Nouvelles
4 min
Institut National des Sciences Comptables et de l'Administration d'Entreprises
L'amertume, qui est-ce ?
« Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. »
Je ne me suis jamais posé la question. En tant qu’être humain, doté d’un raisonnement des plus logiques, la réponse me semblait évidente. Les yeux fermés, le noir me submergerait.
C’était un soir après une longue journée.
La terre continue son parcours, le soleil pointe son nez, ses rayons jouent avec l’entrebâillement de mon volet, transperçant alors mon sommeil. La routine commence.
Tout parait normal à part le fait que la théière fait une des siennes. Je pars pour mon travail. Salarié, aspirant pourtant à une vie d’entrepreneur, la décision que j’ai prise ce jour-là me hante jusqu’à aujourd’hui. Les horaires de travail me paraissent pesantes, tout n’a plus aucun sens. Etre assis devant son ordinateur, à attendre les ordres du chef de service et avoir un café comme compagnon, ce n’était pas la vie de trentenaire à laquelle je m’étais aspiré il a y dix ans.
Si seulement je savais, si seulement je pouvais imaginer, si seulement quelqu’un m’avait prévenu, tels sont les mots qui me tourmentent chaque matin dans cet autobus. « Numéro 17 ! », un nombre qui m’est cher et pourtant ne m’a pas apporté le bonheur. C’est ce nombre que je chérissais tant qui m’a mené dans ce gouffre si terne et si sombre.
Un simple pas aurait suffi. Posé sur la banquette arrière, mon dossier de candidature pour ce fameux concours était déjà prêt. Le speech, je l’ai senti dans tout mon corps, ma pensée, ma bouche, mes doigts, jusqu’à mes orteils, tous mes attributs dansaient au rythme de ce speech si longtemps préparé. J’ai démarré la bagnole, vitesse grand V. La scène m’attendait.
En vain, je n’ai pas abouti à mon rêve : être gagnant de ce concours pour monter mon entreprise. « Numéro 17 ! » Ce numéro transperce mes oreilles et mes poils se hérissent. Du haut de mes vingt ans, j’étais rempli d’ambition, j’avais déjà une vision de la vie parfaite pour ma personne et je m’interdisais, même en songeant seulement, d’accomplir une besogne pour autrui.
« Numéro 17 ! » C’était mon tour, à moi la scène. A bas le trac, bienvenue dans mon imagination. Mon projet, mon rêve, ma vie, me voici.
Un accident. Voilà de quoi il s’agit. Un terme attribut à ce qui allait m’arriver. Les scientifiques n’ont pas plus eu de définitions misérables et accablantes. Non, ils s’en sont contentés. Je ne pouvais leur en vouloir, un accident, c’est ce à quoi on référait toute chose qui nous arrive sans qu’on l’ait prévue. Eh bien, je ne me doutais une seconde que cela allait s’abattre sur moi ce jour-là.
J’avançai sur la scène. Plus prêt que jamais. C’est à ce moment-là que j’entendis un bruit. Jusqu’à aujourd’hui, il résonne encore dans mes tempes. Je levai alors la tête, non encore conscient de ce qui allait m’arriver. Non encore conscient... Aujourd’hui, je le suis et je n’ai pas dû me servir d’une telle excuse pour pouvoir échapper au désastre qu’allait se répercuter sur les dix prochaines années de mon existence.
Le destin ? J’en doute fort. Qui dans ce monde s’en sert encore pour expliquer les évènements de sa vie ? Non, je m’en remets à ma personne, celui à blâmer se trouve tout juste derrière ces écrits.
CRASH. Tel étaient le dernier son qu’a enregistré ma conscience. Ce son échéant, je ne percevais plus rien, le monde s’écroulait, mes yeux dirent peu à peu leurs adieux et tout semblait si sombre et noir.
Une année plus tard, la révélation était des plus amères. Je ne lisais aucune pitié dans les yeux du médecin en charge. Je présume que c’est son travail, sa routine. Mais pour moi, c’était le début d’une nouvelle vie. Une vie d’amnésique. Les cieux ne m’ont pas plus montré de compassion. De tous les jours qui ont pu exister, ils ont choisi de maintenir ce jour-là dans ma mémoire. Je devais dire adieu à mes projets, à ma carrière, à ma vie d’entrepreneur sauf à l’instant qui a chamboulé ceux-ci.
Au mauvais endroit, et au mauvais moment. « Numéro 17 », ma décision, telle était ma faute.
Aujourd’hui, je ne peux encore l’assumer.
« Cling » mon arrêt. Je saute de l’autobus et je cours vers mon bureau. Pourquoi je cours ? Autant en profiter pour un réveil musculaire ! Quelle ironie ! Soyons honnête, c’est la dure vie du salarié. Les lois, les règles, la discipline, ce sont elles qui nous rattachent à notre supérieur. Voilà la vérité. Je m’empresse car je suis déjà en retard. Le chef de service allait encore me réprimander.
[...]
Le soir arrive enfin. Je n’y croyais plus. Les secondes passaient avec une lenteur incroyable. Si ce n’est mon ordinateur, je fixais plus la montre que n’importe quel autre objet dans ce bureau.
[...]
J’arrive chez moi, je pose mes clés, j’ouvre le réfrigérateur et sors la télécommande. Quoi de mieux qu’une vie banale pour un salarié banal ? Les lumières éteintes, voilà ma fameuse phrase du soir dans mon canapé. Le film qui passe à la télé m’enivre deux heures avant de me mener vers le septième ciel.
Quand soudain « CRASH », le bruit continue de me tourmenter. C’est la cinquième fois cette semaine.
Je me relève et trouve un refuge dans un coin de la pièce. Je me recroqueville. Ce sentiment de sécurité m’apaise deux secondes. Puis mes pensées commencent leurs tours. Je n’en peux plus de cette vie. Je me remémore alors ce jour-là. Pourquoi moi ? Pourquoi à cet endroit et pourquoi à ce moment-là ? Je ne recevrai sans doute jamais aucune réponse qui puisse me satisfaire.
Dans tous les cas, je suis forcé de me faire une raison.
Cela fait 10 ans que je n’ai plus aucun souvenir de mon passé. Ma famille, mes amis, mon enfance. Tout. Un drap noir et tissé des plus sombres fils les enveloppait sans que j’en ai requis le moindre. Une larme puis une autre arrive sur ma joue. L’homme ne pleurerait-il pas ? Balivernes ! Sottises ! J’en suis la preuve et je n’en suis guère fier.
La vie nous saccage le plus dans les moments les plus signifiants. Et je ne pouvais plus rien faire pour y remédier. C’est ma vérité. Le sens de ma vie. Non, elle n’avait plus aucun sens.
Mon passé l’est. Mon présent l’est encore plus. Mon avenir ? Ce n’était plus une question, elle l’est depuis ce jour-là. Tous ont sombré dans le noir, chacun à sa manière. L’obscurité dans mes souvenirs, la dépression dans ma vie actuelle et l’angoisse dans mon futur.
Dans mon coin, je me recroqueville et je songe à ce jour-là.
Je sens la douleur annihiler tout mon être. L'amertume, je crois enfin la connaître.
« Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. »
Je ne me suis jamais posé la question. En tant qu’être humain, doté d’un raisonnement des plus logiques, la réponse me semblait évidente. Les yeux fermés, le noir me submergerait.
C’était un soir après une longue journée.
La terre continue son parcours, le soleil pointe son nez, ses rayons jouent avec l’entrebâillement de mon volet, transperçant alors mon sommeil. La routine commence.
Tout parait normal à part le fait que la théière fait une des siennes. Je pars pour mon travail. Salarié, aspirant pourtant à une vie d’entrepreneur, la décision que j’ai prise ce jour-là me hante jusqu’à aujourd’hui. Les horaires de travail me paraissent pesantes, tout n’a plus aucun sens. Etre assis devant son ordinateur, à attendre les ordres du chef de service et avoir un café comme compagnon, ce n’était pas la vie de trentenaire à laquelle je m’étais aspiré il a y dix ans.
Si seulement je savais, si seulement je pouvais imaginer, si seulement quelqu’un m’avait prévenu, tels sont les mots qui me tourmentent chaque matin dans cet autobus. « Numéro 17 ! », un nombre qui m’est cher et pourtant ne m’a pas apporté le bonheur. C’est ce nombre que je chérissais tant qui m’a mené dans ce gouffre si terne et si sombre.
Un simple pas aurait suffi. Posé sur la banquette arrière, mon dossier de candidature pour ce fameux concours était déjà prêt. Le speech, je l’ai senti dans tout mon corps, ma pensée, ma bouche, mes doigts, jusqu’à mes orteils, tous mes attributs dansaient au rythme de ce speech si longtemps préparé. J’ai démarré la bagnole, vitesse grand V. La scène m’attendait.
En vain, je n’ai pas abouti à mon rêve : être gagnant de ce concours pour monter mon entreprise. « Numéro 17 ! » Ce numéro transperce mes oreilles et mes poils se hérissent. Du haut de mes vingt ans, j’étais rempli d’ambition, j’avais déjà une vision de la vie parfaite pour ma personne et je m’interdisais, même en songeant seulement, d’accomplir une besogne pour autrui.
« Numéro 17 ! » C’était mon tour, à moi la scène. A bas le trac, bienvenue dans mon imagination. Mon projet, mon rêve, ma vie, me voici.
Un accident. Voilà de quoi il s’agit. Un terme attribut à ce qui allait m’arriver. Les scientifiques n’ont pas plus eu de définitions misérables et accablantes. Non, ils s’en sont contentés. Je ne pouvais leur en vouloir, un accident, c’est ce à quoi on référait toute chose qui nous arrive sans qu’on l’ait prévue. Eh bien, je ne me doutais une seconde que cela allait s’abattre sur moi ce jour-là.
J’avançai sur la scène. Plus prêt que jamais. C’est à ce moment-là que j’entendis un bruit. Jusqu’à aujourd’hui, il résonne encore dans mes tempes. Je levai alors la tête, non encore conscient de ce qui allait m’arriver. Non encore conscient... Aujourd’hui, je le suis et je n’ai pas dû me servir d’une telle excuse pour pouvoir échapper au désastre qu’allait se répercuter sur les dix prochaines années de mon existence.
Le destin ? J’en doute fort. Qui dans ce monde s’en sert encore pour expliquer les évènements de sa vie ? Non, je m’en remets à ma personne, celui à blâmer se trouve tout juste derrière ces écrits.
CRASH. Tel étaient le dernier son qu’a enregistré ma conscience. Ce son échéant, je ne percevais plus rien, le monde s’écroulait, mes yeux dirent peu à peu leurs adieux et tout semblait si sombre et noir.
Une année plus tard, la révélation était des plus amères. Je ne lisais aucune pitié dans les yeux du médecin en charge. Je présume que c’est son travail, sa routine. Mais pour moi, c’était le début d’une nouvelle vie. Une vie d’amnésique. Les cieux ne m’ont pas plus montré de compassion. De tous les jours qui ont pu exister, ils ont choisi de maintenir ce jour-là dans ma mémoire. Je devais dire adieu à mes projets, à ma carrière, à ma vie d’entrepreneur sauf à l’instant qui a chamboulé ceux-ci.
Au mauvais endroit, et au mauvais moment. « Numéro 17 », ma décision, telle était ma faute.
Aujourd’hui, je ne peux encore l’assumer.
« Cling » mon arrêt. Je saute de l’autobus et je cours vers mon bureau. Pourquoi je cours ? Autant en profiter pour un réveil musculaire ! Quelle ironie ! Soyons honnête, c’est la dure vie du salarié. Les lois, les règles, la discipline, ce sont elles qui nous rattachent à notre supérieur. Voilà la vérité. Je m’empresse car je suis déjà en retard. Le chef de service allait encore me réprimander.
[...]
Le soir arrive enfin. Je n’y croyais plus. Les secondes passaient avec une lenteur incroyable. Si ce n’est mon ordinateur, je fixais plus la montre que n’importe quel autre objet dans ce bureau.
[...]
J’arrive chez moi, je pose mes clés, j’ouvre le réfrigérateur et sors la télécommande. Quoi de mieux qu’une vie banale pour un salarié banal ? Les lumières éteintes, voilà ma fameuse phrase du soir dans mon canapé. Le film qui passe à la télé m’enivre deux heures avant de me mener vers le septième ciel.
Quand soudain « CRASH », le bruit continue de me tourmenter. C’est la cinquième fois cette semaine.
Je me relève et trouve un refuge dans un coin de la pièce. Je me recroqueville. Ce sentiment de sécurité m’apaise deux secondes. Puis mes pensées commencent leurs tours. Je n’en peux plus de cette vie. Je me remémore alors ce jour-là. Pourquoi moi ? Pourquoi à cet endroit et pourquoi à ce moment-là ? Je ne recevrai sans doute jamais aucune réponse qui puisse me satisfaire.
Dans tous les cas, je suis forcé de me faire une raison.
Cela fait 10 ans que je n’ai plus aucun souvenir de mon passé. Ma famille, mes amis, mon enfance. Tout. Un drap noir et tissé des plus sombres fils les enveloppait sans que j’en ai requis le moindre. Une larme puis une autre arrive sur ma joue. L’homme ne pleurerait-il pas ? Balivernes ! Sottises ! J’en suis la preuve et je n’en suis guère fier.
La vie nous saccage le plus dans les moments les plus signifiants. Et je ne pouvais plus rien faire pour y remédier. C’est ma vérité. Le sens de ma vie. Non, elle n’avait plus aucun sens.
Mon passé l’est. Mon présent l’est encore plus. Mon avenir ? Ce n’était plus une question, elle l’est depuis ce jour-là. Tous ont sombré dans le noir, chacun à sa manière. L’obscurité dans mes souvenirs, la dépression dans ma vie actuelle et l’angoisse dans mon futur.
Dans mon coin, je me recroqueville et je songe à ce jour-là.
Je sens la douleur annihiler tout mon être. L'amertume, je crois enfin la connaître.
« Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. »