Toute histoire commence un jour, quelque part, mais les plus belles histoires naissent et meurent en nos cœurs... La véritable face de la vie m’a été révélée à une belle aurore, alors que j’arpentais désabusée les ruelles mirobolantes d’un ciel nouveau. J’ai été naïve de me fier à la candeur de mon esprit parce que pour moi, le ciel devrait être bleu partout. C’est vrai que c’est ce que l’on voit mais, la réalité en est toute autre. Je n’ai pu m’empêcher de rêver durant des jours et des nuits, parée de mes haillons, et armée de mon piano, tandis que la beauté exaltante de la vie se déroulait sous l’innocence de mon regard. La vie est belle ! Oui elle est belle quand on le décide, disent si bien les adultes mais des fois, leurs efforts ne suffisent pas pour les libérer de l’inconfort ou de l’incompris. Je ne l’avais pas vu venir celle-là, j’ai été arrachée à mon monde, au conte de fée de mon cœur, à la caverne de mes plus belles histoires irréalisées. Transportée dans une réalité nouvelle, j’ai découvert malgré moi que pour s’en sortir des fois, il fallait accepter la vie même dans ses côtés les plus obscurs et faire semblant d’emprunter la peau d’un autre. J’étais dans la peau d’une autre, mon piano sous le bras, arpentant les ruelles de l’épreuve, de la douleur, des larmes, et même de la joie et des fous rires, quelques fois entourée d’inconnus qui me tendent la main ; je les vois encore venir vers moi. J’ai vite compris que la vie est une symphonie, et que ce sont ses variations qui nous font vivre. Tantôt des mineurs et d’autres fois des majeurs. Dans les derniers, l’être est exalté, l’ego est repu et la quintessence de l’esprit est à son paroxysme, mais rien de tel pour rappeler la force des mineurs qui nous forgent et contribuent à l’essence même de notre existence. Comme pour beaucoup d’autres, je suis une passagère vagabonde de la vie, à la ceinture serrée, sacoche en bandoulière et piano sous les bras sur des airs de la balade, une paille au bout du bec, tel un oiseau voltigeant sous le ciel doré de délicieuses prairies. Je ne suis jamais vraiment à ma place sauf dans mes haillons rafistolés, jeans effiloché, baskets usés, tiens il me manque une casquette, peut-être même deux ou trois ou plus qui sait ! J’ai bien compris que les hommes aiment voir ce que leurs yeux recherchent et non ce que leur cœur approuve. Je suis sûre qu’avec plusieurs casquettes, je voyagerai à travers les paysages, ainsi leur donnerai-je à chaque fois, ce qu’ils veulent voir, mais bien souvent dans la peau d’une autre. Ils n’accepteraient pas mes haillons. Hélas ! S’ils pouvaient voir ce qui s’y cache.
Dans mon cœur se cachent d’intenses émotions et pour trésor, je ne possède rien d’autre hélas ! Voici déjà cinq années que dure ce voyage, un long périple vers le bonheur. Dans la profondeur de la nuit, quelques fois croisant ma route, des lutins, des fées et des elfes, me montrant le chemin à suivre, mais jamais à mon réveil, je ne pus me retrouver. La vie est belle en rêve c’est vrai. Mais je suis sûre qu’elle pourrait l’être encore plus, en vrai. Seulement, l’unique chemin semble introuvable.
En descendant du minicar ce matin j’aperçus à l’autre bord de la rue, un vieil antiquaire astiquant ses dernières recrues.
– Holà Amigo ! Lui criai-je.
Un pas dans la cabine et le décor m’assomme. Me voici soudain en plein désert, sous mon ciel bleu, celui que je connais. Les dunes de sable, le vent frais et sec, les hommes aux traits fins, avec leurs chèches, couleur de peau mi- noire ou mi- blanche peut-être blanc ou noir quelle importance ? Ce qui compte c’est qu’ils sont beaux. D’un autre côté de la cabine, sur une vieille toile aux couleurs acariâtres, une noix de coco. Ah ! La fameuse Coconut, celle-là même qui me rappelle les plages de Bassam ou d’Agbodrafo, le rire des enfants, les pirogues, l’allure majestueuse des vagues et la couleur zèbre des gens là-bas, et quelle vagabonde j’ai été ! Je souris. Ailleurs, accroché à un mur, un instrument à corde je ne sais vraiment lequel, il y en a tellement dans les livres. Peut-être l’aurai-je su si à cette époque, nous-en avions assez pour des cours de musique. Une chose est sûre, je l’avais déjà vu sous les bras de griots du Mandingue et qu’est- ce qu’elle manque à mes oreilles ! L’envoûtante rythmique de la Kora. Je réalise enfin que la poussière entassée sur ces objets, ne change en rien leur beauté. En effet, en un tour rapide, malgré l’assourdissante morosité du décor, ils m’ont fait revivre de précieux instants gravés au loin dans ma mémoire.
- Il est bien vrai que, la valeur d’une œuvre d’art ne se mesure vraiment qu’à sa capacité, à nous faire transporter des émotions à travers le temps, pas vrai ? Lançai-je à mon vieil ami.
Dans la mimique d’un sourire furtif, il plongea ses yeux en mon âme et ajouta :
– P’tite j’te dis qu’les femmes ont des cœurs d’émotions, toute ma vie j’ai été niais, j’cherchais la plus belle mais de plus belle il n’y en a vraiment, elles sont toutes des chefs-d’œuvre ma foi. Il s’affala alors dans son hamac et tira une longue bouffée de sa pipe rustique et sur son regard, l’on pouvait lire de la nostalgie, certainement la nostalgie de beaux vieux jours, la nostalgie de belles histoires d’amour, qu’est-ce que j’aimerais y plonger ! Sans doute trouverai-je la recette unique de l’amour, celle qui unie pour l’éternité le cœur de deux compagnons et fait onduler leurs corps au même rythme, jusqu’à ce que la mort ne les sépare.... En ruminant ses mots, mon visage s’éblouie et une vérité jaillit en mon esprit. Grimaçant un Eureka, et ricanant jusqu’à la commissure je fis :
– Tiens ! Vieux père, les femmes sont des œuvres d’art, je devrais le dire à ma mère tous les jours, elle est sans doute d’une valeur inestimable. Il hocha légèrement la tête, en signe d’approbation.
Malheureusement pour certains, les femmes ne sont que des instruments, que l’on fait tourner à volonté, dans les aigues et dans les graves. Ils n’ont rien compris ceux-là. Même si la femme devrait être un instrument, elle ne donnerait pas, que le meilleur du talent et de l’âme du musicien. Chaque femme à quelque chose de spécial en plus, un dièse pour les plus sages ou un bémol pour les myopes. Il faut toujours lui donner le meilleur pour en tirer le meilleur. Le sourire d’une femme, la grâce de ses gestes c’est de l’allegro et pour les plus fines, de l’allegretto. Le cœur de la femme est le même et cela ne change jamais que l’on soit de ce côté ou à l’autre bout du monde, qu’il soit en larmes ou en joie, nanti ou démuni, le cœur de la femme est le même il s’ouvre pour donner et ne se referme que pour cicatriser.
En voyant de plus près, il faut dire qu’à certaines, tout a été malheureusement pris et pour le bonheur des autres, elles sacrifient leurs rêves. Elles sont petites mais déjà, nettoyant les sols crasseux des demeures étrangères, vendeuses ambulantes, travailleuses de la terre ou des mines, si tôt arrachées à leur innocence et pourtant ; en rien ne change la beauté, de cette symphonie de l’espoir que fredonne continuellement leurs âmes. Une chose est sûre, même si on arrache le monde aux femmes, elles demeureront riches, car la véritable richesse, c’est l’intelligence de l’âme, la sensibilité de l’esprit et cette innocence au fond des yeux...
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Dans quelques minutes, l’horloge sonnerait trois heures du matin et je n’arrivais toujours pas à me laisser aller. J’étais juste là, figée telle une statuette attendant son vernis. La journée avait pourtant bien démarrée. A cinq heures du soir la veille, j’étais encore assise dans cette salle d’accueil extrêmement anxieuse, ne sachant trouver les mots justes pour décrire ce qui venait de se passer. Une heure, deux heures d’attente enfin arriva mon tour. Apparemment tout était normal, rien de très grave... Les nuits succédèrent aux nuits et jour après jour, la situation semblait empirer. Depuis ce soir-là, plus rien n’était comme avant. Aspirée par un univers inconnu dont je devrais deviner les codes, je me forçais tant bien que mal à garder la tête haute. Au soir venu, quelques coups de fils rapides, de petits échanges anodins et Hop ! J’accourais vers ce nouveau monde. Je n’arrivais vraiment pas à digérer le goût de cette trahison. Comment pouvait-on recevoir autant d’aversion et d’inimitié en échange d’autant d’amour ? J’essayais tant bien que mal, seconde après seconde d’élucider ce mystère, de trouver ce qui pourrait bien justifier tout ce que je vivais. Et pourtant, une partie de moi semblait en connaitre la raison. Je ne méritais pas d’être aimée oui. L’amour il y en a qui l’ont dans la démesure mais pour les gens comme nous, ce n’était que chimère et j’en étais convaincue. Des trahisons je pouvais les compter par myriade. Rejetée même avant de voir le jour, pouvais-je espérer mieux ? Le seul endroit où je me sentais aimée c’était bien chez moi entourée d’êtres chers, des plus belles femmes de ma vie. Je me rappelle encore de ces années au lycée où, incapable de justifier mes notes exécrables, je devenais déjà l’ombre de moi-même. Je ne pouvais vraiment en donner plus que je ne le pouvais. Il y a en effet de ces combats que nous menons dans le silence, non par crainte du regard des autres mais par amour propre ou par amour pour un proche.
Elle représentait vraiment tout ce que j’avais de plus cher, et pour rien au monde, je ne pouvais sacrifier ces précieux mais douloureux instants passés auprès d’elle. Réveils en trombe les matins, implacable routine, ces mêmes gestes que je connaissais par cœur et les soirs venus, la prière de l’espoir, l’attente du jour miraculeux. Il n’y a rien de plus beau que l’espoir et l’assurance de ceux qui nous aiment et ne cessent de croire en nous, même dans les moments où l’horizon semble être flou. Je savais que le plus important pour moi c’était qu’elle se sente bien, et plus rien d’autre. Mais c’était difficile. Pas de vie sociale, pas d’amitiés, ni d’amour. C’était sans doute le plus dur, hélas ! Elle était là pour essuyer ces larmes versées dans le secret. L’eau a coulé sous les ponts et aujourd’hui encore, l’absence de son silence me pèse. Son sourire, ou la caresse de ses petites mains levées non sans peine vers mon visage, m’auraient suffi. Adieu douloureux jours si tôt finis. Un handicap ne diminue en rien la valeur d’une personne. On s’en occupe, on s’y attache et un jour, on regrette de n’avoir pu faire mieux.
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Une pile de boîtes blanches gisait à mon chevet. Deux le matin et deux le soir ; dix millilitres avec un peu d’eau ou de jus de fruits, accompagnés d’un repas à midi. Au début, ce rythme me déplu mais quelques mois après, il ne m’en déplaisait moins. Il fallait que j’en sorte parce que dehors, je ne pouvais plus faire semblant. Ma joie de vivre s’éteignait lentement, laissant toute la place à mon ombre. Les réveils en plein milieu de la nuit, les crises d’angoisse en plein jours, tout ceci devenait répétitif et je ne pouvais plus me voiler la face, je souffrais bel et bien de toutes ces années de solitude, de toutes ces années de dévotion et d’acceptation de la peine. Nul ne pouvait s’en douter parce que mon irritabilité parlait pour moi. La vie m’avait trahie, moi qui l’avais tant aimée. Cinq lunes se sont écoulées depuis ce beau jour où je pris mon envol pour un nouveau ciel bleu. Je suffoquais, je n’avais plus de boussole. Une prière, un adieu, des larmes et tout était fini. Petit à petit les visites s’estompaient et le logis se vida de nouveau, faisant place à ses occupants habituels, bien entendu sauf elle, et il fallait que je l’accepte...
Toute histoire commence un jour quelque part, mais les plus belles histoires, sont celles qui nous peignent la beauté de l’amour. J’ai déjà entendu dire que, les petites filles deviennent de bien meilleures femmes quand elles sont aimées et chéries. Je ne saurai donc me plaindre car malgré tout, j’en ai eu jusqu’à la démesure mais à quelque particularité près. J’avais mes êtres chers, mais aussi mon piano. Mélancolie ou lyrisme, dépression ou angoisse, aucun de ces mots n’a pu subsister au va-et-vient de mes doigts. Plus de boites blanches, plus de millilitres car mes êtres chers et mon piano ont tout ôté. Affection, attention, écoute et passion, petit à petit je me retrouve et comme des gouttes d’eau dans un verre presque plein, ces souvenirs se dissipent dans le vaste étang de ma mémoire. Je me réinstalle dans ma peau, je retrouve toute ma force et je réalise qu’il n’y a pas que les meilleurs cépages qui se bonifient avec le temps. Je mûris, je deviens une femme, une femme forte, intrépide, douce et brave capable de revivre de nouvelles histoires, encore plus belles.
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Si toutes les petites filles avaient mon piano, en vrai, le monde aurait été meilleur. Les touches de mon piano sont faites d’encre et de papier, le reste c’est de l’art. Toutes les symphonies sont transportées par ma raison et mon cœur, nul besoin de partition, je suis la cheffe d’orchestre, quel talent. Me voici flottante comme une muse céleste, valsant sur les airs de mon concerto. Allegro, andante, crescendo, delicato, pianissimo quanto, un, deux, trois, un, deux, trois. Oui je me sens comme une belle duchesse, la préférée du château et sans doute pas la Disparue, car moi un beau jour, je reviendrai... Je ne serai plus dans la peau de cette autre, mais en attendant, je donne du repos à mon esprit, libérant mon cœur de ses vieilles pulsions, fredonnant comme un enfant qui rejoint sa couche, une paisible berceuse. Mes paupières s’alourdissent et se rejoignent, la brise légère du soir caresse mes cheveux et dans le maigre confort de mon petit lit, j’entends la flute de l’enchanteur qui siffle. Dors petite fille, dors l’enfant, dors vagabonde, et que pour toi, se lève un nouveau ciel, resplendissant d’une clarté étincelante pour demain et à toujours........