Nouvelles
8 min
Université des sciences sociales et de gestion de Bamako
Le cauchemar du roi Hacourou
Toute histoire commence un jour, quelque part. Ainsi sur les basses terres fertiles du Mandé (dans le Mali actuel), où hommes, nature et animaux vivaient en parfaite symbiose, régnait le roi Hacourou.
Fier comme tout bon maninka de ses aïeux, Hacourou était la réincarnation du vieil adage : « Qui aime bien, châtie bien ». Il savait si bien prêter de sa personne et de son attention à ses adversaires que ses amis Lui collèrent l’étiquette : « sébé mogo » (bonne personne) Mais cette bonté ne l’empêchait pas de châtier ses détracteurs.
Hacourou croyait à l’invisibilité, à l’invulnérabilité, à l’ubiquité et à l’immortalité de l’âme humaine. Imbu de la tradition ancestrale, Hacourou savait qu’aucun règne au Badougou ne durerait s’il ne s’appuyait pas sur le soutien des forces occultes, celles des ténèbres, inaccessibles aux non-initiés.
Aussi était-il devenu si superstitieux qu’il remplit sa cour de meilleurs « soman »
(féticheur) de son royaume. Tout était sujet à interprétation de la part de ces derniers. Le puissant souverain avait malencontreusement avalé sa nourriture de travers : le sacrifice d’un taureau rouge s’imposait afin de conjurer le mauvais présage.
En sortant de son palais, son pied gauche avait précipitamment devancé celui de la droite : il fallait encore sonder les génies et faire offrande d’une vierge aux mânes des maninka ! Les soman du Mandé n’avaient jamais trouvé meilleur temple pour exercer leurs talents plus que la cour de ce roi.
Il advint qu’une nuit de pleine lune ; alors que le roi Hacourou sombrait dans un sommeil léthargique, il fut visité dans son lit par un atroce cauchemar. Il rêva, en effet, qu’il venait de perdre toutes ses dents !
Traumatisé par un tel rêve, Sa majesté, durant tout le lendemain, perdit et son légendaire sourire (à juste cause) et son appétit. C’est naturellement qu’il fît appel au service des deux plus grands interprétateurs de songes de son royaume. Ceux-ci eurent recours à Makoungoba, à Kontron ani Sanè et à Diafrin afin de trouver une explication à son mystérieux rêve.
Le roi Hacourou qui les attendait au crépuscule du troisième jour, les reçut séparément dans son « tieya boulon » (maison intime)
Oh ! mon roi Hacourou, débuta le premier soman introduit. Souverain des basses terres du Mandé, je ne pus imaginer un instant ce qui vous arrive. J’ai beau interrogé mes fétiches, ils ne me donnent que de floues et lugubres réponses... Le moment de votre cauchemar est plus que révélateur du grand danger qui guette votre trône. Après la pleine lune, l’astre nocturne ferme peu à peu son œil terne et nous plonge dans les ténèbres ! La mort rôde autour de votre couronne ! Les dents si précieuses et vigoureuses ne se perdent pas, même dans un rêve, sans raison valable. .. Mon Tourabou, oh roi, ne montre que désolation, horreur et trépas dans votre cour !
Le roi Hacourou déjà terrassé par la psychose de son cauchemar, fut terriblement interloqué par tant de violence abrupte dans le verbe de son soman. Il le fit mettre à mort ! Car, se dit-il : « Un soman qui prédit la fin du monde devrait commencer par creuser sa propre tombe ! ».
Le second, par des gestes très cérémonieux, commença par saluer le roi Hacourou fortement affligé. Il ouvrit sa sacoche, en sortit son fétiche protecteur et s’exprima en ces termes : « Kotiéman sunsun ani batiéman sunsun, oh fétiche de mes aïeux ! C’est le puissant roi des basses terres du Mandé qui vous parle à travers ma modeste personne. Il se trouve dans de graves tourments... Et quand le roi Hacourou étouffe, c’est tout le Mandé qui toussote. »
Il leva la tête. Croqua un cola rouge et le cracha sur son fétiche ! Le roi, pris de stupeur, se cambra sur sa peau de léopard.
Hunhunn... grogna le soman à l’adresse de son fétiche. N’ayez crainte notre bon roi. Les génies ont répondu à notre appel de détresse. Tant que les jours succèderont aux nuits, votre soleil brillera sur le Mandé. Car vous demeurez le symbole de notre prospérité... Cependant, comme toute entreprise humaine, cela supposera de très grands sacrifices expiatoires de votre part. Il vous reste encore un très long parcours sur le trône du Mandé. Un parcours qui vous verra mettre en terre certains de vos plus proches parents et amis qui n’auront hélas pas la chance d’égaler votre longévité... Ainsi va la vie. Votre cauchemar, oh puissant souverain, n’est qu’un rêve prémonitoire... C’est ainsi que les fétiches ont parlé et je n’ai fait qu’interpréter à la mesure de mon possible. Que le roi veuille bien me pardonner si mes propos d’une manière quelconque l’ont offensé.
Le roi Hacourou qui apprécia la pondération de ce ton à sa juste valeur fit couvrir d’or et d’honneur le grand soman !
Ce dernier, en apprenant le sort de son collègue, conclut que de tout l’arsenal de son métier la parole restait l’arme la plus redoutable : « Car sans le vouloir, elle peut se dresser contre celui qui la détient et lui être fatale ! ».
Agissez aimablement envers la femme
Toute histoire commence un jour, quelque part. La forte croyance des maninka aux forces occultes et au mystère reste une question d’honneur. Aussi, femmes et hommes ont-ils très souvent recours aux soman pour dénouer leurs problèmes. Un enfant n’était malade que par la mauvaise volonté d’un mauvais œil. Un soulard, un grand coureur de jupons par la faute d’un mauvais sort. Une femme fort adulée par son mari par la puissance de ses gris-gris, de ses appâts et autres décoctions. Un bon cultivateur ne faisait une mauvaise récolte que par l’envoûtement d’un ennemi envieux. C’est ainsi que Baro, une mère de quatre enfants, écœurée et offusquée de voir son mari convoler en seconde noce, fonda tout son espoir sur le grand soman pour lui rendre sa jeunesse de naguère et faire d’elle la préférée de son « insouciant époux ». Elle lui promit ciel et terre pour récompense si le travail réussissait à souhait.
Voulez-vous réellement retrouver votre ancienne jeunesse ?
Oh que oui grand soman ! Se trémoussa-t-elle impatiente.
Et pourquoi cela ma fille ?
Afin de reconquérir le cœur de mon pauvre mari qui me trouve assez vieille pour vouloir une autre femme qui a l’âge de ma première fille.
Je comprends votre désarroi ma fille. Mais je doute fort que vous puissiez m’apporter à temps ce dont j’aurai besoin pour réaliser vos vœux.
Aucun sacrifice ne serait de trop pour une mère, telle que moi, en manque d’amour et d’affection ; se lamenta la bonne dame.
Soit, fit le soman, vous allez m’apporter au bout de sept jours une calebasse pleine de lait frais de lionne en maternité, un crochet de cobra et la patte gauche d’une taupe !
Nonobstant les difficultés liées à l’obtention de tels produits, Baro s’engagea auprès de son soman à s’exécuter dans le délai imparti. Car il s’agissait pour elle de retrouver soit son éternelle jeunesse, soit son éternelle angoisse.
Aussi une fois dehors, elle se mit à affiner sa stratégie. Sans attendre, elle alla rendre une visite de courtoisie, au risque de sa vie, à korodiara, le lion. Le contrat d’échange du seul parc de bœufs qu’elle possédait contre la calebasse de lait frais de lionne en maternité fut conclu. Courut voir Simbo, le plus grand chasseur du djoliba, avec tout l’or de son héritage maternel contre un crochet de cobra et une patte gauche de taupe. Ainsi dépouillée de toute richesse, mais pleine d’espoir de reconquérir sa jeunesse et son mari, Baro revint dans le temps imparti auprès de son soman avec ses précieux produits.
Je ne saurai vous narrer avec exactitude les différents obstacles que j’ai dû braver afin d’avoir vos offrandes, fit-elle en prenant place auprès de ce dernier.
Après avoir expliqué, non sans un grain de fierté féminine, les astuces et autres compromis qu’elle entreprit pour avoir les produits. Elle les mit entre les mains du grand maître de son destin. Celui-ci, d’un air pensif déclara...
Oh femme, mère de l’humanité, pourquoi te dépouiller tant pour une cause qui ne vaille pas la peine d’être prouvée ? Si vous employiez plutôt, ne serait-ce que le millième du génie ainsi déployé pour obtenir ces produits auprès de votre mari. Vous pensez réellement qu’il chercherait à se remarier encore ? Car, voyez-vous, malgré ma grande science je n’aurai pas pu trouver à temps autant de produits rares à la fois, même si ma vie en dépendait.
Baro, débondée, comprit le message du soman. Mais comme mentionné dans le grand livre de conduite sociale du Mandé : « Agissez aimablement envers la femme, mère de l’humanité. Car la femme a été tirée d’une côte. La partie la plus recourbée d’une côte est la partie supérieure. Si tu essayes de la réajuster, tu la casseras. Si tu la laisses telle, elle restera ainsi durant toute la vie ! Donc agissez aimablement avec la femme. Grondez-la quand elle commet un acte qui vaut la répudiation et ne la frappez que si l’acte mérite la guillotine ! ».
Mangoni (le petit manguier)
Toute histoire commence un jour, quelque part. Au levant du Badougou Djoliba, la splendide cité des maninka, s’élevait de sa haute cime un géant manguier. De ses multiples ramifications qui se dressaient vers le ciel bleuâtre, le manguier se mouvait au souffle du vent sahélien.
Ses fruits appréciés par tous les habitants de la contrée, puisaient leur succulence des entrailles de la terre ancestrale. A la saison chaude, on arrivait de toutes les contées profondes des forêts voisines pour savourer son doux ombrage et se délecter au froufrou de son balancement. Racines, radicelles, écorces et feuilles raffinées offraient aux guérisseurs du Mandé des remèdes miraculeux aux maux les plus incurables de la région. On vouait au grand manguier un véritable culte en chantant à travers forêts, champs et fleuves ses vertus mystiques. Ces vertus qui lui conféraient l’admiration de tous les mandéka.
Les habitants du Badougou étaient fiers de leur manguier : « Belle œuvre souffre-t-elle d’initiateurs ? ». Ils vécurent ainsi heureux durant des jours, des lunes et des pluies. Cela dura de la nuit des temps à l’année de la grande sécheresse où le ciel refusait de s’assombrir. Les pluies redoutaient le sol fissuré qui grondait sa soif. Les greniers se vidaient lamentablement de leur contenu. La nature ne faisait plus les yeux doux aux hommes des basses terres.
Pour autant, le géant manguier continuait à entretenir en ces temps de disette l’espoir des habitants du Djoliba. Comme à l’accoutumé, l’approche de la floraison couvait déjà d’innombrables essaims d’abeilles venues se délecter de son nectar.
Cependant, une nuit de souffle de l’harmattan déshabilla complètement l’énorme manguier de son manteau vert doré printanier ! Le lendemain matin les habitants du Djoliba ne croyaient pas à leurs yeux : « Que d’espoir envolé ! ». Tout Badougou, en maudissant cette affreuse sécheresse, nourrit une haine farouche contre cet : « Arnica du Djoliba ». Leur désarroi les aveugla et écourta leur mémoire. On était dans le mois où la canicule accentuait l’irritation des hommes. Les langues n’eurent aucune peine à médire l’arbuste arnaqueur !
Et qu’a-t-il fait aux dieux, se demandèrent les plus compatissants, pour mériter un tel sort ?
Le pauvre manguier de plus en plus asséché, devint de jour en jour indésirable. Un beau matin afin de protéger les maninka contre d’éventuelles chutes de branches et des effets collatéraux que cela pourrait occasionner, le conseil de sages, convoqué sous l’arbre à palabres, décida de l’abattage du « Géant manguier sec » !
C’est ainsi que le grand manguier du Mandé fut coupé et brûlé sur la place publique du village tandis que le grand feu laissait échapper les derniers ramages de fumées noires. De grosses perles de nuages parèrent subitement le cou du ciel. Une bonne averse se mit à tomber. Les habitants du Djoliba crièrent, chantèrent et dansèrent de joie à la naissance de la pluie des fumées du désespoir ; Tel un phœnix renaissant de ses cendres.
Cependant, le surlendemain matin, quelle ne fut leur surprise quand ils aperçurent au même endroit où ils avaient abattu et brûlé le géant manguier, surgir de la terre un arbuste aux feuilles bien tendres !
Alarmés, les maninka décidèrent de le couper sur le champ. Mais le conseil de sages avisé s’y opposa catégoriquement.
Laissons ce jeune plant s’épanouir, leur conseilla-t-il. Laissons-nous profiter de son doux ombrage, de ses succulents fruits et de ses miraculeux remèdes à nos maux, tout en célébrant sa lune de miel : « mogo bé don do kolon sé don do minogo niè ! » (la patience est la mère d’un bel enfant). Et quand viendra le temps d’une autre sécheresse où son nectar ne sera que l’absinthe, alors nous l’abattrons de nouveau !
Ainsi dit, ainsi fait et les habitants de Djoliba de nommer le jeune plant : « Mangoni »
Fier comme tout bon maninka de ses aïeux, Hacourou était la réincarnation du vieil adage : « Qui aime bien, châtie bien ». Il savait si bien prêter de sa personne et de son attention à ses adversaires que ses amis Lui collèrent l’étiquette : « sébé mogo » (bonne personne) Mais cette bonté ne l’empêchait pas de châtier ses détracteurs.
Hacourou croyait à l’invisibilité, à l’invulnérabilité, à l’ubiquité et à l’immortalité de l’âme humaine. Imbu de la tradition ancestrale, Hacourou savait qu’aucun règne au Badougou ne durerait s’il ne s’appuyait pas sur le soutien des forces occultes, celles des ténèbres, inaccessibles aux non-initiés.
Aussi était-il devenu si superstitieux qu’il remplit sa cour de meilleurs « soman »
(féticheur) de son royaume. Tout était sujet à interprétation de la part de ces derniers. Le puissant souverain avait malencontreusement avalé sa nourriture de travers : le sacrifice d’un taureau rouge s’imposait afin de conjurer le mauvais présage.
En sortant de son palais, son pied gauche avait précipitamment devancé celui de la droite : il fallait encore sonder les génies et faire offrande d’une vierge aux mânes des maninka ! Les soman du Mandé n’avaient jamais trouvé meilleur temple pour exercer leurs talents plus que la cour de ce roi.
Il advint qu’une nuit de pleine lune ; alors que le roi Hacourou sombrait dans un sommeil léthargique, il fut visité dans son lit par un atroce cauchemar. Il rêva, en effet, qu’il venait de perdre toutes ses dents !
Traumatisé par un tel rêve, Sa majesté, durant tout le lendemain, perdit et son légendaire sourire (à juste cause) et son appétit. C’est naturellement qu’il fît appel au service des deux plus grands interprétateurs de songes de son royaume. Ceux-ci eurent recours à Makoungoba, à Kontron ani Sanè et à Diafrin afin de trouver une explication à son mystérieux rêve.
Le roi Hacourou qui les attendait au crépuscule du troisième jour, les reçut séparément dans son « tieya boulon » (maison intime)
Oh ! mon roi Hacourou, débuta le premier soman introduit. Souverain des basses terres du Mandé, je ne pus imaginer un instant ce qui vous arrive. J’ai beau interrogé mes fétiches, ils ne me donnent que de floues et lugubres réponses... Le moment de votre cauchemar est plus que révélateur du grand danger qui guette votre trône. Après la pleine lune, l’astre nocturne ferme peu à peu son œil terne et nous plonge dans les ténèbres ! La mort rôde autour de votre couronne ! Les dents si précieuses et vigoureuses ne se perdent pas, même dans un rêve, sans raison valable. .. Mon Tourabou, oh roi, ne montre que désolation, horreur et trépas dans votre cour !
Le roi Hacourou déjà terrassé par la psychose de son cauchemar, fut terriblement interloqué par tant de violence abrupte dans le verbe de son soman. Il le fit mettre à mort ! Car, se dit-il : « Un soman qui prédit la fin du monde devrait commencer par creuser sa propre tombe ! ».
Le second, par des gestes très cérémonieux, commença par saluer le roi Hacourou fortement affligé. Il ouvrit sa sacoche, en sortit son fétiche protecteur et s’exprima en ces termes : « Kotiéman sunsun ani batiéman sunsun, oh fétiche de mes aïeux ! C’est le puissant roi des basses terres du Mandé qui vous parle à travers ma modeste personne. Il se trouve dans de graves tourments... Et quand le roi Hacourou étouffe, c’est tout le Mandé qui toussote. »
Il leva la tête. Croqua un cola rouge et le cracha sur son fétiche ! Le roi, pris de stupeur, se cambra sur sa peau de léopard.
Hunhunn... grogna le soman à l’adresse de son fétiche. N’ayez crainte notre bon roi. Les génies ont répondu à notre appel de détresse. Tant que les jours succèderont aux nuits, votre soleil brillera sur le Mandé. Car vous demeurez le symbole de notre prospérité... Cependant, comme toute entreprise humaine, cela supposera de très grands sacrifices expiatoires de votre part. Il vous reste encore un très long parcours sur le trône du Mandé. Un parcours qui vous verra mettre en terre certains de vos plus proches parents et amis qui n’auront hélas pas la chance d’égaler votre longévité... Ainsi va la vie. Votre cauchemar, oh puissant souverain, n’est qu’un rêve prémonitoire... C’est ainsi que les fétiches ont parlé et je n’ai fait qu’interpréter à la mesure de mon possible. Que le roi veuille bien me pardonner si mes propos d’une manière quelconque l’ont offensé.
Le roi Hacourou qui apprécia la pondération de ce ton à sa juste valeur fit couvrir d’or et d’honneur le grand soman !
Ce dernier, en apprenant le sort de son collègue, conclut que de tout l’arsenal de son métier la parole restait l’arme la plus redoutable : « Car sans le vouloir, elle peut se dresser contre celui qui la détient et lui être fatale ! ».
Agissez aimablement envers la femme
Toute histoire commence un jour, quelque part. La forte croyance des maninka aux forces occultes et au mystère reste une question d’honneur. Aussi, femmes et hommes ont-ils très souvent recours aux soman pour dénouer leurs problèmes. Un enfant n’était malade que par la mauvaise volonté d’un mauvais œil. Un soulard, un grand coureur de jupons par la faute d’un mauvais sort. Une femme fort adulée par son mari par la puissance de ses gris-gris, de ses appâts et autres décoctions. Un bon cultivateur ne faisait une mauvaise récolte que par l’envoûtement d’un ennemi envieux. C’est ainsi que Baro, une mère de quatre enfants, écœurée et offusquée de voir son mari convoler en seconde noce, fonda tout son espoir sur le grand soman pour lui rendre sa jeunesse de naguère et faire d’elle la préférée de son « insouciant époux ». Elle lui promit ciel et terre pour récompense si le travail réussissait à souhait.
Voulez-vous réellement retrouver votre ancienne jeunesse ?
Oh que oui grand soman ! Se trémoussa-t-elle impatiente.
Et pourquoi cela ma fille ?
Afin de reconquérir le cœur de mon pauvre mari qui me trouve assez vieille pour vouloir une autre femme qui a l’âge de ma première fille.
Je comprends votre désarroi ma fille. Mais je doute fort que vous puissiez m’apporter à temps ce dont j’aurai besoin pour réaliser vos vœux.
Aucun sacrifice ne serait de trop pour une mère, telle que moi, en manque d’amour et d’affection ; se lamenta la bonne dame.
Soit, fit le soman, vous allez m’apporter au bout de sept jours une calebasse pleine de lait frais de lionne en maternité, un crochet de cobra et la patte gauche d’une taupe !
Nonobstant les difficultés liées à l’obtention de tels produits, Baro s’engagea auprès de son soman à s’exécuter dans le délai imparti. Car il s’agissait pour elle de retrouver soit son éternelle jeunesse, soit son éternelle angoisse.
Aussi une fois dehors, elle se mit à affiner sa stratégie. Sans attendre, elle alla rendre une visite de courtoisie, au risque de sa vie, à korodiara, le lion. Le contrat d’échange du seul parc de bœufs qu’elle possédait contre la calebasse de lait frais de lionne en maternité fut conclu. Courut voir Simbo, le plus grand chasseur du djoliba, avec tout l’or de son héritage maternel contre un crochet de cobra et une patte gauche de taupe. Ainsi dépouillée de toute richesse, mais pleine d’espoir de reconquérir sa jeunesse et son mari, Baro revint dans le temps imparti auprès de son soman avec ses précieux produits.
Je ne saurai vous narrer avec exactitude les différents obstacles que j’ai dû braver afin d’avoir vos offrandes, fit-elle en prenant place auprès de ce dernier.
Après avoir expliqué, non sans un grain de fierté féminine, les astuces et autres compromis qu’elle entreprit pour avoir les produits. Elle les mit entre les mains du grand maître de son destin. Celui-ci, d’un air pensif déclara...
Oh femme, mère de l’humanité, pourquoi te dépouiller tant pour une cause qui ne vaille pas la peine d’être prouvée ? Si vous employiez plutôt, ne serait-ce que le millième du génie ainsi déployé pour obtenir ces produits auprès de votre mari. Vous pensez réellement qu’il chercherait à se remarier encore ? Car, voyez-vous, malgré ma grande science je n’aurai pas pu trouver à temps autant de produits rares à la fois, même si ma vie en dépendait.
Baro, débondée, comprit le message du soman. Mais comme mentionné dans le grand livre de conduite sociale du Mandé : « Agissez aimablement envers la femme, mère de l’humanité. Car la femme a été tirée d’une côte. La partie la plus recourbée d’une côte est la partie supérieure. Si tu essayes de la réajuster, tu la casseras. Si tu la laisses telle, elle restera ainsi durant toute la vie ! Donc agissez aimablement avec la femme. Grondez-la quand elle commet un acte qui vaut la répudiation et ne la frappez que si l’acte mérite la guillotine ! ».
Mangoni (le petit manguier)
Toute histoire commence un jour, quelque part. Au levant du Badougou Djoliba, la splendide cité des maninka, s’élevait de sa haute cime un géant manguier. De ses multiples ramifications qui se dressaient vers le ciel bleuâtre, le manguier se mouvait au souffle du vent sahélien.
Ses fruits appréciés par tous les habitants de la contrée, puisaient leur succulence des entrailles de la terre ancestrale. A la saison chaude, on arrivait de toutes les contées profondes des forêts voisines pour savourer son doux ombrage et se délecter au froufrou de son balancement. Racines, radicelles, écorces et feuilles raffinées offraient aux guérisseurs du Mandé des remèdes miraculeux aux maux les plus incurables de la région. On vouait au grand manguier un véritable culte en chantant à travers forêts, champs et fleuves ses vertus mystiques. Ces vertus qui lui conféraient l’admiration de tous les mandéka.
Les habitants du Badougou étaient fiers de leur manguier : « Belle œuvre souffre-t-elle d’initiateurs ? ». Ils vécurent ainsi heureux durant des jours, des lunes et des pluies. Cela dura de la nuit des temps à l’année de la grande sécheresse où le ciel refusait de s’assombrir. Les pluies redoutaient le sol fissuré qui grondait sa soif. Les greniers se vidaient lamentablement de leur contenu. La nature ne faisait plus les yeux doux aux hommes des basses terres.
Pour autant, le géant manguier continuait à entretenir en ces temps de disette l’espoir des habitants du Djoliba. Comme à l’accoutumé, l’approche de la floraison couvait déjà d’innombrables essaims d’abeilles venues se délecter de son nectar.
Cependant, une nuit de souffle de l’harmattan déshabilla complètement l’énorme manguier de son manteau vert doré printanier ! Le lendemain matin les habitants du Djoliba ne croyaient pas à leurs yeux : « Que d’espoir envolé ! ». Tout Badougou, en maudissant cette affreuse sécheresse, nourrit une haine farouche contre cet : « Arnica du Djoliba ». Leur désarroi les aveugla et écourta leur mémoire. On était dans le mois où la canicule accentuait l’irritation des hommes. Les langues n’eurent aucune peine à médire l’arbuste arnaqueur !
Et qu’a-t-il fait aux dieux, se demandèrent les plus compatissants, pour mériter un tel sort ?
Le pauvre manguier de plus en plus asséché, devint de jour en jour indésirable. Un beau matin afin de protéger les maninka contre d’éventuelles chutes de branches et des effets collatéraux que cela pourrait occasionner, le conseil de sages, convoqué sous l’arbre à palabres, décida de l’abattage du « Géant manguier sec » !
C’est ainsi que le grand manguier du Mandé fut coupé et brûlé sur la place publique du village tandis que le grand feu laissait échapper les derniers ramages de fumées noires. De grosses perles de nuages parèrent subitement le cou du ciel. Une bonne averse se mit à tomber. Les habitants du Djoliba crièrent, chantèrent et dansèrent de joie à la naissance de la pluie des fumées du désespoir ; Tel un phœnix renaissant de ses cendres.
Cependant, le surlendemain matin, quelle ne fut leur surprise quand ils aperçurent au même endroit où ils avaient abattu et brûlé le géant manguier, surgir de la terre un arbuste aux feuilles bien tendres !
Alarmés, les maninka décidèrent de le couper sur le champ. Mais le conseil de sages avisé s’y opposa catégoriquement.
Laissons ce jeune plant s’épanouir, leur conseilla-t-il. Laissons-nous profiter de son doux ombrage, de ses succulents fruits et de ses miraculeux remèdes à nos maux, tout en célébrant sa lune de miel : « mogo bé don do kolon sé don do minogo niè ! » (la patience est la mère d’un bel enfant). Et quand viendra le temps d’une autre sécheresse où son nectar ne sera que l’absinthe, alors nous l’abattrons de nouveau !
Ainsi dit, ainsi fait et les habitants de Djoliba de nommer le jeune plant : « Mangoni »