Toute histoire commence un jour, quelque part fut-il lambda. La sienne débuta entre l'Alpha et l'Oméga dans un petit village nommé Kadir.
Armani était une fillette qui venait à peine d'entrer dans l'adolescence, de corpulence maigre, elle était toutefois belle et charmante comme une vénus. C'était l'une des seules à avoir son CEP dans le village malgré la pauvreté qui l'entourait. En effet, elle vivait dans une case en terre battue, usée par de nombreuses intempéries. Orpheline de mère depuis sa naissance, elle était la cadette d'une fratrie de cinq garçons tous plus fainéants les uns des autres. Sans moyens financiers, elle ne pût continuer ses études à la capitale, parce qu'en plus, son père accro à l'eau de vie s'était endetté dans tout le village. Face à cette situation précaire, la petite Armani était une autodidacte qui apprenait de tout et de rien, battante, elle s'acquittait de certaines tâches pour survivre. Chaque soir après avoir nourri la maisonnée, elle s'en allait en clopinant vers la mission catholique où la soeur Antoinette lui apprenait certaines notions de la vie: amour, entraide et partage. Elle était aussi intelligente que déterminée, prompte à se battre pour réussir. Hélas, la vie en a décidé autrement.
Un soir que la nuit fut tombée, le vieux Kitoro qui avait entendu parlé d'une déesse qui peuple Kadir, vint à la rencontre du père d'Armani; il voulait obtenir l'objet de sa convoitise. Arrivé chez ce dernier, il se présenta comme le sauveur de cette famille miséreuse. Un dilemme fut posé : donner sa fille en mariage contre une énorme somme d'argent ou alors demeurer dans la pauvreté. Le choix fut vite fait, il avait besoin d'argent et Armani était une fille appelée à se marier puis à fonder une famille, c'est le cycle normal de la vie. Il aurait un poids de moins sur les épaules. Les deux hommes scellèrent leur alliance autour d'un bon vin blanc puis le mariage de la jeune Armani fut programmé le samedi qui suivait, jour de son anniversaire. Pour éviter toute suspicion de la part de l'enfant, l'on lui fit croire que son oncle Désiré revenu de l'étranger, avait décidé de fêter ses douze ans comme il se doit. Le jour dit, le fameux samedi, Armani s'était levée à l'aurore, impatiente et insouciante ; elle n'imaginait point ce qui l'attendait. Fière de ces douze années de vie sur terre, elle s'attelait à rendre la fête tant belle qu'époustouflante. Si et seulement si, elle savait qu'elle perdrait son innocence ce jour. Vers quinze heures, le vieux Kitoro se gara devant la case, des tambours annoncèrent sa venue, des hommes lui firent une ligne d'honneur qu'il emprunta fièrement. Trois longues heures s'écoulèrent sans relâchement, au cours desquelles les anciens offrirent la main de la jeune fille au vieux père. Lors de la cérémonie, elle jeta sans cesse des regards tristes à son père qui détourna aussitôt son visage. A la fin, elle s'agita, pria son géniteur de ne point la laisser s'en aller mais rien n'y fit. Elle avait douze ans et était mariée. Voilà sa réalité ! Son sort était scellé !
- Papa ! Papa ! Je veux rester avec vous, pleura la jeune fille lorsqu'on l'amena à la voiture.
- Tu es une femme maintenant, sois soumise à ton mari et tout ira bien, tonna son père avant de récupérer la mallette pleine de liasses de billets de banque.
Assise sur la banquette arrière à côté de son époux, elle vit les maisons défiler, la tête adossée sur la vitre, elle pensait à la suite. Elle n'avait guère prévu cela. Comment pouvait-elle s'en sortir ? Oh ! Si ce n'est que se plier à sa nouvelle condition, maintenant elle était une épouse. La vie est imprévisible, elle qui était si ambitieuse, la voilà mariée de force à un vieux. Des larmes roulèrent de ses iris, Armani sentit son âme rester à Kadir, l'endroit qui l'a vu naître, l'endroit qui l'a muselé, l'endroit qui lui a volé son avenir. Au petit matin, ils arrivèrent à Bali, la ville où tout est chic et choc. La voiture de luxe se gara devant une immense villa, la jeune fille ébahie, descendit suivie de près par son époux. Quel luxe ! Il y avait quand même un bon côté, elle n'était plus pauvre. Elle se complaisait à idéaliser sa nouvelle vie. Las, le conte de fées prit rapidement fin.
À la tête d'un grand réseau de prostitution et de traite d'enfants à Bali, le vieil homme fit d'elle une roulure. La petite Armani était contrainte à faire des choses des plus immondes. Qu'avait-elle fait au bon Dieu ? Elle l'ignorait, sa foi en pâtissait. Un jour, elle vit trois gaillards débarquer à la maison, ils venaient se soulager avec la petite. Ecoeurée, elle se débattit de tout son être mais les hommes l'empoignèrent puis la frappèrent sous les ordres du vieux Kitoro pour la rendre docile. Il lui dit avec froideur :
- Tu es mienne par conséquent tu dois te plier à mes conditions. Messieurs, continuez. Il lui cracha au visage.
Lasse de se battre, elle s'abandonna à leurs gestes, dégoûtée, désabusée. Cela a duré de longs mois au cours desquels elle perdait un petit bout d'elle chaque jour. Des coups, pour tout, toujours. Elle mourrait petit à petit. Puis un soir, elle eût un déclic, se battre ou abandonner ? La vie ou la mort ? Le choix fut rapide, elle voulait vivre.
Une semaine passa, la jeune fille avait tout planifié, son mari ayant un "voyage d'affaires", elle devait s'enfuir le soir même pour disparaître. Après son départ, les portes furent scellées par le gardien, instructions du patron. Heureusement qu'elle y avait pensé ainsi, lorsque les ténèbres recouvrirent le ciel, elle s'en alla vers le gardien avec quelques douceurs.
- Bonjour Cissé, j'ai préparé du poulet avec du riz. J'espère que tu vas aimer !
Le gardien alléché, se jeta sur le délicieux repas ignorant qu'il y avait du somnifère à l'intérieur, il s'assoupit sans demander son reste, la jeune fille en profita pour déguerpir. Liberté ! Liberté ! Elle courait vers sa liberté. Dans la pénombre de la nuit, elle se hâta rapidement vers l'arrêt de bus, prit le dernier à destination de Santana, la ville du renouveau. Des rayons de soleil frappèrent le front de la jeune fille, elle venait d'atteindre le Saint Graal : la liberté. Elle erra dans les rues de Santana quemandant quelques restes de repas. Elle le fit pendant une semaine, était-ce là le prix de la liberté ? Ne fallait-il pas qu'elle rentre chez son mari ? Lessivée, elle s'adossa sur un portail bleu qui s'ouvrit sur une dame à la peau d'ébène. Contre toute attente, la dame la porta pour la coucher dans un lit douillet où Armani se reposa. Quelques heures plus tard, elle se réveilla dans ce lieu inconnu.
- Bonjour ma fille, je m'appelle Zola et toi ? se présenta-t-elle.
La jeune fille se recula, effrayée par la dame.
- N'aies pas peur, la rassura Zola en lui caressant le dos chaleureusement.
Rassurée, elle se présenta puis lui raconta son histoire. Sous le choc de ces révélations, Zola prit Armani sous son aile se comportant comme une mère. Au fur et à mesure, elle pansa ses peines, lui redonna un second souffle.
Vingt ans s'écoulèrent depuis le mariage d'Armani, les séquelles étaient certes encore présentes mais la jeune fille lutta pour être épanouie. Devenue sénatrice, elle s'engagea dans la lutte contre le mariage précoce et la prostitution des jeunes filles. Elle monta de nombreux ateliers pour édifier les populations des risques et conséquences de ce genre de pratiques. Ce fut d'un franc succès, l'initiative prit de l'ampleur et de nombreux réseaux furent démantelés.
Un soir, assise sur la véranda, elle conta à sa fille l'histoire de sa naissance, la rassurant qu'elle ne regrettait point sa venue au monde car Lemba était son bien le plus précieux. Elle lui dit:
<< Notre histoire a commencé un jour, quelque part à Kadir. Elle fut triste, douloureuse mais elle devait se passer ainsi car nous devions nous réunir. Carpe Diem mon enfant, croit en la vie. >>