
- Tu as raison mais la maladie m’avait vraiment sonné, je n’ai pas eu pas le choix
- Pas de soucis je te comprends, comment te sens tu maintenant ?
- Dieu fait grâce, ce n’est pas aujourd’hui que la faucheuse m’emportera
Un grognement désapprobateur de sa mère le ramena à l’ordre sur cette dernière phrase. Parait que ça porte malheur de défier la mort.
- Je dois aller voir une voisine, leur dit la mère de Patrick, puis s’adressant à Alice, tiens lui compagnie s’il te plait en mon absence, ça fait un peu longtemps qu’il n’a pas vu le monde extérieur, tu pourras aussi l’aider à se mettre à jour pour les cours qu’il a raté.
Après le départ de la dame, Patrick et Alice restèrent au salon à bavarder, puis Patrick voulut faire le tour du propriétaire à Alice. La maison de 3 pièces n’était pas grande mais avait une terrasse et une arrière-cour qui lui donnait du charme dans ce beau quartier résidentiel. Patrick voulu montrer sa chambre à Alice, enfant unique de ses parents, il jouissait de nombreux privilèges dont celui d’avoir une chambre rien qu’à lui.Ils s’assirent sur le lit et continuèrent leur causerie. Patrick saisit alors l’instant pour rappeler à la demoiselle la flamme qui lui brulait le cœur.
- Tu es vraiment incorrigible dit-elle en riant, tu es convalescent et tu penses à flirter ?
- Oui c’est vrai mais ta présence près de moi m’a guéri, je me sens mieux que jamais.
La discussion prenait une autre tournure, Alice le savait elle était dans de beaux draps, au sens propre comme figuré, A ce moment le désir en elle parla plus fort que sa raison, elle s’abandonna donc dans l’ivresse de l’amour dans les bras de Patrick. Elle ne redescendit de son nuage qu’une fois le fruit défendu consommé.
Comme le disait un penseur, le vin est tiré, il faut le boire, Alice et Patrick étaient donc par la force des choses devenus amants, ils se voyaient donc régulièrement dans des hôtels où quand les parents étaient absents à leur domiciles respectifs. Cependant une ombre venait obscurcir le tableau, Patrick remarquait que lors de leurs ébats, Alice lui refusait l’accès à ses seins et à sa bouche, il n’avait droit qu’au coït, une fois l’acte passé, la jeune fille se rhabillait aussi rapidement qu’elle s’était dévêtue. Dans les premiers temps, il avait pris son mal en patience et avait mis cela sur le compte de la timidité et de la pudeur, mais le temps qui passait lui faisait prendre conscience qu’Alice le faisait sciemment. Il entreprit donc de lui poser la question un jour alors qu’ils cheminaient ensemble vers la maison.
- Dis-moi Alice te sens tu bien avec moi ?
- Pourquoi cette question ? Répondit-elle
- Je constate que lors de nos rapports tu ne te donne pas à fond, j’ai l’impression que tu es réticente
- Je te comprends mon cher Patrick mais ce serait compliqué à expliquer pour le moment.
Le reste de la marche se passa donc en silence jusqu’à la maison. La relation entre eux deux se poursuivi donc, inchangée.
Un jour, Alice reçut un appel de l’étranger, c’était son homme qui revenait, il avait pris des congés et venait pour passer du temps avec sa famille et avec elle. A vue d’œil, Alice était heureuse mais intérieurement elle était rempli de stress. Comment annoncer la nouvelle à Patrick ? C’est vrai qu’il savait que la partie n’était pas gagnée pour lui mais cela allait lui faire un choc.Néanmoins il fallait qu’elle prenne ses responsabilités vis-à-vis de lui.
Patrick était inquiet, l’appel d’Alice ne lui disait rien qui vaille, son ton était monotone et elle avait dit cette phrase que tout homme redoute de la part d’une femme : il faut qu’on parle. Il n’avait pas eu d’autre choix que de se rendre au rendez-vous de sa dulcinée.
Elle l’attendait, parée de ses plus beaux atours, chez elle. Il vint la retrouver. Elle lui dit alors ce qu’elle avait sur le cœur :
- Mon homme vient de rentrer, dit-elle, il faut qu’on arrête de se voir toi et moi
- Comment ça ? Avec tout ce qu’on a vécu pendant ces mois, tu oses me dire ça ? il compte donc toujours pour toi ?
- C’est vrai que nous avons vécu de beaux moments mais toute chose aussi belle soit elle a toujours une fin
- Mais tu t’es abandonné plusieurs fois à moi, tu m’as livré ton corps et je t’ai offert le mien, cela n’a donc pas d’importance pour toi ?
Un silence s’établit alors, Alice reprit au bout d’interminables secondes
- N’a tu jamais remarqué que pendant nos moments d’amour je ne te laissais jamais m’embrasser ou me caresser, que je m’empressais de prendre une douche après avoir fini ? je t’ai certes offert mon corps mais j’en ai gardé le contrôle, je t’ai offert mon corps mais pas mon cœur et celui-ci, seul mon homme peut en revendiquer la propriété.
Patrick, qui jusque-là avait tenu bon laisse s’échapper une larme, mais Alice restait imperturbable, elle avait revêtue son masque le plus froid et s’apprêtait à donner le coup de grâce à l’infortuné.
- Vois-tu, le corps d’une femme est plein de mystères, il donne la vie mais peut également en détruire une autre, il donne du plaisir à qui sait se l’approprier mais également de l’amertume. Seule une femme sait en quelle arme elle peut transformer son corps, offensive ou défensive, tout dépend de l’enjeu. Une femme peut s’offrir à un homme tout en aimant un autre, c’est ainsi la vie. J’ai voulu te préserver mais tu t’es entêté, aujourd’hui nous voilà dos au mur et c’est toi que je choisis de sacrifier. Ne m’en veux pas s’il te plait, garde de nous les beaux moments et surtout tâche d’être heureux avec une autre.
Patrick avait à peine écouté ce long monologue, il savait que c’était fini, il se leva de la chaise, ferma la porte derrière lui et repartit chez lui plein de tristesse. Derrière cette porte qu’il venait de fermer, une jeune demoiselle qui jusque-là était resté imperturbable, éclata en sanglots.