Je ne peux pas raconter d'où je viens. J'ai tout oublié.
C'est ce que j'ai dit au médecin, les yeux écarquillés, le cœur tambourinant comme un sabar en transe. Il a hoché la tête, l'air de celui qui a déjà entendu cette chanson mille fois. Pourtant, pour moi, c'était une première.
Je me suis réveillé dans une pièce blanche, trop blanche, comme si la couleur avait été bannie pour cause de mauvaise conduite. Pas de fenêtre, juste une porte et un miroir. Enfin, je pensais que c'était un miroir, jusqu'à ce que le reflet me fasse un clin d'œil. J'ai crié. Le reflet aussi.
Le médecin est revenu, accompagné d'une infirmière au sourire aussi rassurant qu'une alarme incendie. Ils m'ont expliqué que j'avais été retrouvé errant dans les rues de Ndar, vêtu d'un boubou rose fluo. Apparemment, je chantais des berceuses en wolof ancien (Léébu). Je ne parle pas wolof ancien. Enfin, je crois.
Ils m'ont posé des questions : nom, prénom, adresse, couleur préférée. Rien. Le néant. Mon cerveau était une page blanche, un tableau effacé, une ardoise nettoyée avec un zèle suspect.
Les jours ont passé. J'ai appris à connaître les autres patients. Il y avait Samy, qui se prenait pour Cheikh Anta Diop, mais version rappeur. Arame, qui communiquait exclusivement en proverbes sérères. Et puis moi, l'homme sans passé, sans souvenirs, mais avec une passion naissante pour les puzzles de 1000 pièces représentant le monument de la Renaissance africaine.
Un jour, en rangeant ma chambre, j'ai trouvé une note dans ma poche : "Ne fais confiance à personne, surtout pas à toi-même." Intrigué, j'ai commencé à fouiller. Dans mes affaires, dans les couloirs, dans les conversations. Chaque indice me menait à une impasse, chaque souvenir retrouvé s'effaçait aussitôt.
Puis, un soir, j'ai eu une révélation. Et si j'avais choisi d'oublier ? Et si mon passé était si douloureux, si insupportable, que l'amnésie était une bénédiction déguisée ? Peut-être que le boubou rose fluo était ma façon de dire au monde : "Je choisis la folie douce à la réalité brutale."
Aujourd'hui, je suis toujours ici, dans cette pièce blanche. Mais j'ai fait la paix avec mon passé inconnu. Je suis le chanteur de berceuses en wolof ancien, le maître des puzzles, le boubou rose fluo. Et ça me va.