Toute histoire commence un jour, quelque part, c'est qu'un jour à Bouka, une localité située au pied d’une montagne, était né un bébé de sexe masculin nommé Larba. C’était un bébé comme tous les autres : des cheveux bien lis
ses, le corps très souple, une peau peu clair... Mais à la différence de ceux-ci, il portait une dent, une seule dent dans la bouche. A la découverte de cette dent dès le deuxième jour de la naissance, qui était tabou dans cette communauté, Manangni, le gardien des pratiques occultes de Bouka et père du nouveau-né, annonça plusieurs mois après la nouvelle au chef du village Magniwou. Ce dernier manifesta son étonnement et de surcroît son extrême panique! Il ne fallait pas être prophète pour l’imaginer!
Quelque jour plus tard, il fuit organisé à ce sujet un palabre à l'issu duquel l’enfant de Manangni, le nommé Larba serait victime d'un test de détermination du statut humain. Le jour fut fixé. C’était le deuxième vendredi de la deuxième lune de l’année. Le père de Larba annonça aisément à sa femme cette information venant des sages de Bouka, qui était en fait une sentence. Celle-ci manifesta discrètement sa désapprobation. Mais la femme ! Que pouvait-elle sinon de consentir la volonté de son mari ! Le lendemain sera le premier vendredi de la deuxième lune de l’année. Alors Manangni et Malpa le spécialiste se rendirent dès l’aube à la brousse convenablement aux exigences du rituel puis revinrent apportant les racines et les feuilles de certains arbres. La préparation prit quelque jour. Après obtention d’une décoction, le spécialiste Malpa ne se fit pas prié d’asperger le liquide mystique issu des racines et des feuilles dans et autour de la maison de Manangni au crépuscule de ce deuxième vendredi de la deuxième lune de l’année. Mais Larba ne manifesta aucun signe d’un oukpakpane (individu dompté d’un pouvoir mystique, lequel il utilise souvent contre tout positivisme) comme laissait subodorer la dent. Bien que cette première étape révèle le statut ingénu de Larba, les vieillards manifestèrent leur désaccord, car selon eux si Malpa ne possédait aucune puissance, il ne viendrait pas au monde avec une dent dans la bouche. Sans trop chercher les poils sur les œufs, Malpa sera destiné à mort.
Pour la première fois N’na pleura sans être frappé par son mari ! Sans trop s’abstenir, elle décida courageusement de sauver la vie du fils de ses entrailles. Et pour y parvenir elle prit la bonne décision de s’enfuir avec son bébé à l’insu de tous. C’est ainsi qu’un dimanche soir à l’heure où s’anime le marché de Bouka et que toutes les maisons étaient vides de leurs habitants, elle contourna derrière la maison comme pour satisfaire un besoin pressé puis emprunta discrètement le chemin des champs. Veine tentative ! N’na fuit découverte miraculeusement par la vieille prévoyante Magle qui lui rassurait avec rigueur que cet acte qu’elle voudrait commettre était sans doute dérogatoire et donc qu’elle avait intérêt à ne pas attenter la colère des dieux de Bouka. Épeurée par cette recommandation, elle décida de revenir à la maison mais avec une tête pleine d’interrogations malgré la promesse que lui avoua la vieille de ne rien dire à personne. Dès qu’elle était arrivée dans la maison de son mari, elle fit comme de rien n’était. Celle-ci était toujours déserte de ses habitants. C’est ainsi qu’elle rata son essai de sauvetage.
Le lendemain sera le dernier soleil de la quatrième lune de l’année, le jour que soufflera la quatrième bougie de Larba. Alors Le jour des cérémonies d’élimination du gamin fut déterminé : c’était le troisième soleil de la cinquième lune de l’année. Tout ceci se fit à l’insu de larba comme la vente et l’abattage d’un porc à son insu. Les heures passent, les jours et enfin le dernier jour de Larba sur la terre de ses ancêtres était arrivé. Ah le temps ! Il coule sans tenir compte de nos réalités! Des lors les vieillards recherchés à ce rituel étaient de bonne heure dans les murs du chef du village comme de coutume. Après l’offrande d’eau aux dieux, la jette des cauris puis immolation d’animaux, Malpa le spécialiste et Larba allaient se rendre tous les deux au lieu reculé du village où était creusé à ce sujet un trou dans lequel se trouvait prétentieusement un chapeau traditionnel. Au cours de ce voyage, le spécialiste ne cessait de rafraîchir la mémoire du garçonnet à travers des histoires remarquables dont celle de la résistance du peuple konkomba face à l’attaque allemande. Une fois arrivé au bord de ce trou, le spécialiste demanda au garçonnet de lui donner le chapeau qui se trouvait au fond du trou avec un sourire de Juda. Le garçonnet exécuta sans manifestation aucune de sa détermination du plan de Malpa comme le fit le fils de Dieu sur terre. Aussitôt baissé, le spécialiste marmonna quelque incantation et de suite lui donna cruellement trois coups consécutifs de hache comme pour tuer un porc. Mais Larba, le garçonnet Larba y résista. Si la peau du bœuf est épais le couteau aussi est tranchant. Du jamais vu sous les cieux de Bouka! Tallons aux fesses, le spécialiste Malpa emprunta à pas de girafe un chemin autre que le premier pour une destination inconnue.
Larba quant à lui reprit le cœur battant le chemin du village. Ad rem celui de la maison du chef où étaient immobiles les vieillards espérant le retour triomphal du spécialiste. Mais ironie du sort! les vieillards trouvèrent que c’était plutôt le garçonnet Larba qui revenait triomphalement comme un David, tenant en main la hache mystique du spécialiste. Le tchaming (l’Adjoint du spécialiste) se leva pour s’enfuir puis tomba, se releva et retomba à cet effet. Et résolument prit en main tout son courage d’y rester, le corps tremblant comme les autres vieillards. Aussitôt que le garçonnet était dans les murs du chef, il demanda alors la permission de dire quelques mots à la bande des vieillards : Je veux que ma présence ici profite à tous ceux qui m’écoutent ! Souvenez-vous que la venue de l’être humain au monde est tout à fait un mystère. De façon explicite, nul sur cette terre ne sait avec exactitude par quelle alchimie le spermatozoïde et l’ovule se transforment en humain ! Ceci étant si un individu vient au monde avec une dent ou avec d’autres caractéristiques inhabituelles, cela ne veut absolument dire qu’il est dompté d’un pouvoir maléfique lequel il utilisera contre la béance de ses prédécesseurs ou de ses successeurs ! Moi particulièrement, je suis venu au vue et au su de tous au monde avec une dent et cela par inadvertance puis de connivence vous avez décidé de me priver de la terre de nos ancêtres ! En ces mots à caractères pathétiques, la cours du chef était orpheline de bruit et la troupe des vieillards observait sans cligner les yeux le garçonnet comme les membres d’une paroisse à leur prêtre au cours d’une prédication axée sur l’avènement du Christ. Les larmes coulaient en saccade des yeux de l’assistance. Mais larba continua avec tristesse et courage ses paroles sagaces. Chers parents, vos pleures et gémissements en ce lieu ne résolvent pas encore la criminalité enfantine dans notre localité. La solution serait peut-être de décider de concert de ne plus battre à mort les nouveaux-nés quel que soit l’état organique de leur personne à la naissance. A défaut de ceci vous paralysez sans le savoir le développement de Bouka. L’assistance hocha dans un même rythme la tête en guise d’approbation de l’argument du gamin. Ce dernier ne se fit pas simplement corrompre par la réaction de la bande des vieillards. Ainsi continua-t-il mais cette fois-ci avec une tonalité colérique : vous avez tué, vous avez assassiné les enfants de mon acabit, les innocents, les vrais innocents sans raison aucune! C’est inadmissible, c’est irrationnel, c’est irresponsable de votre part ! Quant à moi, Je remercie mon Dieu car je serais à présent dans l’autre monde, dans l’au-delà si ce n’était grâce à la mauvaise frappe du spécialiste Malpa dû à son état d’ivresse à l’issu des gorgées d’alcool prises pendant les offrandes de boissons aux dieux et aux ancêtres ! Tout compte fait je vous prie en toute humilité, chers parents, de bien vouloir abandonner à compter de ce jour ces attitudes grabataires. Je vous aime, je vous adore ! Si l’on vous corrige un peu plus fort sachez qu’il vous aime, a-t-on coutume de dire.
A cette dernière phrase, un vieux dont la prestance traditionnelle rehausse la majesté, touché par les paroles doctes de Larba, se leva, raclant sa gorge pour dire quelque mot comme pour corroborer son argument : Euh mes patriotes, je demande votre permission ! Comme vous le savez, IL n’est pas une première fois ni une deuxième fois que nous tuions les nouveau-nés au prorata de leurs états organiques à naissance. Et si cette fois-ci cette situation s’est présentée à nous, les descendants de notre ancêtre fondateur Dabouéme, je crois mordicus que c’est la volonté des dieux de nos terres. Ce sont eux qui veulent signaler l’inadmissibilité de cette pratique et pour ce faire nous devons y obtempérer ! Par ailleurs comme vous le savez autant que moi, ces enfants que nous mettions au monde ne sont pas nos propres enfants, ils sont les fils et les filles de l’appel de la vie à elle-même! Ils viennent à travers nous mais non de nous ! Nous les élevons, les éduquons non pas pour nous-même mais pour la société! Ainsi si nous nous engageons continuellement à les assassiner comme nous l’avions fait avec une dose considérable de naïveté, je crois vivement que c’est notre société que nous assassinions ! Et ce faisant nous sommes non seulement indifférent des éwoussous (mangeurs d’âmes), de certains présents richissimes qui sacrifient des enfants pour gagner de l’argent, mais surtout du groupe des djihadistes qui transforment le monde contemporain à une boucherie humaine! Ceci ne saurait être mon souhait pour nous ! S’il y aura un, c’est que nous agissions à la convenance des paroles sagaces de Larba ou généralement que nous parvenions à ce stade où la raison prime la naïveté ! Je vous salue ! Pendant que ce dernier luttait avec sa cane pour s’asseoir, une voie féminine de la case avoisinante ne pouvant plus s’abstenir de donner aussi son opinion, se fit entendre en ces mots: I FO LA LIBOLISSON!