Toute histoire commence un jour, quelque part mais on ne sait quand, ni comment ! Et c’est ainsi qu’a commencé mon histoire, il y a trente-sept ans de cela. Je me rappelle encore de ce matin, où mon père nous réveilla mon frère et moi avec un ton acariâtre qu’il ne l’avait jamais fait. Il nous dit de nous préparer rapidement et de prendre avec nous quelques habits car on devait faire un long voyage à Dakar. Rapidement, je pris le petit sac en peau de mouton qui était au fond de la case et j’eus mis quelques habits pour mon frère et moi. J’étais surexcité à l’idée d’aller dans la capitale, cette capitale dont on me racontait ses merveilles et qui aujourd’hui est devenue mon pire cauchemar. J’avais à peine neuf ans à l’époque et mon petit frère cinq ans. Je n’avais jamais voyagé, j’étais toujours au village, un village assez lointain du Sénégal. C’était l’appel de mon père qui nous fit sortir de la case. J’observai une dernière fois cette case qui m’a vu grandir. J’étais vraiment content d’y aller. Je me suis retourné pour dire au revoir à ma mère qui d’un regard profond, nous étreignis sous un sanglot. J’avais rien compris ! Tout ce que je savais, c’est que c’était la première fois que je voyais ma mère pleurer et cela m’a vraiment fendu le cœur. Puis, elle se détacha de nous et nous dis « mes fils où que vous soyez, sachez que je serai toujours avec vous. Abdoul prends toujours soin de ton petit frère, il ne connaît rien. Soyez forts et sachez que tout malheur finira par se changer en bonheur et que même si le tunnel paraît très long vous finirez toujours par joindre le bout. Que Dieu vous bénisse!» Puis elle se retourna d’un geste rapide comme si elle ne voulait qu’on la voit pleurer. Et on sortit de la maison suivant mon père. Si seulement je savais ! Si je savais que c’était cette dernière fois que je voyais ma tendre mère... Pour rien au monde, j’allais la quitter. Pendant tout le trajet, mes pensées étaient rivées vers elle, vers ce qu’elle m’a dit. Que voulait-elle me dire par là ? Beaucoup de questions me venaient à l’esprit sans que je puisse avoir une réponse convaincante et c’est là que j’ai senti que ça n’allait pas être facile pour nous.
Nous sommes arrivés à Dakar dans la soirée et je me voyais déjà autre part. Je me demandais si on était en Afrique tellement j’étais émerveillé par autant de clarté. Parce qu’étant jeune, la seule image que j’avais de notre cher continent était le cadre de mon village. C’était tellement différent maintenant que j’étais dans la capitale car à pareille heure du soir, y avait une obscurité totale qui régnait au village sauf en période de pleine lune. On prit une voiture qui nous emmena dans un quartier bondé de population qu’on nommait Pikine. Mon père tenait la main de Moustapha, mon petit frère. On marchait le long d’une ruelle, puis mon père s’est arrêté devant une petite maison délabrée. La porte était ouverte alors mon père entra suivi de mon frère et moi. Je voyais beaucoup d’enfants à l’arrière de la maison. Mon père demanda à une dame où est Thierno et la dame lui dit qu’il se trouvait dans la chambre. Puis il nous ordonna de l’attendre et entra dans la chambre que lui avait indiquée la dame. Après quelques minutes, il ressortit avec un vieux qui a à peu près le même âge que lui. On le salua puis il appela quelqu’un qui nous emmena dans une chambre pour dormir car ça commençait à être tard. Le matin, c’est des coups de pieds qui m’ont réveillé. C’était le gars qui nous emmena dans la chambre, la veille. Il me criait dessus et avait un fouet à la main. A la vue du fouet, mon frère n’arrêtait de pleurer et la terreur se lisait sur son visage. C’est là que je me suis levé rapidement pour demander des nouvelles de mon père.
-Où est notre père ? Lui demandai-je.
-Ici, il n’y a ni père ni mère, me cracha ce dernier.
Je ne savais toujours pas pourquoi mon père a voulu nous faire ça. Au début, je croyais que c’était pour l’apprentissage et la mémorisation du Coran, mais petit à petit, je me suis aperçu que tel n’était pas le cas. Je le haïssais dans mon for intérieur et cela chaque jour un peu plus. Et c’était ainsi que je commençais à comprendre ce que ma mère voulait me dire.
On n’avait presque pas de vie. Nos habits qu’on avait emmené, notre sac, tout a été pris par le maître Thierno qui le donnait ensuite à ses enfants.
Tous les travaux de la maison, c’était à nous de les exécuter. C’était dans ces moments que l’amour et l’affection de notre mère nous manquait réellement. On avait ni nouvelles de mère ni celles de père. Chaque jour, on devait verser une somme à Thierno. On allait dans les rues, stationné devant les voitures, tendre nos mains aux passants pour pouvoir à la fin de la journée avoir la somme qu’on devait verser au maître. Si la somme manquait parfois, on nous frappait, maltraitait et forçait à faire tous les travaux. Des haillons étaient nos seuls vêtements et on n’avait pas la possibilité de porter des chaussures. Les gens nous appelaient « talibés» (mendiants). Notre vie n’était devenue que calvaire.
Je me rappelle encore de ce jour où Moustapha, mon petit frère voulut manger quelque chose et qu’un des assistants du maître lui dit d’un ton sévère :
-Vous n’avez rien à demander ou désirer. Votre père a dégagé sa responsabilité en vous emmenant ici. Si vous voulez manger, vous allez dehors et quémander.
A ces propos, je ne voulais rien d’autres que pleurer et mettre fin à ma misérable vie mais je me souvins de ce que ma mère m’a dit le jour de notre départ. Ah maman si tu savais comment tu nous manque...
Trois années se sont passées depuis qu’on a quitté le village et notre situation n’avait guère améliorée mais elle s’empirait de plus en plus. Un jour en traversant la route, Moustapha fût heurté par une voiture qui prit la fuite au moment où les gens commençaient à venir autour de ce corps inerte. C’était comme si on m’avait arraché le cœur de ma poitrine quand je vis du sang couler là où il était tombé. Je courus vers lui, le secouant, criant de toutes mes forces.
-Moustapha, Moustapha reviens-moi, ne me quittes pas. Tout ça sera fini et on rentrera à la maison chercher maman. Je te le promets Moustapha. S’il te plaît réponds-moi Moustapha...
Mais c’était peine perdue. Personne ne réagissait dans la foule, tout ce que j’entendais, était des murmures disant qu’il ne va plus survivre. Puis, une autre voiture se gara, et une dame sortit pour voir. Elle sursauta à la vue de Moustapha se baignant dans son propre sang, sans que quelqu’un ne réagisse. Elle s’éloigne un peu de la foule, puis compose un numéro et appelle. Quelques minutes après l’appel de la dame, on entendit la sirène d’une ambulance qui retentit au loin, puis de plus près. Les ambulanciers descendirent avec leur matériel de premiers soins. Mais l’un remarqua que le sang venait de la tête de Moustapha, puis en un temps, trois mouvements, il prit son pouls et son rythme cardiaque et dit à l’autre.
-Il faut lui faire un massage cardiaque rapidement sinon, on va le perdre.
Et ils continuaient de parler mais je ne savais rien de ce qu’ils disaient. Mes larmes coulèrent de plus belles quand soudain, l’un des ambulanciers tourna vers la dame avec un visage affligeant et lui dit :
-on est vraiment désolé madame, mais Dieu en a décidé autrement.
En ce moment, je n’entendais rien d’autre que les pleurs de Moustapha cette première nuit après que notre père nous a laissé dans ce calvaire, me disant qu’il voulait retourner voir notre mère. Je ne pouvais rien faire que de larmoyer. J’étais dégoûté de cette vie. De cette capitale que tout le monde voyait un emblème national mais moi, je n’y voyais que géhenne. Tout ce que je voulais c’était de le rejoindre. Il était la seule famille qui me restait.
Quelques minutes plus tard, la police débarqua pour faire le constat. L’un des policiers demanda à la dame :
-madame, connaissez-vous cet enfant ?
-Non monsieur, je passais seulement mais quand j’ai aperçu que c’était un accident alors je me suis stoppé et j’ai vite appelé les secours. Mais il semble que ce garçon le connaît, répondit-elle en me désignant du doigt.
Alors le policier me demanda, comment connaissais-je la victime et je lui répondis que c’était mon petit frère. Ensuite, il poursuivit en me demandant où sont nos parents et je lui expliquai comment on est venu ici et comment on vivait pendant tout ce temps. Entendant mon récit, la dame ne pouvait retenir ses larmes. Elle pleurait en disant comment un parent peut être si irresponsable jusqu’à offrir son fils à un sois disant maître coranique qui ne fait que l’exploiter. Alors, elle décida de me prendre en charge et de dénoncer cela à la police. C’est ainsi que j’ai rencontré cette bonne étoile qui m’avait donné beaucoup d’amour suite à cette tragédie que je vécus. Elle s’appelait Seyni Diouf et était veuve. Elle ne pouvait pas avoir d’enfant. Alors, elle avait fait de moi un fils qu’elle n’avait jamais porté. Je ne manquais de rien et je commençai à aller à l’école.
Des années plus tard, après que j’eus finis mes études, j’ai intégré le milieu littéraire et c’est ainsi que je devins un grand poète. Et le premier poème que j’écrivis était intitulé « Talibés » d’où, j’expliquai leur vécu en ces termes :
Je marche sous ce soleil ardent d’Afrique
Mes pieds las et nus parcourent cette partie du tropique
L’aumône, ma seule préoccupation
Qui à la fin devient une passion
Je marche sur cette amère destinée, traversant quartiers et marchés
Pour un seul but, celui de contenter mon maître
Lui disant être un grand disciple guidé,
Ne nous considère pas comme des êtres
Pour moi le futur est déjà un passé
Composé de cicatrices inscrites à jamais
Pourquoi suis-je digne de cette belle vie ténébreuse ?
Où règnent la mauvaiseté et la duplicité de ces personnes trompeuses
Ne me regardez pas mourir de peines et de douleurs. Juste un peu de pitié.
Pour qu’enfin je puisse rompre avec la pauvreté cette horrible amitié.
Maman disait la vérité car de talibé auparavant à un grand poète aujourd’hui, j’ai pu joindre le bout du tunnel, depuis ce jour où commença une nouvelle histoire...
Nous sommes arrivés à Dakar dans la soirée et je me voyais déjà autre part. Je me demandais si on était en Afrique tellement j’étais émerveillé par autant de clarté. Parce qu’étant jeune, la seule image que j’avais de notre cher continent était le cadre de mon village. C’était tellement différent maintenant que j’étais dans la capitale car à pareille heure du soir, y avait une obscurité totale qui régnait au village sauf en période de pleine lune. On prit une voiture qui nous emmena dans un quartier bondé de population qu’on nommait Pikine. Mon père tenait la main de Moustapha, mon petit frère. On marchait le long d’une ruelle, puis mon père s’est arrêté devant une petite maison délabrée. La porte était ouverte alors mon père entra suivi de mon frère et moi. Je voyais beaucoup d’enfants à l’arrière de la maison. Mon père demanda à une dame où est Thierno et la dame lui dit qu’il se trouvait dans la chambre. Puis il nous ordonna de l’attendre et entra dans la chambre que lui avait indiquée la dame. Après quelques minutes, il ressortit avec un vieux qui a à peu près le même âge que lui. On le salua puis il appela quelqu’un qui nous emmena dans une chambre pour dormir car ça commençait à être tard. Le matin, c’est des coups de pieds qui m’ont réveillé. C’était le gars qui nous emmena dans la chambre, la veille. Il me criait dessus et avait un fouet à la main. A la vue du fouet, mon frère n’arrêtait de pleurer et la terreur se lisait sur son visage. C’est là que je me suis levé rapidement pour demander des nouvelles de mon père.
-Où est notre père ? Lui demandai-je.
-Ici, il n’y a ni père ni mère, me cracha ce dernier.
Je ne savais toujours pas pourquoi mon père a voulu nous faire ça. Au début, je croyais que c’était pour l’apprentissage et la mémorisation du Coran, mais petit à petit, je me suis aperçu que tel n’était pas le cas. Je le haïssais dans mon for intérieur et cela chaque jour un peu plus. Et c’était ainsi que je commençais à comprendre ce que ma mère voulait me dire.
On n’avait presque pas de vie. Nos habits qu’on avait emmené, notre sac, tout a été pris par le maître Thierno qui le donnait ensuite à ses enfants.
Tous les travaux de la maison, c’était à nous de les exécuter. C’était dans ces moments que l’amour et l’affection de notre mère nous manquait réellement. On avait ni nouvelles de mère ni celles de père. Chaque jour, on devait verser une somme à Thierno. On allait dans les rues, stationné devant les voitures, tendre nos mains aux passants pour pouvoir à la fin de la journée avoir la somme qu’on devait verser au maître. Si la somme manquait parfois, on nous frappait, maltraitait et forçait à faire tous les travaux. Des haillons étaient nos seuls vêtements et on n’avait pas la possibilité de porter des chaussures. Les gens nous appelaient « talibés» (mendiants). Notre vie n’était devenue que calvaire.
Je me rappelle encore de ce jour où Moustapha, mon petit frère voulut manger quelque chose et qu’un des assistants du maître lui dit d’un ton sévère :
-Vous n’avez rien à demander ou désirer. Votre père a dégagé sa responsabilité en vous emmenant ici. Si vous voulez manger, vous allez dehors et quémander.
A ces propos, je ne voulais rien d’autres que pleurer et mettre fin à ma misérable vie mais je me souvins de ce que ma mère m’a dit le jour de notre départ. Ah maman si tu savais comment tu nous manque...
Trois années se sont passées depuis qu’on a quitté le village et notre situation n’avait guère améliorée mais elle s’empirait de plus en plus. Un jour en traversant la route, Moustapha fût heurté par une voiture qui prit la fuite au moment où les gens commençaient à venir autour de ce corps inerte. C’était comme si on m’avait arraché le cœur de ma poitrine quand je vis du sang couler là où il était tombé. Je courus vers lui, le secouant, criant de toutes mes forces.
-Moustapha, Moustapha reviens-moi, ne me quittes pas. Tout ça sera fini et on rentrera à la maison chercher maman. Je te le promets Moustapha. S’il te plaît réponds-moi Moustapha...
Mais c’était peine perdue. Personne ne réagissait dans la foule, tout ce que j’entendais, était des murmures disant qu’il ne va plus survivre. Puis, une autre voiture se gara, et une dame sortit pour voir. Elle sursauta à la vue de Moustapha se baignant dans son propre sang, sans que quelqu’un ne réagisse. Elle s’éloigne un peu de la foule, puis compose un numéro et appelle. Quelques minutes après l’appel de la dame, on entendit la sirène d’une ambulance qui retentit au loin, puis de plus près. Les ambulanciers descendirent avec leur matériel de premiers soins. Mais l’un remarqua que le sang venait de la tête de Moustapha, puis en un temps, trois mouvements, il prit son pouls et son rythme cardiaque et dit à l’autre.
-Il faut lui faire un massage cardiaque rapidement sinon, on va le perdre.
Et ils continuaient de parler mais je ne savais rien de ce qu’ils disaient. Mes larmes coulèrent de plus belles quand soudain, l’un des ambulanciers tourna vers la dame avec un visage affligeant et lui dit :
-on est vraiment désolé madame, mais Dieu en a décidé autrement.
En ce moment, je n’entendais rien d’autre que les pleurs de Moustapha cette première nuit après que notre père nous a laissé dans ce calvaire, me disant qu’il voulait retourner voir notre mère. Je ne pouvais rien faire que de larmoyer. J’étais dégoûté de cette vie. De cette capitale que tout le monde voyait un emblème national mais moi, je n’y voyais que géhenne. Tout ce que je voulais c’était de le rejoindre. Il était la seule famille qui me restait.
Quelques minutes plus tard, la police débarqua pour faire le constat. L’un des policiers demanda à la dame :
-madame, connaissez-vous cet enfant ?
-Non monsieur, je passais seulement mais quand j’ai aperçu que c’était un accident alors je me suis stoppé et j’ai vite appelé les secours. Mais il semble que ce garçon le connaît, répondit-elle en me désignant du doigt.
Alors le policier me demanda, comment connaissais-je la victime et je lui répondis que c’était mon petit frère. Ensuite, il poursuivit en me demandant où sont nos parents et je lui expliquai comment on est venu ici et comment on vivait pendant tout ce temps. Entendant mon récit, la dame ne pouvait retenir ses larmes. Elle pleurait en disant comment un parent peut être si irresponsable jusqu’à offrir son fils à un sois disant maître coranique qui ne fait que l’exploiter. Alors, elle décida de me prendre en charge et de dénoncer cela à la police. C’est ainsi que j’ai rencontré cette bonne étoile qui m’avait donné beaucoup d’amour suite à cette tragédie que je vécus. Elle s’appelait Seyni Diouf et était veuve. Elle ne pouvait pas avoir d’enfant. Alors, elle avait fait de moi un fils qu’elle n’avait jamais porté. Je ne manquais de rien et je commençai à aller à l’école.
Des années plus tard, après que j’eus finis mes études, j’ai intégré le milieu littéraire et c’est ainsi que je devins un grand poète. Et le premier poème que j’écrivis était intitulé « Talibés » d’où, j’expliquai leur vécu en ces termes :
Je marche sous ce soleil ardent d’Afrique
Mes pieds las et nus parcourent cette partie du tropique
L’aumône, ma seule préoccupation
Qui à la fin devient une passion
Je marche sur cette amère destinée, traversant quartiers et marchés
Pour un seul but, celui de contenter mon maître
Lui disant être un grand disciple guidé,
Ne nous considère pas comme des êtres
Pour moi le futur est déjà un passé
Composé de cicatrices inscrites à jamais
Pourquoi suis-je digne de cette belle vie ténébreuse ?
Où règnent la mauvaiseté et la duplicité de ces personnes trompeuses
Ne me regardez pas mourir de peines et de douleurs. Juste un peu de pitié.
Pour qu’enfin je puisse rompre avec la pauvreté cette horrible amitié.
Maman disait la vérité car de talibé auparavant à un grand poète aujourd’hui, j’ai pu joindre le bout du tunnel, depuis ce jour où commença une nouvelle histoire...