Toute histoire commence un jour, quelque part. Dans une église. Une école. Une rue. Un cimetière. Et quelquefois, dans sa tête.
La mort est cette dimension de la vie qui intrigue plus d'un. Beaucoup de gens croient qu’elle n'est qu'une transition vers une autre vie, vodouisants autant que chrétiens. Pour ces derniers, il suffit de se repentir de ses péchés et de solliciter la clémence de Dieu. Et boum! Toutes les horreurs commises durant sa vie sont effacées et du coup la probabilité d'aller au Paradis croît considérablement. Moi, ce qui m'intéressait n'était pas tant ce que pourrait être la mort. Mais plutôt comment la conception de celle-ci, chez mes semblables influe sur leur vie, et quel lien ils entretiennent avec ceux qui se sont vidés. Par contre, j'étais sûr d'une chose, quand quelqu'un meurt, il devient trois éléments : un corps que le temps assurera de désagrégé; un nom en guise de mémoire; une partie de nous qui retrace son passage dans notre vie et ce qu'il en a laissé.
J’ai toujours été attiré par des faits mystérieux, un tantinet incompréhensible, surpassant l’entendement humain, au vu de mes études en anthropologie.
Il était plus de 12 h du Jour de la Toussaint, je faisais les va et vient à l'entrée du cimetière de Port-au-Prince. Celui-ci affluait de gens habillés presque tout en blanc découpé d'une ceinture ou d'un mouchoir violet ou rouge. Ils portaient pour la plupart, nourriture, clairin, café et leurs fameux boutey piman. D'autres, les mains vides, venaient simplement rendre hommage à leurs proches décédés. En plein spectacle, je me figeai pour contempler cette femme qui s'aspergeait le « chòbòlòt » de sauce piquante et qui dansait impétueusement, ayant l'air d'être immunisée contre tout ça. J'étais conquis par ce rassemblement tenu dans cette atmosphère autant festive que mystérieuse. Il faisait chaud. De plus, je me sentais suffoqué au milieu de cette foule dense. Je sortais prendre un peu d'air. La rue, défilait sous mes pas, peuplée et fumante. Je m’arrêtais alors à l’angle de la rue de l’Enterrement et de la rue d’Oswald Durand. Soudain ! J’eus l’impression d’être observé, je fis un coup d’œil autour de moi pour vérifier. J’aperçus à l’entrée du cimetière, un homme vêtu de blanc qui me scrutait. Son visage était pâle, il était si mince qu’on aurait dit qu’il flottait dans ses vêtements.
J'entendis dire que pendant cette période, des esprits envahissent le monde des vivants. Après maintes réflexions, je décidai de rentrer. Celui-ci, en deux enjambées, m’emboita le pas. Il me plongea dessus en tentant de me frapper. L’écartant d’un geste, je longeai la route pour prendre un bus qui passait non loin de moi. Entre temps, il m’accusa d’avoir organisé un viol collectif contre sa fille qui s’est suicidé après. C’était une scène macabre dont chaque détail me revint comme si j’y avais assisté. Je grimpai l’autobus. Pendant que je m’éloignais, il me fit ses ultimes menaces.
-Dieudoné Dorinvil, j’aurai votre peau pour ce méfait contre ma fille, Résilia. Bientôt Bawon Samdi vous comptera parmi ses convives.
J'étais perplexe. Je n’en revenais pas que cet homme connaissait mon nom complet. Mais qui était-il ? D’où me connaissait-il ? Pourquoi j’avais cette sensation de familiarité avec lui? Peut-etre que... Non, cela ne collait pas.
Arrivé chez moi, je racontai ma mésaventure à ma sœur. Elle ne savait quoi penser et soudain elle me dit :
- Et si cela était en rapport avec ce viol dont tu avais été témoin ?
- Personne ne savait que j’en avais été témoin et puis les scènes ne correspondent pas tant que ça. Pourtant j’ai l’impression d'y avoir assisté. Et ce nom, Résilia, me dit quelque chose. Peut-être que je l’ai entendu quelque part. Mais comment expliquer que cet homme connait mon nom ?
- Il a du se renseigner sur toi. Oublie tout ça, veux-tu ! Toutes ces questions n’auront servi qu’à te bouleverser.
Notre conversation fit place à un long silence.
Toute cette histoire frisait le cauchemar. Décidément, je croyais avoir été né sous une très mauvaise étoile. Moi qui n’ai jamais fait le moindre mal à une mouche, me faire menacer de mort par un fou furieux, c’était à peine croyable ! La seule chose dont je pouvais être accusé était d’être inoffensif. En effet, à huit ans, j’ai préféré pleurer quand mon père dans son état second avait battu à mort maman. A dix-huit ans, j’ai préféré prendre mes jambes à mon cou quand ces garcons violaient cette fille avant de la tuer. Tout ce que je faisais, qui sans doute ne servait pas à grand-chose, c’était d’écrire ces histoires de violence où les femmes étaient majoritairement victimes. Ces histoires où les femmes ont eu tort d’être femmes, ont eu tort d’être pauvres. J’avais l’impression que c’était la seule chose que je pouvais faire pour les rendre justice, particulièrement ces deux femmes, et laver cette culpabilite que je trainais avec moi depuis mon plus jeune âge.
Le temps s’écoula et deux semaines passèrent.
Ce lundi matin, après plus de sept heures de lourd sommeil, je sortis de mon lit tant soit peu inconfortable. Ma sœur était absente. Je me précipitai à la cuisine. Que j’avais faim! N’étant pas très bon cuisinier, je décidai de faire des pâtes avant de prendre mon bain.
A peine sorti de la douche, enroulé dans une serviette, j’étais sidéré par la silhouette de cet homme chez moi. Oh mon Dieu ! Quelle frayeur ! Je reculai de plusieurs pas. Il s’avança vers moi, colla contre mon ventre une arme. L’individu se mit à ricaner cyniquement comme pour aiguiser mes craintes. Oh que j’avais peur ! Je sentis mon cœur monter dans ma gorge, à tel point que je crus m’étouffer. Il portait un jeans délavé et une chemisette mauve trouée. On pouvait y voir ses cotes en cascade et les compter avec aisance. Il sentait bizarre, et suait abondamment. Il me raconta tout; surtout ce que sa fille représentait pour lui. Sa mort, avec tous les détails.
Mes craintes s’accrurent de plus en plus, à mesure que je pris conscience de qui était ce personnage. Je sus des lors pourquoi c’était moi qu’il vint accuser et pourquoi le nom de sa fille m’était étonnement familier. Tout concordait. J’avais en effet mis en œuvre cette scène. Je tentai tant bien à me défaire de ses accusations et de m’expliquer en termes claires. Mais il ne m’accorda la moindre écoute. Comme il s'énerva, je haussai la voix et dans un bégaiement je lui dis ;
J’ai... j’ai... j’ai les preuves de ce je dis.
Allez me les chercher. Rétorqua-t-il.
Je n’avais aucune garantie de sortir indemne de cette histoire. J'étais tout au moins certain que ça allait me faire gagner du temps.
Dans le plein calme je lui racontai l'histoire, sans omettre le moindre détail. Comme il semblait réfléchir, je lui racontai ma propre histoire pour l'attendrir. En guise d'attendrissement il s'énerva de plus belle. Il braqua son arme, cette fois, contre mon front.
- Je vais te tuer exactement pour avoir laissé ces cinq connards en vie. Tu ne les as même pas fait arrêtés? Bordel! Tu m'as laissé sans repères et par là sans humanité. Salopard!
On entendit frapper à la porte. Il me fit signe d’aller ouvrir tout en me précisant de rester naturel et de me débarrasser de mon invité. Je sentis l’angoisse me lacher lorsque le visage de ma sœur m’apparût derrière la porte entrouverte. Ma sœur, rentra, trop enjouée pour se rendre compte de la suspicion qui pesait sur nous, nous salua. Aucun de nous ne repondit et le type aussitôt s’en alla. J’avais les mots lourds et le regard évasif.
Que se passe t-il ici? D'où vient ce sankoutcha ?
De là, lui répondis-je en pointant le doigt sur la table.
Ma sœur, sans rien comprendre de ma réaction, me fixa de plus belle, après avoir scruté les pages quelque peu froissées de mon roman publié, il y a de cela six mois. Et moi, je ne sus comment expliquer que ce type n’était que le protagoniste de mon histoire.
Déjà deux soleils depuis que le type ne s'est pointé. Je me réjouis du calme et profitai pour réfléchir. En même temps, je craignais une troisième rencontre. Les idées fusaient dans ma tête. Et la nuit, venu sans lune, me trouva ainsi, recroquevillé dans mon lit, tel un embryon dans les laves placentaires. Je regardai la petite flamme virevoltante de la lampe allumée vingts minutes avant, qui essaya tant bien que mal à ingurgiter la noirceur de la pièce. Dans ce regard contemplatif mes pensées se turent une à une pour épouser le mutisme de la ville.
Au bout de quelques heures, un bruit sourd attira mon attention. J’appelai ma sœur. Elle ne répondit pas. Je me levai du lit, et me dirigeai vers la porte. Et pan! Dans un bruit sourd je m'affaissai sur moi même, évanoui. Je me réveillai nez à nez avec des personnes ligotées, saignantes du nez. La salle était peu éclairée et à moitié vide. Mes yeux, ayant peine à s'accoutumer à la pénombre cherchèrent tantôt à confirmer mes craintes. Était-ce la troisième rencontre? Et comme pour m'indiquer où regarder, un rire inaudible se fit entendre. Un nœud se fit dans ma gorge. Dans une voix plaintive, je lui demandai ce qu'il me voulait. Il ne répondit. Il nous fit, moi et cinq autres hommes, asseoir sur des chaises auxquelles il nous attacha. Les autres étaient bâillonnés, moi non. Je sentis que je comprenais ce qui se passait. Sans hésiter je posai la question:
- Qui sont ces gens?
- Ce sont les cinq raclures qui ont violés ma fille. Ton livre m'a conduit tout droit à eux. Dit-il en me désignant le livre.
- Sur quelle base as tu choisi ces gens? N'oublies pas que tu n'es qu'un personnage d'un roman. Ces gens là sont réels.
- Ton roman a été puisé de faits réels. Peut-être que moi je ne suis qu'un personnage (devenu réel) mais les violeurs, ne sont pas que des personnages. Ils ne sont pas sortis de ton livre, c'est toi qui les as téléportés dedans.
- Dans mon livre, ceux là qui ont violé Résilia ne sont que des personnages tout comme toi. Vous êtes tous des personnages.
-Je vois en tout violeur, personnage ou pas, ceux qui ont violé ma Resilia; tout comme tu m'as dit reconnaître en tout homme qui bat sa femme, ton père.
Un silence. Il était fort celui-là. C’est vrai que je l'avais construit perspicace mais son intelligence m'étonna. Toujours dans le même ton réprobateur, il continua de me causer.
- Dis donc, pourquoi les avoir laissés vivre? Je ne comprends pas que la seule opportunité que tu avais de te faire justice, tu l'as laissé filée.
- Il ne s'agit ni de justice ni de vengeance. Il s'agit de mettre à nue une réalité, de raconter ce que les gens savent déjà, de manière à les porter à réfléchir sur des faits sociaux. J'aurais voulu éviter à toutes ces femmes leurs tristes sorts mais ce n'est pas en tuant les personnages de mon livre que j’arrangerais les choses.
- Je ne comprends pas.
- Nous vivons dans une société légitimant un tas de comportements violents. A côté de tout ça, il y a la faiblesse, l'incapacité, la marchandisation de la Justice. Les gens doivent être conscients. Sinon les mêmes histoires se répéteront. Or tuer les violeurs de mon histoire aurait moins cet effet conscientisant. Les gens seraient satisfaits sans doute de ce destin (la mort) assigné à mes personnages. Il faut faire souffrir les lecteurs afin qu'ils savent: au mieux, ce que vivent les gens comme toi et moi, qui avons perdu des proches dans ces conditions sans pouvoir compter sur la justice, au pire, qu'aucun d'entre eux n'est épargné.
- Euh... Je comprends plus ou moins mais je ne suis pas tant d'accord avec toi. Tuer tes cinq personnages n'aurait pas moins cet effet conscientisant. Tu as simplement voulu t'en tenir aux faits. si j'avais été un lecteur, je n'aurais pas aimé ton livre. En tout cas, si je suis là, c'est pour autre chose. Ton discours était bien beau, et vraiment compréhensible mais maintenant je suis devenu réel, par conséquent ma douleur aussi.
- Tu...
- Garde ta salive. Je suis là, pour me venger. Tu avais raison, je conviens. Quelle délice tu m'as gardée en agissant de la sorte, les tuer de mes propres mains. Tu vas participer à l'absolution avec moi, dit-il, en m'enlevant les cordes.
Il mit un temps fou à torturer ses victimes un à un, tout en lisant la scène dans laquelle j'ai fait tué Résilia. Sa voix contenait une telle souffrance que j'ai du me boucher les oreilles.C'était cette lecture là qui me fit comprendre à quel niveau de cruauté je me suis laissé aller. Mon imagination avait du choquer et faire souffrir plus d'un. Après tout, ce n'était pas que mon imagination. Ma mère était morte dans une scène presque pareille, et mon cœur de huit années n'a point eu de pardon pour un père aussi brute, m'ayant sacrifié d'un amour maternel. Je souffrais presqu'autant que mon personnage.
Après torture, il me donna le pistolet et me dit:
-Fais-le, fais-le pour ta mère, fais-le pour cette fille que tu ne pouvais sauver, fais-le pour avoir été contraint de ne rien faire dans ton livre, parce qu'il a fallu que tu réveilles les esprits. Fais-le pour tous ceux et celles qui dans leur coeur ont une souffrance similaire enfouie. Vises leur la tête.
En cinq coup; baw baw baw ! J’abattis les cinq hommes. Oh merde! Je venais de tuer. Je tombai à genoux, je hurlai, il me prit l'arme des mains, laissa tomber le livre devant moi et sortit dans un rire étouffé.
Je hurlai de plus en plus fort. D'une minute à l'autre, j'entendis la voix de ma sœur m'appeler. Celle ci se rapprocha de plus en plus, puis d'un geste, je me réveillai en tremblotant. C’était un rêve! Quelle frayeur, j'ai eu! Ça avait l'air tellement réel. Voilà que cet homme s'est introduit en douce dans mes rêves. Ceci me mit les nerfs à vif. J'étais bouleversé. Sortir prendre l'air me ferait un bien fou me disais-je. Sans tarder, je m'habillai, et sortis. Chemin faisant, tout se tournait dans ma tête. Je ne savais quoi penser. Il se faisait l'impératif de donner à mon esprit d'autres chats à fouetter. Il n'avait point meilleur endroit que la fac.
Une fois dans le bus, je me sentis un peu plus calme. Le vent balayait mon visage, je fermais un peu les yeux. Soudain quelque chose me capta l'attention. Un flash d'information à la radio. On disait avoir trouvé dans une pièce insalubre de Pernier cinq hommes tués d'une balle dans le crâne. En plus des cadavres, il y eut une chaise non occupée et un livre avec des empreintes de mains ensanglantées. Ce crime avait tout l'air d'un règlement de compte disait-on. Et moi, aux abords de la panique, étais presque sûr duquel règlement de compte il s'agit.
La mort est cette dimension de la vie qui intrigue plus d'un. Beaucoup de gens croient qu’elle n'est qu'une transition vers une autre vie, vodouisants autant que chrétiens. Pour ces derniers, il suffit de se repentir de ses péchés et de solliciter la clémence de Dieu. Et boum! Toutes les horreurs commises durant sa vie sont effacées et du coup la probabilité d'aller au Paradis croît considérablement. Moi, ce qui m'intéressait n'était pas tant ce que pourrait être la mort. Mais plutôt comment la conception de celle-ci, chez mes semblables influe sur leur vie, et quel lien ils entretiennent avec ceux qui se sont vidés. Par contre, j'étais sûr d'une chose, quand quelqu'un meurt, il devient trois éléments : un corps que le temps assurera de désagrégé; un nom en guise de mémoire; une partie de nous qui retrace son passage dans notre vie et ce qu'il en a laissé.
J’ai toujours été attiré par des faits mystérieux, un tantinet incompréhensible, surpassant l’entendement humain, au vu de mes études en anthropologie.
Il était plus de 12 h du Jour de la Toussaint, je faisais les va et vient à l'entrée du cimetière de Port-au-Prince. Celui-ci affluait de gens habillés presque tout en blanc découpé d'une ceinture ou d'un mouchoir violet ou rouge. Ils portaient pour la plupart, nourriture, clairin, café et leurs fameux boutey piman. D'autres, les mains vides, venaient simplement rendre hommage à leurs proches décédés. En plein spectacle, je me figeai pour contempler cette femme qui s'aspergeait le « chòbòlòt » de sauce piquante et qui dansait impétueusement, ayant l'air d'être immunisée contre tout ça. J'étais conquis par ce rassemblement tenu dans cette atmosphère autant festive que mystérieuse. Il faisait chaud. De plus, je me sentais suffoqué au milieu de cette foule dense. Je sortais prendre un peu d'air. La rue, défilait sous mes pas, peuplée et fumante. Je m’arrêtais alors à l’angle de la rue de l’Enterrement et de la rue d’Oswald Durand. Soudain ! J’eus l’impression d’être observé, je fis un coup d’œil autour de moi pour vérifier. J’aperçus à l’entrée du cimetière, un homme vêtu de blanc qui me scrutait. Son visage était pâle, il était si mince qu’on aurait dit qu’il flottait dans ses vêtements.
J'entendis dire que pendant cette période, des esprits envahissent le monde des vivants. Après maintes réflexions, je décidai de rentrer. Celui-ci, en deux enjambées, m’emboita le pas. Il me plongea dessus en tentant de me frapper. L’écartant d’un geste, je longeai la route pour prendre un bus qui passait non loin de moi. Entre temps, il m’accusa d’avoir organisé un viol collectif contre sa fille qui s’est suicidé après. C’était une scène macabre dont chaque détail me revint comme si j’y avais assisté. Je grimpai l’autobus. Pendant que je m’éloignais, il me fit ses ultimes menaces.
-Dieudoné Dorinvil, j’aurai votre peau pour ce méfait contre ma fille, Résilia. Bientôt Bawon Samdi vous comptera parmi ses convives.
J'étais perplexe. Je n’en revenais pas que cet homme connaissait mon nom complet. Mais qui était-il ? D’où me connaissait-il ? Pourquoi j’avais cette sensation de familiarité avec lui? Peut-etre que... Non, cela ne collait pas.
Arrivé chez moi, je racontai ma mésaventure à ma sœur. Elle ne savait quoi penser et soudain elle me dit :
- Et si cela était en rapport avec ce viol dont tu avais été témoin ?
- Personne ne savait que j’en avais été témoin et puis les scènes ne correspondent pas tant que ça. Pourtant j’ai l’impression d'y avoir assisté. Et ce nom, Résilia, me dit quelque chose. Peut-être que je l’ai entendu quelque part. Mais comment expliquer que cet homme connait mon nom ?
- Il a du se renseigner sur toi. Oublie tout ça, veux-tu ! Toutes ces questions n’auront servi qu’à te bouleverser.
Notre conversation fit place à un long silence.
Toute cette histoire frisait le cauchemar. Décidément, je croyais avoir été né sous une très mauvaise étoile. Moi qui n’ai jamais fait le moindre mal à une mouche, me faire menacer de mort par un fou furieux, c’était à peine croyable ! La seule chose dont je pouvais être accusé était d’être inoffensif. En effet, à huit ans, j’ai préféré pleurer quand mon père dans son état second avait battu à mort maman. A dix-huit ans, j’ai préféré prendre mes jambes à mon cou quand ces garcons violaient cette fille avant de la tuer. Tout ce que je faisais, qui sans doute ne servait pas à grand-chose, c’était d’écrire ces histoires de violence où les femmes étaient majoritairement victimes. Ces histoires où les femmes ont eu tort d’être femmes, ont eu tort d’être pauvres. J’avais l’impression que c’était la seule chose que je pouvais faire pour les rendre justice, particulièrement ces deux femmes, et laver cette culpabilite que je trainais avec moi depuis mon plus jeune âge.
Le temps s’écoula et deux semaines passèrent.
Ce lundi matin, après plus de sept heures de lourd sommeil, je sortis de mon lit tant soit peu inconfortable. Ma sœur était absente. Je me précipitai à la cuisine. Que j’avais faim! N’étant pas très bon cuisinier, je décidai de faire des pâtes avant de prendre mon bain.
A peine sorti de la douche, enroulé dans une serviette, j’étais sidéré par la silhouette de cet homme chez moi. Oh mon Dieu ! Quelle frayeur ! Je reculai de plusieurs pas. Il s’avança vers moi, colla contre mon ventre une arme. L’individu se mit à ricaner cyniquement comme pour aiguiser mes craintes. Oh que j’avais peur ! Je sentis mon cœur monter dans ma gorge, à tel point que je crus m’étouffer. Il portait un jeans délavé et une chemisette mauve trouée. On pouvait y voir ses cotes en cascade et les compter avec aisance. Il sentait bizarre, et suait abondamment. Il me raconta tout; surtout ce que sa fille représentait pour lui. Sa mort, avec tous les détails.
Mes craintes s’accrurent de plus en plus, à mesure que je pris conscience de qui était ce personnage. Je sus des lors pourquoi c’était moi qu’il vint accuser et pourquoi le nom de sa fille m’était étonnement familier. Tout concordait. J’avais en effet mis en œuvre cette scène. Je tentai tant bien à me défaire de ses accusations et de m’expliquer en termes claires. Mais il ne m’accorda la moindre écoute. Comme il s'énerva, je haussai la voix et dans un bégaiement je lui dis ;
J’ai... j’ai... j’ai les preuves de ce je dis.
Allez me les chercher. Rétorqua-t-il.
Je n’avais aucune garantie de sortir indemne de cette histoire. J'étais tout au moins certain que ça allait me faire gagner du temps.
Dans le plein calme je lui racontai l'histoire, sans omettre le moindre détail. Comme il semblait réfléchir, je lui racontai ma propre histoire pour l'attendrir. En guise d'attendrissement il s'énerva de plus belle. Il braqua son arme, cette fois, contre mon front.
- Je vais te tuer exactement pour avoir laissé ces cinq connards en vie. Tu ne les as même pas fait arrêtés? Bordel! Tu m'as laissé sans repères et par là sans humanité. Salopard!
On entendit frapper à la porte. Il me fit signe d’aller ouvrir tout en me précisant de rester naturel et de me débarrasser de mon invité. Je sentis l’angoisse me lacher lorsque le visage de ma sœur m’apparût derrière la porte entrouverte. Ma sœur, rentra, trop enjouée pour se rendre compte de la suspicion qui pesait sur nous, nous salua. Aucun de nous ne repondit et le type aussitôt s’en alla. J’avais les mots lourds et le regard évasif.
Que se passe t-il ici? D'où vient ce sankoutcha ?
De là, lui répondis-je en pointant le doigt sur la table.
Ma sœur, sans rien comprendre de ma réaction, me fixa de plus belle, après avoir scruté les pages quelque peu froissées de mon roman publié, il y a de cela six mois. Et moi, je ne sus comment expliquer que ce type n’était que le protagoniste de mon histoire.
Déjà deux soleils depuis que le type ne s'est pointé. Je me réjouis du calme et profitai pour réfléchir. En même temps, je craignais une troisième rencontre. Les idées fusaient dans ma tête. Et la nuit, venu sans lune, me trouva ainsi, recroquevillé dans mon lit, tel un embryon dans les laves placentaires. Je regardai la petite flamme virevoltante de la lampe allumée vingts minutes avant, qui essaya tant bien que mal à ingurgiter la noirceur de la pièce. Dans ce regard contemplatif mes pensées se turent une à une pour épouser le mutisme de la ville.
Au bout de quelques heures, un bruit sourd attira mon attention. J’appelai ma sœur. Elle ne répondit pas. Je me levai du lit, et me dirigeai vers la porte. Et pan! Dans un bruit sourd je m'affaissai sur moi même, évanoui. Je me réveillai nez à nez avec des personnes ligotées, saignantes du nez. La salle était peu éclairée et à moitié vide. Mes yeux, ayant peine à s'accoutumer à la pénombre cherchèrent tantôt à confirmer mes craintes. Était-ce la troisième rencontre? Et comme pour m'indiquer où regarder, un rire inaudible se fit entendre. Un nœud se fit dans ma gorge. Dans une voix plaintive, je lui demandai ce qu'il me voulait. Il ne répondit. Il nous fit, moi et cinq autres hommes, asseoir sur des chaises auxquelles il nous attacha. Les autres étaient bâillonnés, moi non. Je sentis que je comprenais ce qui se passait. Sans hésiter je posai la question:
- Qui sont ces gens?
- Ce sont les cinq raclures qui ont violés ma fille. Ton livre m'a conduit tout droit à eux. Dit-il en me désignant le livre.
- Sur quelle base as tu choisi ces gens? N'oublies pas que tu n'es qu'un personnage d'un roman. Ces gens là sont réels.
- Ton roman a été puisé de faits réels. Peut-être que moi je ne suis qu'un personnage (devenu réel) mais les violeurs, ne sont pas que des personnages. Ils ne sont pas sortis de ton livre, c'est toi qui les as téléportés dedans.
- Dans mon livre, ceux là qui ont violé Résilia ne sont que des personnages tout comme toi. Vous êtes tous des personnages.
-Je vois en tout violeur, personnage ou pas, ceux qui ont violé ma Resilia; tout comme tu m'as dit reconnaître en tout homme qui bat sa femme, ton père.
Un silence. Il était fort celui-là. C’est vrai que je l'avais construit perspicace mais son intelligence m'étonna. Toujours dans le même ton réprobateur, il continua de me causer.
- Dis donc, pourquoi les avoir laissés vivre? Je ne comprends pas que la seule opportunité que tu avais de te faire justice, tu l'as laissé filée.
- Il ne s'agit ni de justice ni de vengeance. Il s'agit de mettre à nue une réalité, de raconter ce que les gens savent déjà, de manière à les porter à réfléchir sur des faits sociaux. J'aurais voulu éviter à toutes ces femmes leurs tristes sorts mais ce n'est pas en tuant les personnages de mon livre que j’arrangerais les choses.
- Je ne comprends pas.
- Nous vivons dans une société légitimant un tas de comportements violents. A côté de tout ça, il y a la faiblesse, l'incapacité, la marchandisation de la Justice. Les gens doivent être conscients. Sinon les mêmes histoires se répéteront. Or tuer les violeurs de mon histoire aurait moins cet effet conscientisant. Les gens seraient satisfaits sans doute de ce destin (la mort) assigné à mes personnages. Il faut faire souffrir les lecteurs afin qu'ils savent: au mieux, ce que vivent les gens comme toi et moi, qui avons perdu des proches dans ces conditions sans pouvoir compter sur la justice, au pire, qu'aucun d'entre eux n'est épargné.
- Euh... Je comprends plus ou moins mais je ne suis pas tant d'accord avec toi. Tuer tes cinq personnages n'aurait pas moins cet effet conscientisant. Tu as simplement voulu t'en tenir aux faits. si j'avais été un lecteur, je n'aurais pas aimé ton livre. En tout cas, si je suis là, c'est pour autre chose. Ton discours était bien beau, et vraiment compréhensible mais maintenant je suis devenu réel, par conséquent ma douleur aussi.
- Tu...
- Garde ta salive. Je suis là, pour me venger. Tu avais raison, je conviens. Quelle délice tu m'as gardée en agissant de la sorte, les tuer de mes propres mains. Tu vas participer à l'absolution avec moi, dit-il, en m'enlevant les cordes.
Il mit un temps fou à torturer ses victimes un à un, tout en lisant la scène dans laquelle j'ai fait tué Résilia. Sa voix contenait une telle souffrance que j'ai du me boucher les oreilles.C'était cette lecture là qui me fit comprendre à quel niveau de cruauté je me suis laissé aller. Mon imagination avait du choquer et faire souffrir plus d'un. Après tout, ce n'était pas que mon imagination. Ma mère était morte dans une scène presque pareille, et mon cœur de huit années n'a point eu de pardon pour un père aussi brute, m'ayant sacrifié d'un amour maternel. Je souffrais presqu'autant que mon personnage.
Après torture, il me donna le pistolet et me dit:
-Fais-le, fais-le pour ta mère, fais-le pour cette fille que tu ne pouvais sauver, fais-le pour avoir été contraint de ne rien faire dans ton livre, parce qu'il a fallu que tu réveilles les esprits. Fais-le pour tous ceux et celles qui dans leur coeur ont une souffrance similaire enfouie. Vises leur la tête.
En cinq coup; baw baw baw ! J’abattis les cinq hommes. Oh merde! Je venais de tuer. Je tombai à genoux, je hurlai, il me prit l'arme des mains, laissa tomber le livre devant moi et sortit dans un rire étouffé.
Je hurlai de plus en plus fort. D'une minute à l'autre, j'entendis la voix de ma sœur m'appeler. Celle ci se rapprocha de plus en plus, puis d'un geste, je me réveillai en tremblotant. C’était un rêve! Quelle frayeur, j'ai eu! Ça avait l'air tellement réel. Voilà que cet homme s'est introduit en douce dans mes rêves. Ceci me mit les nerfs à vif. J'étais bouleversé. Sortir prendre l'air me ferait un bien fou me disais-je. Sans tarder, je m'habillai, et sortis. Chemin faisant, tout se tournait dans ma tête. Je ne savais quoi penser. Il se faisait l'impératif de donner à mon esprit d'autres chats à fouetter. Il n'avait point meilleur endroit que la fac.
Une fois dans le bus, je me sentis un peu plus calme. Le vent balayait mon visage, je fermais un peu les yeux. Soudain quelque chose me capta l'attention. Un flash d'information à la radio. On disait avoir trouvé dans une pièce insalubre de Pernier cinq hommes tués d'une balle dans le crâne. En plus des cadavres, il y eut une chaise non occupée et un livre avec des empreintes de mains ensanglantées. Ce crime avait tout l'air d'un règlement de compte disait-on. Et moi, aux abords de la panique, étais presque sûr duquel règlement de compte il s'agit.