C'est pas bon, asséna Malo en croisant les bras après avoir repoussé son assiette de brocolis. Je mange pas.

C'est pas bon ? Alors qu'est-ce qui est bon ?

Une fois de plus Bernard restait désarçonné par le caprice de son petit fils.

Des frites !

Oui, mais il faut changer un peu petit bonhomme. Des frites tous les jours et tu vas devenir gros et gras comme un oignon. Dans les brocolis il y a plein de vitamines et...

C'est pas bon !

L'affaire était mal engagée et le grand père commençait à regretter d'avoir accepté la garde du petit pour un week end en amoureux de ses parents. À 67 ans s'occuper en solo d'un môme de 8 printemps déjà gavé à la Nintendo et au Mac Do s'annonçait mission impossible, d'autant que la pluie prévue excluait toute sortie au parc pour un après midi qui se présentait mal... et on n'était seulement samedi midi. Il choisit la méthode douce :

Bon d'accord pour cette fois, mais tu vas manger quoi ? Des nouilles ?

Ouais, super. Des nouilles !

Le papy sortit une nouvelle casserole en soupirant et le gamin en profita pour vider son assiette dans la poubelle.

Hop hop hop, pas de ça fiston ! Les déchets alimentaires dans le compost, là, le petit seau vert. Et on va le vider dans le jardin, ça fera de l'engrais.

Mais c'est dégueulasse ! Maman déteste quand ça pue.

Ce n'est pas dégueulasse c'est sale ! Et non, ce n'est pas sale et ça ne pue pas. Tu vas voir, on finit de manger et je te montre le composteur.

Bernard versait les pâtes dans l'eau bouillante et sentait une piste de discussion pour sortir de l'impasse. Le jardin, la culture bio, peut être de quoi éveiller un peu d'intérêt chez le galopin déjà formaté par des parents aussi peu écolo que lui même était gick. Le repas se termina par de la glace arrosée de chantilly, ruse facile pour amadouer Malo et le préparer à une leçon de choses sur les 200 mètres carrés du potager.

La pluie annoncée s'était mise en pause si bien que le petit accepta sans rechigner de passer au jardin en pleine explosion des couleurs du mois de juin et Bernard l'amena directement au composteur.

Beuh, c'est dégueulasse grogna le môme dès que le couvercle fut relevé. Et ça pue grave.

Pas dégueulasse mais sale corrigea le grand père, et c'est vrai que ça ne sent pas bon alors hop, je vide le seau et je referme. Tu sens quelque chose maintenant ?

Méfiant le gamin renifla le dessus du conteneur et dût reconnaître que la mauvaise odeur avait disparu mais se désintéressa bien vite du sujet, pressé de revenir à l'intérieur pour une partie de Mario Kart.

Hop hop hop, pas de console avant 4 heures, tu connais le règlement. Viens voir un peu de plus près mon sorcier fabricant d'engrais, jamais ta Nintendo ne pourra faire pareil.

Bernard le savait, attirer l'attention de son petit fils demandait des détours alambiqués mais cette fois Malo se laissa prendre au piège. Le grand père souleva la porte qui fermait le bas du composteur et rouvrit le couvercle : regarde en haut, et puis en bas. C'est de la magie !

Intrigué le petit obéit, passant du tas d'ordures pourrissantes à un compost bien noir qui tombait dans un bac à travers une grille comme la cendre au fond d'un poêle.

Vas-y, prends en une poignée, c'est tout propre, tu vas voir.

Le petit hésita, puis plongea la main dans le terreau. C'est tout doux ! Et ça pue pas. Mais comment t'as fait ça ?

Moi je n'ai rien fait, c'est la nature qui s'occupe de tout. Dans les ordures il y a plein de petites bêtes minuscules qui digèrent les déchets et à la fin on obtient ça. Du compost. Et puis on le met au pied des plantes et elles poussent dix fois mieux. Tiens regarde mes framboisiers, tu vois, la terre est toute noire et vise un peu les framboises ! Tu peux en manger si tu veux, autant que tu veux, j'en ai des tonnes grâce à mon compost et ça ne fait pas grossir comme les frites.

Malo observait le sol couvert de terreau, puis compara avec sa poignée d'engrais.

Bouh, c'est quoi ? Un ver ! Pouah ! Et il relâcha le compost, dégoûté.

Tu as peur d'un ver de terre, petit froussard ? Mais c'est très gentil un ver de terre, et il travaille pour nous : c'est lui qui termine le compost, et après il le mélange avec la terre. Même pas besoin de labourer.

C'est quoi labourer ?

 

La Nintendo était oubliée, le petit fils buvait les paroles de son papy qui lui expliquait le labour, les engrais, l'utilité des vers de terre, des abeilles... Ils firent le tour du petit jardin à la découverte des haricots, des radis, des plants de tomates, un parcours initiatique rempli de surprises pour Malo.

Maman elle a plein de pots de fleurs sur le balcon, on peut mettre du compote dessus aussi ?

Du COMPOST ! Bien sûr, les fleurs seront plus belles et plus heureuses.

Ben oui, mais à la maison on peut pas faire du composs sur le balcon. On n'a pas de jardin. Alors maman elle balance les ordures dans la poubelle comme ça ça pue pas.

Aïe ! La tuile. Au grand désespoir de Bernard sa fille, maniaque de la propreté n'avait jamais eu la fibre écolo et convertir son petit fils à la culture bio allait semer la zizanie dans la famille. Pourtant l'intérêt qu'il lisait dans les yeux brillants de Malo incitait à le pousser vers cette nouvelle passion qui le sortirait un peu de ses jeux vidéos et peu à peu une idée prenait forme.

Si maman est d'accord tu pourras faire du compost même sur le balcon, et sans faire de cochonneries. Tu veux qu'on essaye ?

Ouais ! Super !

Ils descendirent à l'atelier dans la cave où Bernard sortit son cahier de plans. Regarde : on va acheter un grand seau avec un couvercle, et il dessinait le récipient sur une feuille. Dans le bas on découpe une porte et au dessus on va faire passer des tiges de fer, comme ça, du coup on aura une grille pour retenir les ordures. Et de temps en temps tu fais gigoter les tiges et le compost tombera dans le fond, tu comprends ?

Ouah, génial !

Mais il ne faudra pas mettre de la viande ou des pelures d'orange, ça sent mauvais et se décompose mal. Juste des épluchures, du pain, le marc de café...

Et des nouilles ?

Oui.

Et des frites ?

Aussi.

Ben non, les frites je les finis tout le temps ! Ca-ssé !

Oui, tu m'as bien eu.

Et je pourrai faire pousser des trucs sur le balcon ?

Des radis. Des tomates. Des aromates.

C'est quoi ?

Je t'expliquerai. Bon, on va acheter le seau. J'ai du fer à béton pour faire la grille.

C'est quoi du fer à béton ?

À six heures le composteur était terminé et Bernard trouva la meilleure idée pour l'inaugurer :

On va éplucher des patates pour faire des frites et mettre les épluchures dans le seau. Dans deux ou trois mois tu aura ton premier compost !

Ouais ! Super !

Le soir Malo eu le droit de regarder un dessin animé sur Guli, une faveur qui permit au grand père de découvrir une nouvelle chaîne et le garçon fila au lit sans avoir touché à sa Nintendo.

Une grande victoire pour Bernard qui avait gagné une bataille, mais qui savait que le combat suivant serait autrement plus compliqué : convaincre sa fille de laisser un bout de balcon à son fils pour y faire son jardin et son composs.