L'avocat du Diable

« Maître ? Vous plaisantez ? Vous pouvez me cogner, comme l'ont fait tous les autres, mais je ne vous appellerai pas maître ». Il s'entêtait, inlassablement, à se cramponner à sa dignité d'avocat qui l'empêchait encore de m'appeler maître, et moi à le tabasser... Il m'a fallu être un avocat pour comprendre cet orgueil dont on se revêt, telle une robe qui pare nos plaidoiries. Son sang s'aspergeait sur sa cellule. Il me fallait faire vite pour le faire regretter de m'avoir ôté ma vie, avant que les gardes pénitenciers du matin n'interviennent. J'avais réussi à corrompre ceux de la nuit qui avaient entamé la bastonnade, afin d'avoir accès au visage de ce sale meurtrier qui n'a d'humain que sa chair que je transperçais farouchement de lames pendant bientôt 3h de temps, je l'assommais encore...

Plus les nuits et leurs heures passent, plus je me surprends entrain de penser, de devenir, tel l'abominable homme que je déteste le plus au monde (cela je le nie de toutes mes forces mais quand la nuit porte conseil, on se tait puis on l'écoute pointer du doigt nos défauts).

J'entendais des pas se rapprocher, des bruits dehors, quelqu'un frappait à la porte... Je me suis alors réveillé. C'était Albert. Comme toujours, il est l'alarme de mes matinées accablantes. Ma nuit est toujours longue et ses cauchemars aussi violentes que ténébreux.

Ah ! C'était le même rêve depuis voilà deux ans : moi, dans une pièce de prison (il me semble... Le rêve n'a de réalité que sa fin, au moment où l'on s'aperçoit qu'on y était embarqué), entrain de servir des gourmades à ce niais dont je tais le nom. Je me frottais les yeux. Il me fixait, comme pour me montrer qu'il en avait marre de moi...

_Toujours aussi inexpérimenté pour se lever d'un lit, me dit Albert, Qu'as-tu fait ? s'interrogea t'il

_ Qu'ai-je « encore fait » ? Moi disciple de la justice ? Lui répondais-je conscient de l'ampleur de mon acte.

_ « Disciple de la justice » (il riait, énervé), depuis quand te fais-tu, mon cher, avocat du Diable ?

_ Pour dispenser un homme du « lynchage public » et de « la violence populiste » comme écrivait mon mentor (Éric Dupond Moretti) lui rappelai-je

En vrai, Albert ne me reconnait plus. Il est le seul ami qui me reste au monde. Ce n'est pas pour autant qu'il connaît tout de moi. J'ai toujours était mystérieux et ce côté sombre en moi, il n'a jamais su le transcender. Ma sincérité lui suffit (afin...je pense, peut-être est-ce une façon de me consoler de ne pas être un mauvais ami pour quelqu'un qui me considère comme son fidèle allié, son frère... l'homme est une charade insoluble). Contrairement à moi, il a su demeurer, exactement - malgré les intempéries du temps, de ses épreuves qui nous font nous résigner - l'être qu'il était.

_ Après avoir réussi à faire acquitter l'homme le plus détesté du pays, après avoir déçu l'opinion publique qui présageait en toi un roc, image présageant une justice parfaite pour l'avenir, dis-moi, Gaspard, dors-tu avec une conscience tranquille ? me demanda t'il, consterné.
Je me taisais. Il partit...


11 Décembre 2020

Les souvenirs remontent au cœur...
C'était un soir du 6 Octobre 2007... Un jeune garçon âgé de 12 ans, attendant sa mère derrière le resto où ils avaient l'habitude de se retrouver à 20 heures, aperçut, de loin, sa mère être ligotée, jetée dans la malle d'une voiture, séquestrée... Le petit homme voulut crier très fort, très haut, pour que Dieu l'entende et lui vienne en aide, mais un homme lui mit la main à la bouche pour l'en empêcher ; afin qu'il ne se fasse pas tuer...Ce jeune garçon innocent, perdu, qui fut élevé par cet inconnu, ce jeune « bout de bois de Dieu », qui s'accrocha au vécu malgré tout ; ce même garçonnet qui se renia pour devenir exactement tel qu'il voulu être après tant d'années... C'est moi. Après tant d'années, j'ai pu me frayer une destinée singulière... Cette partie de mon histoire, Albert ne la connait pas.


12 Décembre 2020

Saviez-vous que libérer un homme de prison est la meilleure manière de le retenir emprisonné ? Afin... sous terre. Là où il n'importunera plus jamais personne. C'est ce que m'a appris l'homme mystérieux. Pendant tout ce temps il était mon veilleur de nuit, l'ange gardien contre mes peurs, mes soucis, mes peines... Il est l'inconnu qui m'empêcha d'hurler quand des hyènes s'emparaient de maman, m'apprenant à ne jamais m'alarmer dans la vie, restant toujours dans l'ombre, me protégeant...

Je lui ai livré l'homme pour qu'il me l'achève enfin, afin que je vive délivré de mes mauvais souvenirs, apaisé de cette angoisse de tous les jours... Savoir que l'assassin de ma mère est, pour toujours, occulté, serai – j'en suis persuadé – la seule issue à mon vécu d'homme rancunier, dépouillé de ce mal-être qui me gangrène encore la quiddité.
Le travail prévu devrait être fait à 7h 05 minutes...
Le téléphone sonne, je décroche. C'est l'homme mystérieux. Qui me dit trois mots. Ce sont les termes du terme :

_ Bref, c'est fait.

Je venais de rendre éternellement libre, pour de bon, mon neuvième plus grand client de ma carrière d'avocat, en le faisant tuer.
Cet ancien ministre d'une justice injuste, c'est l'assassin de ma mère. Je venais de m'en défaire, j'étais content, mais plongé dans une perplexité inexplicable.


31 Décembre 2020

Un jour, j'ai demandé à un vieux meurtrier converti ( n'y était-il pas obligé, en étant si proche de sa fin de vie ? La mort rend si pieux, cela, on fait semblant de ne pas le concéder... ), comment assassiner parfaitement un homme sans se faire prendre...
Il me fixait, des instants durant, avec ses yeux repentis, qui rêvaient d'explorer la gloire de la vertu, après tant d'années dans l'obscurité apparente de la prison, enfermé par des grilles sévères qui rappelaient toujours que mille et une pénitence, qu'une pléthore de regrets, ne sauraient escamoter les exécrables actions d'une jeunesse perdue. Car même si Dieu pardonne, la conscience, elle, ce juge inamovible, indélébile et tenace, ne saurait songer acquitter l'homme qu'il a inlassablement avertie, mais qui s'est rué, entêté, tout droit vers l'accomplissement de son désir ignoble ( on se trouve toujours une raison pour combler nos vices, cela aussi on ne l'assume pas ).

Tout cela, j'ai fini par m'en rendre compte aujourd'hui, après avoir tué ce démon qui, mort ou vivant, me hante encore. Comment me départirai-je de lui ?

Il finit par ouvrir sa bouche nauséabonde – dont les dents, qui prenaient de la bouteille, laissaient place à une haleine repoussante, des gencives qui suppuraient, - qui incarnait toute la pourriture de sa misérable vie pécheresse qu'il essayait en vain d'expier sans ne jamais, pourtant, daigner la regretter ; il suffisait de traverser le pénombre de son regard pour jauger les raisons inavouées – pour lesquelles il ne ressentait la moindre aversion - de son pénitence, ( c'était cela son plus lourd fardeau et il le savait, l'important pour lui était peut-être de se persuader de lutter ; pour tromper Dieu ou mourir apaisé ? qui sait... ).

_ Jeune garçon, me répondit-il enfin, l'amour est la solution à tous les obstacles du monde. Ceux qui font semblant d'aimer, se dispensent de beaucoup de mots.Tu comprendras.

Âgé de 14 ans que j'étais, il me fallut des années pour comprendre le sens de ces mots là... C'est ma plus belle rencontre, est de là provient ma plus sotte exégèse...

Par cette soirée crépusculaire du 31 Décembre, j'abandonnais mon corps sur cette chaise inconfortable de mon balcon, laissant mes pensées voyager, me replongeant à ces années de mon enfance, où mon attitude versatile tel ce ciel changeant, contenait comme encore, quelques onces de regrets qui reprochent à mon cœur d'être si dur, cette pierre de sang. Et pour l'assommer, quelqu'un sonnait à la porte. J'ouvrais...

C'était une femme. Elle avait la quarantaine. C'était maman...

Après tant d'années, elle n'était donc pas morte ?