L'aventureux d'un soir

Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité. Une minute ou une éternité,
ça n'a aucune importance. Tout ça, c'est du passé. Vestige d'une époque éphémère.
Brûlure d'un rêve avorté. Trop timide pour s'expulser sous le prisme du jour.

Un jour, une personne m'a dit : « Nos cœurs défient la gravité de l'amour, et, vaincus, s'étonnent de s'effondrer... »

C'était une journée comme les autres, sauf que j'ignorais ce qui allait se passer cette nuit- là.
D'habitude, il ne se passe rien d'extraordinaire dans ma vie. Je mène une existence monotone et solitaire. Je suis resté cloîtré des jours entiers dans mon appartement étroit et miséreux. Je décidais enfin de sortir car mes pensées deviennent de plus en plus étroites. Avez-vous remarqué que plus une chambre est petite et morne plus nos pensées sont carrées et stupides ?

Lorsque, soudainement, l'envie me prenait de sortir prendre l'air, il était environ près
de 20 heures. Je déambulais alors dans les nuits bavardes de Tuléar. L'air chaud
exsudait fiévreusement mon minois et le riche parfum des arbres flairait une lourde
odeur de chlorophylle morne. Aux environs, des pousses-pousses se faufilaient des
gauches à droites tandis que des couples se promenaient tardivement. Il me semblait
alors que tout le monde était heureux ou du moins, occupés dans leurs vies. Depuis sept
ans que je vis à Tuléar ; j'étais rarement occupé, sauf quand je suis pris dans l'occupation
de la routine. Je n'ai réussi également à me faire un seul ami. Mes amis : ce sont les
arbres, les maisons, les fenêtres que je fréquente quotidiennement, car je les connais par
cœur. Parfois, je rêve d'eux mais rarement d'une personne. En vrai, je ne me souviens
pas la dernière fois où je songeais d'une personne. Peu m'importe, j'ai mes propres amis.
... Que Dieu les gardes !

Mais je n'oublierais jamais mon aventure cette nuit-là. En effet, il m'arrive de marcher
longuement sans se soucier des routes que je prenais de sorte que cela m'emmènerait
dans un lieu nouveau. C'est le genre des choses que font les gens accablés, parait-il.
Lorsque je ne sais plus où je me trouvais ; j'étais béni d'une satisfaction : du fait que j'ai
pu sortir de mes habitudes.

Il y avait déjà un bon moment que je parcourais la ville. Tout me parait soudainement
vivant dans la nuit, quand, peu à peu, j'étais envahi par des sensations neuves, presque
inconnues. C'était comme si un éclair pénétrait mon âme. Maintenant je marchais dans
les rues comme un touriste, comme un ermite sorti de son désert de silence, abasourdi
par la singulière beauté cette ville. Mais la chose la plus étonnante ce soir-là était de
rencontrer cette femme, qui était étrangement seule dans son coin. Je regardais la
femme. L'aspect de son visage avait quelque chose de tellement singulier, que rien qu'en
le voyant, on sentait qu'elle était sur le point de faire une regrettable chose. Chose
étrange, elle ne semblait pas entendre mes pas et ne bougea point lorsque je passai auprès
d'elle. Elle doit être en proie à une décision difficile, songeai-je. Puis, il me semblait
avoir suspecté des sanglots étouffés.

« Effectivement, elle pleurait. » Pour quelle raison ? Je n'en ai aucune idée. Mais j'étais là en train d'assister à une femme qui sanglotait seule en pleine nuit.
 
 D'habitude, je suis très timide avec les femmes, mais dans un moment pareil... je suis revenu instinctivement sur mes pas. Je regardais autour de moi en espérant que d'autres personnes plus aptes à gérer la situation se montraient. Rien à faire, c'était quand même la nuit : qu'espère-t-on la nuit ?

J'hésitais à prononcer les mots « Euh ! Ça va »... lorsque, celle-ci, marmonnait une
excuse, interrompue par ma soudaine présence : « Désolé » fit-elle.

– Puis- je vous aider ? offris-je mon assistance, timidement.
– Que dites-vous ? Et pourquoi voulez-vous m'aider ?
–Vous avez l'air...
– Non, je vais mieux ! dit-elle, d'une force incroyable, qu'on eut dit que ce n'était plus la même personne.
– Pardon... Mais comment voulez-vous que je ne désire pas secourir une jolie femme
en détresse. Certes, Je suis timide avec les femmes. Mais à vous considérer, j'ai jugé
qu'il est de mon devoir d'apaiser votre âme. C'est avec un cœur lourd et serré que je
vous aborde en ce moment. Je n'ai pas du tout l'habitude des femmes... Je suis un loup
solitaire. N'empêche... !

La femme me regardait intensivement, sans doute elle croyait que je suis un vaurien qui
voulait abuser de sa vulnérabilité. Puis, elle sentait que je faisais un grave effort
surhumain pour l'accoster. Elle délaissa alors sa méfiance en constatant que j'étais un
homme inoffensif. Bien que sur le coup, j'étais ce dont elle avait besoin : une oreille.
Au fond, l'idée me plaisait : une sorte de bienfaiteur qui soulage les âmes en pleurs.
Alors la femme m'invita péniblement à s'asseoir auprès d'elle. Et sans que je puisse
demander ce qui n'allait pas ; elle s'est mise à me raconter sa triste histoire. Elle passa
silencieusement sous mon bras sa main triste encore de chagrin. Ô cet instant ! Comme
je le bénissais ! Je jetai un rapide regard sur elle. Ses yeux étaient encore mouillés de larmes.

Elle me confessa péniblement la suite : « Tu sais... nos cœurs défient la gravité de
l'amour, et, vaincus, s'étonnent de s'effondrer, s'étonnent de pleurer. Oh mon Dieu,
c'est très douloureux ! »... Réellement, elle a surpris son copain entrain d'embrasser
une autre femme. « – Oh non ! » m'écriai-je ! ». Des larmes brillaient dans ses yeux.
Ensuite, elle voulait se venger, lui tromper également à son tour... « D'où son indécision », songeai-je.
– Pourquoi pas...
– Pourquoi pas toi, souriait-elle pour la première fois. Non. Cela ne se peut pas. Tu
sembles être un homme tendre et gentil. Il n'est pas bon de tomber amoureux d'une
inconnue. En plus, grâce à ta douce compagnie, je n'ai plus envie de faire ça.
Je jure de ne plus jamais lui parler...

Nous avons discuté tendrement, ouvertement... en infligeant un tendre soulagement à
nos peines. Discrètement, nous sommes devenus spirituellement proche au cœur de cette
nuit mélancolique et constellé d'amour. En une minute, elle a comblé une vie entière de
solitude. Et ma seule présence suffit à adoucir la pointe de sa tristesse.

... Par un malheur extraordinaire, une voiture grise s'est garée au coin de la route. J'ai
senti son cœur endolori se battre, s'accouder frénétiquement à mon bras. Elle a reconnu
la voiture. J'ai tout de suite deviné de qui il s'agissait. « – Devrons- nous s'en aller ? »,
dis-je, renversé par la situation. « – Non. Je vais aller lui dire de s'en aller. Que tout est
fini entre nous. Attends- moi, là !»

Des brouillards de disputes s'éclataient de l'autre côté de la rue... puis un silence. Des
pleurs. Encore des disputes. Enfin un long silence suivi d'un bruit de moteur.
Un bruit qui sonnait comme la fin d'une aventure qui, a, à peine, commencé... ou qui
n'a même point débuté. Un rêve brutalement avorté par l'inéluctable destin de l'amour.
Sans doute, voulait-elle encore défier l'insoutenable pesanteur de la passion
amoureuse ?... Ô non, mon cœur ! Faut jamais défier l'infini !

Tel un abruti, je suis resté là en pensant qu'elle allait revenir. Non. Le jour suivant : non
plus. Le jour d'après :.... La semaine suivante : aucun signe d'elle. «... Attends- moi,
là » dit-elle, ce sont là paroles d'une oublieuse déjà loin partie.

... Quatre années plus tard. Faible néon dans le même appartement. Je repense très
souvent à cette nuit, et moi, suis encore triste de penser à elle. On dit partout que je parle
tout seul, que je discute avec les murs, que je caresse les fenêtres...
    Devant la platitude de l'existence humaine. C'est l'amour insensé qui donne un sens à la vie.
 
 
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