Pour les grandes vacances, j'ai pris l'avion pour la première fois. Je n'ai même pas eu peur au décollage, même si j'ai tenu la main de maman très fort et que j'ai tremblé jusqu'à ce qu'on soit très haut dans le ciel. À déchirer les nuages en mille morceaux. C'était une surprise, mes parents m'ont dit qu'ils m'emmenaient voir la mer. Il faisait très chaud. Trop même. Et quand on est arrivés, j'ai vu des bateaux géants, tellement grands qu'on aurait dit des immeubles. Papa m'a dit que c'était pour les croisières. J'ai demandé ce que c'était et il m'a répondu que c'est quand des gens payent très chers pour rester toutes les vacances sur l'eau. C'est dommage, on ne peut même pas s'arrêter pour rester sur la plage et faire des châteaux de sable. Ou courir avec un cerf volant. Si j'avais des sous, je ne ferais pas ça. Je ne sais pas quoi, mais je ferais autre chose. Il y a tellement plein d'autres chose à faire partout dans le monde.
C'est la rentrée des classes, alors forcément, quand on retrouve les copines et les copains, on se raconte ce qu'on a fait. Il y en a qui sont partis longtemps pour aller rendre visite à leur famille dans le pays d'origine de leurs parents ou leurs grand-parents. D'autres qui sont allés en colonie de vacances. Ou encore d'autres qui ont fait des tas de trucs et qui n'ont pas arrêté de bouger. Et puis certains qui n'ont rien fait et n'ont pas trop envie d'en parler. C'était les grandes vacances, donc il fallait faire des trucs. Il fallait aller à la mer, prendre le soleil, manger des saucisses au barbecue, et des glaces énormes dans les restaurants, profiter de la vie comme on dit. Une fois dans la classe, la maîtresse nous demande ce qu'on a fait de vraiment spécial pendant les vacances. Et là, je sors un truc qui n'a rien à voir et qui m'a marqué quand j'y repense. Quand j'étais là-bas, sur la plage, je raconte que j'ai vu des gens avec des sacs et des gants qui ramassaient les ordures sur le sable et les rochers. Et y en avait un paquet ! On me demande si j'ai participé, et je réponds que non parce que je savais pas si pouvais le faire. J'ai pas osé demander mais franchement, si j'avais pu, j'aurais bien rejoint ces personnes pour les aider à nettoyer. La maîtresse rebondit sur ce que j'ai dit pour nous expliquer qu'à cause de tout ce qu'on jette, c'est des tonnes de saletés qui vont dans la mer. Elle nous parle même d'une flaque de plastique géante dans l'océan pacifique. Tellement grande qu'on l'appelle le septième continent. Ça m'intrigue tellement que lorsque je rentre le soir, je profite de mon temps autorisé sur internet pour regarder ce que c'est. Lorsque j'éteins l'écran, je regrette de ne pas avoir emmené un sac et des gants quand j'étais à la plage.
Le lendemain, j'hésite un peu et finalement, je glisse une paire de gants en caoutchouc et un sac poubelle dans mon cartable. Sans le dire à mes parents. Et pendant le temps de récréation, au lieu d'aller taper la balle avec les gars ou parler du nouveau spider-man qui va sortir sur playstation et qu'on veut tous il paraît, j'enfile mes gants mais c'est dur et ça colle, et je pars à la chasse aux déchets. D'abord, on me regarde bizarrement, et on me demande ce que je fais. Pourtant ça se voit, non ? Parce qu'il y en a des trucs, même si la cour est balayée quasiment tous les jours. À la sonnerie, on me mate salement et y en a même qui me disent que maintenant, je vais aller nettoyer chez eux. On se marre et on se moque de moi mais je m'en fiche de ce qu'on pense. Je me dis que si on avait tous cette idée au lieu de jeter par terre nos emballages de bonbon ou de gâteaux, l'école serait moins sale des fois. Pire, je me dis que si on faisait ça au lieu justement de manger tout le temps, ça ferait moins de déchets. La maîtresse me prend à part après la récré et m'explique que mon intention est bonne mais qu'il y a un temps pour chaque chose, et que la récréation c'est fait pour s'amuser. D'accord mais si la récréation c'est fait pour s'amuser, la classe pour travailler et la cantine pour manger, c'est quand qu'on nettoie ? C'est quand qu'on ramasse ? Qu'on fait les petites choses dans l'autre sens ?
Aujourd'hui, c'est sortie scolaire à la ferme de Paris. Je trouve ça super intéressant, ça explique plein de trucs auxquels je ne connais rien avec des mots compliqués comme permaculture ou biodiversité, et aussi, on peut voir des animaux qu'on a pas l'habitude de voir en vrai comme des cochons, des chèvres, des brebis, des poules ou encore des dindons... Parce que oui, depuis que je suis petit, j'en ai vu des poules et des cochons à la télé ou sur les emballages de viande au supermarché. Mais en vrai, ça vit comment un cochon ? Comment ça bouge ? Comment ça réagit ? On nous en fait manger toute l'année, tout le temps, et pourtant, on ne sait même pas au final comment ça vit. Je suis très content d'être venu, contrairement à d'autres camarades qui sortent leur téléphone en cachette pour regarder des vidéos sur internet. J'ai pas de téléphone, et en les regardant, j'ai de moins en moins envie d'en avoir un. À la place, je préfère regarder ces bêtes qui se roulent dans la boue. Elles ont l'air heureuses d'être là. Alors, je pense aux endroits où on les transforme en jambon. Je me dis que peut-être, si on nous montrait comment on le faisait, on voudrait en manger moins, ou même plus du tout. Quand je rentre à la maison le soir, mes parents me demandent de leur raconter ma journée et propose d'aller manger au roi du burger. Je leur dit que j'ai plus envie d'aller là-bas. On me demande ce qui va pas. Je dis que je vais bien, mais que je ne veux plus manger des burgers qui sont faits dans ces endroits, car ça fait trop de steak et derrière chaque steak, il y a une bête. Avec des pattes, des yeux, un cœur. Mes parents ont l'air déçus. À la place, on me propose pizza alors je dis oui et j'en prends une avec que des légumes, sans saucisse ni morceau de poulet. Quand je pourrais, j'arrêterai de manger des bêtes.
Je les préfère vivante.
On est à peine en novembre que c'est déjà la course pour noël. Et moi je vais avoir ci et moi je vais avoir ça. Dehors les illuminations et les vitrines qui déballent les pères noël et les guirlandes. C'est rouge, blanc, doré, ça scintille et j'en ai plein les yeux, plein la tête, partout. Des publicités pour des jouets, des consoles, des voyages, des voitures... que ce soit en classe ou dans la cour ou à la cantine ça n'arrête pas de parler de ça. J'aimerais que ce soit différent. Qu'on se demande si on a besoin de ce qu'on veut, si on va vraiment s'en servir. Quand on me demande mon avis, je dis que je voudrais que celles et ceux qui n'ont rien aient un cadeau. Qu'on trie nos jeux pour les donner, ou les recycler. Qu'on essaie de passer un moment chouette avec les gens qu'on aime et c'est tout. Encore une fois, on me regarde comme une bestiole curieuse mais ça me donne une idée un soir en rentrant ; organiser un espèce d'anti-noël à l'école où on ramènerait les jouets qu'on ne veut plus, qu'on essaie de les transformer, qu'on essaie même d'apprendre à en fabriquer. Je ne sais pas si c'est une bonne idée, mais rien qu'y penser, ça me donne envie de sourire. J'en parle à mes parents. Ça les étonnent et ils me demandent si je vais bien entre quelques encouragements. Oui, je vais bien, et ça irait encore mieux si parfois je n'avais pas l'impression d'être si seul à penser ce que je pense. Arrive décembre, et le grand sapin qu'on va tous décorer au fur et à mesure dans le grand hall de l'école. Qu'on ne compte plus sur moi. C'est fini tout ça. Maintenant, je vais apprendre au lieu de me servir sans savoir. Je vais m'arrêter, et réfléchir. Et peut-être que ça donnera envie à d'autres de faire comme moi. Car si on y met toutes et tous un peu du nôtre, alors peut-être que demain on pourra continuer à jouer sur les plages au lieu de ramasser les saletés dessus.
Peut-être.