L'âne et la moto

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Je me trouvais seul quand j'ai enfourché ma bécane.
J'ai toujours préféré les virées en solo aux rodéos entre copains avec escale dans les troquets, bière et p'tites pépées. Les mecs qui se la pètent, gros muscles et anneaux dans les trous de nez, c'est pas mon truc.
En guise de santiags j'enfilais mes pataugas, ça ferait l'affaire, et mon blouson de cuir noir sans aigle sur le dos. Juste un hibou tatoué sur l'avant-bras qui disait « c'est chouette la moto ». Il paraît que j'ai de l'esprit.
Mon front rayé d'un bandana orange sous le casque de mon dabe qu'on se refilait de père en fils, non par souci d'économie, même si le pognon on roulait pas dessus, plutôt une sorte de superstition. Dans la famille on tenait à la vie depuis que le grand-père avait laissé sa jambe droite sur une départementale un jour de verglas faux-cul. Une guibolle pour un glaçon planqué à l'ombre d'un pylône, c'est cher payé.
La moto, emmitouflée sous un vieux plaid à cause du froid, de la poussière et des regards indiscrets, était garée dans la grange. À côté, l'âne Gamin la veillait jour et nuit, l'œil rivé sur la carcasse de métal anthracite. Ce n'était pas un modèle de l'année mais je la bichonnais comme une mère son premier-né et l'animal savait que j'y tenais plus qu'à ma vie. C'est intelligent un âne, malgré tout ce qu'on peut dire.
J'ai flatté l'encolure de mon ami avant que ne résonne son cri de guerre dans toute la contrée. Sorti du hangar j'ai poussé l'engin jusqu'au pont de pierre. J'avais briqué les chromes avec la peau de chamois, pour que ça brille mieux la nuit, un fanion aux armes du village flottait au vent dès que je mettais la gomme. La veille j'avais vérifié les niveaux et fait le plein, c'est pas donné la gazoline, mais la moto c'est ma passion.
Après j'ai roulé comme un dingue à travers la forêt, elle s'ouvrait sur mon passage, béate et béante devant le spectacle – y a pas trop de distractions à la campagne –, avant de m'avaler les virages du Mont de l'Aiguille, mes préférés, en épingles à cheveux, ça me grisait. La moto caracolait dans un bruit d'enfer, je l'entendais rigoler dès que je me penchais à droite puis à gauche comme les bikers de la route 66 sur leurs Harley Davidson. Un jour moi aussi j'aurais les moyens de m'offrir les States, je l'avais promis à Gamin, il m'avait approuvé de son braiment de quand il est d'accord.
Le vent de la vitesse me cisaillait le visage comme des grêlons un soir d'orage, la sueur collait le bandana à mon front ruisselant. Parfois je hissais mes pieds sur les étriers pour dominer la route qui défilait à fond la caisse. J'évitais de justesse un lapin au cul blanc, une vie sauvée, un civet raté. La nuit descendait sur le bitume encore fumant d'un jour d'été, j'étais le roi du monde. Je crois que je chantais « Sur la route de Memphis ».
Le lendemain je foncerai jusqu'à la scierie, elle est fermée mais le gymkhana entre les nids-de-poule, ça fait des sensations dans tout le corps, comme à la fête foraine mais en mieux. Chaque jour plus corsé pour tester la machine et mon endurance pour quand j'irais aux Amériques. J'avais commencé l'entraînement au début des vacances et je pouvais être fier de mes progrès et aussi de la moto, elle ne m'avait jamais joué un tour à l'envers.
J'ai pris la ligne droite bordée de peupliers, celle qui mène au village. J'ai fait gaffe en passant devant la croix, y avait un bouquet de fleurs fanées au pied, là où un motard s'était craché l'année d'avant.
Il fallait plus traîner si je voulais pas me faire gauler.
Au petit pont j'ai arrêté les gaz pour pas réveiller la maisonnée. Obligé d'être prudent. J'étais crevé, les cuisses en coton et les reins en compote, mais j'ai poussé la bécane jusqu'à la grange. Là, j'ai enlevé le casque. Gamin me regardait de son œil humide plein de cils, content de me retrouver, il avait toujours peur pour moi. Et pour la moto, fidèle gardien de la plus belle écurie du hameau, la number one.
J'allais la border avec la couverture quand j'ai entendu grincer la porte de la grange, les gonds étaient rouillés. Une voix familière à mon oreille encore pleine de barouf, je me retournai :
— Allez, fiston, il est tard, laisse ce vieux Solex tranquille, tu vas finir par te casser le cou, ta grand-mère t'attend pour la soupe.
J'ai craché sur mon bras pour effacer le feutre du tatouage, j'ai grattouillé Gamin entre les deux yeux, sur la tache blanche et douce, il aime ça. L'âne lança un pet digne d'un démarrage en côte et j'aurais juré qu'il m'adressait un clin d'œil en me regardant suivre Grand-père.

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