Miachi était déjà réveillée quand le réveil sonna. Les yeux, bien ouverts, elle se leva d’un bond et ouvrit d’un coup sec les rideaux, hop, étirement des bras. Poupil dormait encore et cligna des yeux à la lumière du jour, à moins que ce ne soit de contrariété devant toutes les agitations de sa maîtresse.
Miachi était très excitée en ce matin exceptionnel, et la vue des nuages clairs et lointains qui s’éparpillaient au milieu d’un ciel bleu la rendait encore plus joyeuse. Fris avait déjà envoyé deux messages, il était sujet à des insomnies, surtout avant les épreuves importantes. « Ne mangez pas trop. Videz-vous l’esprit, le mental, c’est important. » Miachi avait pris un café pendant que Poupil descendait les marches, les poils emmêlés, le regard de travers.
« J’espère que tu es de bonne humeur ce matin. Tu vas avoir des émotions. »
Après avoir pris une légère collation, Miachi s’était déshabillée. Elle regardait dans la glace son visage détendu, dont les yeux brillaient intensément. Après sa douche, froide, elle avait enfilé ce qui était devenu sa tenue quotidienne, un caleçon, une brassière puis un sweat à capuche qui portait sur la poitrine le logo de son village, Lerou-la-forêt. Poupil, qui avait senti ce qui se tramait, s’était réfugié dans sa cachette préférée, le fond du sommier, qu’il avait percé pour y entrer.
« Ah non, pas ça... avait grogné Miachi. »
Il n’y avait qu’une solution, soulever le sommier, glisser le bras dans le trou et tirer la petite bête par la peau du cou. Miachi avait soulevé le sommier d’un geste brusque.
« Aïe ! »
Elle avait tendu le bras, attrapé Poupil au fond de sa cachette et l’avait sorti, tétanisé, oreilles en arrière et tremblant de tous ses membres.
« Vraiment, tu exagères... Me faire ça aujourd’hui! »
Elle avait mis l’animal dans sa cage mais en se baissant, « aïe », une douleur désagréable l’avait saisie au dos. Après avoir accroché la cage à l’arrière de sa Honda, elle s’était volatilisée dans un nuage de poussière.
-Tu t’es foulé l’épaule, dit Fris en l’examinant, alors qu’ils étaient tous les deux seuls dans les vestiaires. Ça va te faire un sacré handicap.
-Tu crois ? dit la jeune fille. Je ne sens pratiquement rien... aïe ! Sauf quand tu appuies là.
-Je vais te mettre un peu de gel et une bande.
-Une bande ? Surtout pas !
Miachi était une jeune fille déterminée, et Fris devait admettre qu’une bande était une mauvaise idée. Les autres concurrentes pourraient y voir une faiblesse dans celle qui était si près de détrôner Volna cette année. Fris se contenta d’étaler la pommade relaxante sur la zone tendue.
-Ah, ça va beaucoup mieux maintenant, avait dit Miachi ; allons-y maintenant. C’est l’heure !
Dehors, les neuf autres jeunes filles étaient déjà en place, la cage à côté d’elles. Outre Volna, du bourg d’à côté, qui, du haut de son un mètre quatre-vingts, toisait Miachi avec mépris, il y avait Karen, anciennement meilleure amie de Miachi, qui s’était détournée d’elle quand elle avait été championne du village. Il y avait aussi la sœur de Volna, Grous, qui faisait sa première course, Frisen, qui était toujours dernière mais continuait à participer, Glarny, une rousse un peu trop grosse, mais solide et qui avait l’épaisseur nécessaire pour bien porter son fardeau. Il y avait enfin quatre nouvelles participantes, dont Mirto, venue de Grichot, qui avait entendu parler du concours de plus en plus médiatisé et avait créé un compte Instagram où elle posait en tenue de sport et maquillage, avec son chartreux couché sur les genoux.
Autour du stade, la foule se pressait dans les gradins. Grem, le journaliste local, interviewait une femme d’une soixantaine d’années, pendant que le haut-parleur présentait les concurrentes.
« Je suis en compagnie de Madame Liorta, dit Grem, qui a eu la gentillesse d’accepter de répondre à nos questions. Ce petit concours local, que vous organisez depuis dix ans, suscite de plus en plus d’engouement dans le pays, et on parle même d’un passage à la télévision, sur une chaîne nationale ? Pour rappel, le « running cat », anciennement nommé « choix du chat » est une course effectuée avec le portage d’un chat, et on peut déjà deviner la difficulté de bloquer contre soi cet animal indépendant !
-Oui, avait dit madame Liorta, avec un sourire éclatant. C’est un concours qui, je pense, peut intéresser tous les amoureux des chats, et il y en a de plus en plus ! C’est une épreuve exigeante, qui demande beaucoup d’efforts et d’entraînement, et au-delà de performances physiques, il faut vraiment être proche de son chat. C’est là toute la difficulté.
-C’est aussi, peut-on le nier, une course qui fait sourire!
-Il y a toujours des gens pour se moquer! Cela n’enlève rien à la fierté avec laquelle ces jeunes filles portent les couleurs de leur village...
Le haut-parleur demandait aux concurrentes de se mettre devant la ligne de départ avec la cage près d’elles ; Miachi sentait dans son épaule une douleur aiguë, cela n’allait pas être facile. Il fallait espérer que Poupil soit conciliant, et ne fasse pas de gestes inconsidérés. L’an dernier, elle avait été si proche de la victoire ! Au dernier moment, le chat avait redressé ses pattes arrière, ne supportant plus les cahots qu’on lui infligeait et elle avait dû le bloquer contre sa poitrine. Ce plaquage de dernière minute avait brisé son sprint. Elle était arrivée deuxième, à une demi-seconde de sa rivale.
Cette fois, malgré la douleur qu’elle ressentait à l’épaule, elle y croyait. Ils avaient suivi, son chat et elle, des séances d’hypnose pour créer une connexion plus forte entre eux, et à la dernière séance de vitesse pure, ils avaient battu leur record. Elle ne s’était jamais sentie aussi sûre d’elle.
Le compte à rebours avait commencé. Il fallait attendre le signal pour sortir le chat, et filer ! C’était un moment assez terrible, parce que le bong ! de départ pouvait stresser les chats.
Miachi prit une grande inspiration. Près d’elle, Karen ne lui adressait même pas un sourire. Fris était dans les rangs au milieu des autres entraîneurs. Bong !
Toutes les candidates ouvrirent la cage et sortirent leur animal. Une des nouvelles, qui avait ouvert sa cage la première, avait mal saisi l’animal qui s’était enfui de l’autre côté du stade. Toutes les autres, chacune avec sa technique, avaient plaqué l’animal contre elles, et prirent leur départ alors que Frisen essayait encore d’ouvrir la cage. Le mécanisme était bloqué ! Miachi, en saisissant son chat qui restait immobile, avait eu une atroce douleur à l’épaule. Non, il ne fallait pas flancher ! Déjà, Volna et Karen s’élançaient, et elle courut dans leur foulée. Miachi avait l’habitude de tenir le chat sur son épaule, mais il sembla incommodé par l’odeur de la crème, et se mit à se débattre.
Fris, voyant cela, s'était redressé de toute sa taille. Il vit Miachi prendre de l'allure, mais elle restait au niveau de Karen sans atteindre Volna, le chat gesticulant dans les bras. Derrière elle, Glarny était en train de la dépasser, le chat coincé entre ses seins. Loin derrière, Mirto avait dû lâcher son chartreux qui avait lacéré ses avant-bras en poussant des soufflements offusqués.
Poupil avait soudain cessé de bouger, et Miachi profita de cet état de transe pour augmenter son allure. Son épaule lui faisait mal, mais elle eut soudain l’impression que l’énergie du chat passait en elle, elle se vit jaguar dans la savane ; ses foulées devinrent plus souples, son cœur se rétrécit dans sa poitrine. Elle distança Glarny, dépassa Karen, se retrouva au niveau de Volna et sans même le réaliser, franchit première la ligne d’arrivée.
Fris hurlait dans les tribunes, la foule était en liesse, on n’avait jamais vu une coureuse se surpasser comme cela ! Miachi reprit ses esprits, encore secouée par l’expérience qu’elle venait de vivre. Elle salua la foule, et souleva Poupil qui ne bougeait toujours pas. Elle le regarda dans les yeux, il lui fit un clin d’œil. Quelle victoire !
Miachi était très excitée en ce matin exceptionnel, et la vue des nuages clairs et lointains qui s’éparpillaient au milieu d’un ciel bleu la rendait encore plus joyeuse. Fris avait déjà envoyé deux messages, il était sujet à des insomnies, surtout avant les épreuves importantes. « Ne mangez pas trop. Videz-vous l’esprit, le mental, c’est important. » Miachi avait pris un café pendant que Poupil descendait les marches, les poils emmêlés, le regard de travers.
« J’espère que tu es de bonne humeur ce matin. Tu vas avoir des émotions. »
Après avoir pris une légère collation, Miachi s’était déshabillée. Elle regardait dans la glace son visage détendu, dont les yeux brillaient intensément. Après sa douche, froide, elle avait enfilé ce qui était devenu sa tenue quotidienne, un caleçon, une brassière puis un sweat à capuche qui portait sur la poitrine le logo de son village, Lerou-la-forêt. Poupil, qui avait senti ce qui se tramait, s’était réfugié dans sa cachette préférée, le fond du sommier, qu’il avait percé pour y entrer.
« Ah non, pas ça... avait grogné Miachi. »
Il n’y avait qu’une solution, soulever le sommier, glisser le bras dans le trou et tirer la petite bête par la peau du cou. Miachi avait soulevé le sommier d’un geste brusque.
« Aïe ! »
Elle avait tendu le bras, attrapé Poupil au fond de sa cachette et l’avait sorti, tétanisé, oreilles en arrière et tremblant de tous ses membres.
« Vraiment, tu exagères... Me faire ça aujourd’hui! »
Elle avait mis l’animal dans sa cage mais en se baissant, « aïe », une douleur désagréable l’avait saisie au dos. Après avoir accroché la cage à l’arrière de sa Honda, elle s’était volatilisée dans un nuage de poussière.
-Tu t’es foulé l’épaule, dit Fris en l’examinant, alors qu’ils étaient tous les deux seuls dans les vestiaires. Ça va te faire un sacré handicap.
-Tu crois ? dit la jeune fille. Je ne sens pratiquement rien... aïe ! Sauf quand tu appuies là.
-Je vais te mettre un peu de gel et une bande.
-Une bande ? Surtout pas !
Miachi était une jeune fille déterminée, et Fris devait admettre qu’une bande était une mauvaise idée. Les autres concurrentes pourraient y voir une faiblesse dans celle qui était si près de détrôner Volna cette année. Fris se contenta d’étaler la pommade relaxante sur la zone tendue.
-Ah, ça va beaucoup mieux maintenant, avait dit Miachi ; allons-y maintenant. C’est l’heure !
Dehors, les neuf autres jeunes filles étaient déjà en place, la cage à côté d’elles. Outre Volna, du bourg d’à côté, qui, du haut de son un mètre quatre-vingts, toisait Miachi avec mépris, il y avait Karen, anciennement meilleure amie de Miachi, qui s’était détournée d’elle quand elle avait été championne du village. Il y avait aussi la sœur de Volna, Grous, qui faisait sa première course, Frisen, qui était toujours dernière mais continuait à participer, Glarny, une rousse un peu trop grosse, mais solide et qui avait l’épaisseur nécessaire pour bien porter son fardeau. Il y avait enfin quatre nouvelles participantes, dont Mirto, venue de Grichot, qui avait entendu parler du concours de plus en plus médiatisé et avait créé un compte Instagram où elle posait en tenue de sport et maquillage, avec son chartreux couché sur les genoux.
Autour du stade, la foule se pressait dans les gradins. Grem, le journaliste local, interviewait une femme d’une soixantaine d’années, pendant que le haut-parleur présentait les concurrentes.
« Je suis en compagnie de Madame Liorta, dit Grem, qui a eu la gentillesse d’accepter de répondre à nos questions. Ce petit concours local, que vous organisez depuis dix ans, suscite de plus en plus d’engouement dans le pays, et on parle même d’un passage à la télévision, sur une chaîne nationale ? Pour rappel, le « running cat », anciennement nommé « choix du chat » est une course effectuée avec le portage d’un chat, et on peut déjà deviner la difficulté de bloquer contre soi cet animal indépendant !
-Oui, avait dit madame Liorta, avec un sourire éclatant. C’est un concours qui, je pense, peut intéresser tous les amoureux des chats, et il y en a de plus en plus ! C’est une épreuve exigeante, qui demande beaucoup d’efforts et d’entraînement, et au-delà de performances physiques, il faut vraiment être proche de son chat. C’est là toute la difficulté.
-C’est aussi, peut-on le nier, une course qui fait sourire!
-Il y a toujours des gens pour se moquer! Cela n’enlève rien à la fierté avec laquelle ces jeunes filles portent les couleurs de leur village...
Le haut-parleur demandait aux concurrentes de se mettre devant la ligne de départ avec la cage près d’elles ; Miachi sentait dans son épaule une douleur aiguë, cela n’allait pas être facile. Il fallait espérer que Poupil soit conciliant, et ne fasse pas de gestes inconsidérés. L’an dernier, elle avait été si proche de la victoire ! Au dernier moment, le chat avait redressé ses pattes arrière, ne supportant plus les cahots qu’on lui infligeait et elle avait dû le bloquer contre sa poitrine. Ce plaquage de dernière minute avait brisé son sprint. Elle était arrivée deuxième, à une demi-seconde de sa rivale.
Cette fois, malgré la douleur qu’elle ressentait à l’épaule, elle y croyait. Ils avaient suivi, son chat et elle, des séances d’hypnose pour créer une connexion plus forte entre eux, et à la dernière séance de vitesse pure, ils avaient battu leur record. Elle ne s’était jamais sentie aussi sûre d’elle.
Le compte à rebours avait commencé. Il fallait attendre le signal pour sortir le chat, et filer ! C’était un moment assez terrible, parce que le bong ! de départ pouvait stresser les chats.
Miachi prit une grande inspiration. Près d’elle, Karen ne lui adressait même pas un sourire. Fris était dans les rangs au milieu des autres entraîneurs. Bong !
Toutes les candidates ouvrirent la cage et sortirent leur animal. Une des nouvelles, qui avait ouvert sa cage la première, avait mal saisi l’animal qui s’était enfui de l’autre côté du stade. Toutes les autres, chacune avec sa technique, avaient plaqué l’animal contre elles, et prirent leur départ alors que Frisen essayait encore d’ouvrir la cage. Le mécanisme était bloqué ! Miachi, en saisissant son chat qui restait immobile, avait eu une atroce douleur à l’épaule. Non, il ne fallait pas flancher ! Déjà, Volna et Karen s’élançaient, et elle courut dans leur foulée. Miachi avait l’habitude de tenir le chat sur son épaule, mais il sembla incommodé par l’odeur de la crème, et se mit à se débattre.
Fris, voyant cela, s'était redressé de toute sa taille. Il vit Miachi prendre de l'allure, mais elle restait au niveau de Karen sans atteindre Volna, le chat gesticulant dans les bras. Derrière elle, Glarny était en train de la dépasser, le chat coincé entre ses seins. Loin derrière, Mirto avait dû lâcher son chartreux qui avait lacéré ses avant-bras en poussant des soufflements offusqués.
Poupil avait soudain cessé de bouger, et Miachi profita de cet état de transe pour augmenter son allure. Son épaule lui faisait mal, mais elle eut soudain l’impression que l’énergie du chat passait en elle, elle se vit jaguar dans la savane ; ses foulées devinrent plus souples, son cœur se rétrécit dans sa poitrine. Elle distança Glarny, dépassa Karen, se retrouva au niveau de Volna et sans même le réaliser, franchit première la ligne d’arrivée.
Fris hurlait dans les tribunes, la foule était en liesse, on n’avait jamais vu une coureuse se surpasser comme cela ! Miachi reprit ses esprits, encore secouée par l’expérience qu’elle venait de vivre. Elle salua la foule, et souleva Poupil qui ne bougeait toujours pas. Elle le regarda dans les yeux, il lui fit un clin d’œil. Quelle victoire !