La vie : entre déchéance et espoir
"Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux". Il s’en est fallu d’un cheveu pour que je ne me ressaisisse. Sinon, trop tard il serait. Certes, la vie est un tissage de bribes d’imbroglios, néanmoins, il faut tenter la percer. La passivité intellectuelle constitue cependant, une grande menace à notre système cognitif. Ainsi, de la même façon qu’un corps étranger enclenche, chez l’organisme, une réaction immunitaire ; il faut toujours un élément perturbateur pour réveiller ou remettre en marche notre conscience.
Aussi, la prise de conscience offre-t-il, de facto, un nouvel élan. Mais serait-elle un éloquent exutoire face aux aléas d’ici-bas ?
La mienne de conscience est tirée du sommeil par une ruse de morphine en rupture de stock. Le réaménagement intellectuel me susurre une panoplie de questions auxquelles je n’attends surtout pas de réponses.
A deux automnes de recherches doctorales à l’université Laval, Yasmine, ma fiancée, me réconfortait de discours soporifiques. Alors que son mirage me rongeait à petit feu, j’avais impeccablement rangé mon scepticisme au tiroir. Elle n’avait plus besoin de me raconter les contes d’Afrique, ni le paradis dubaïote, encore moins les merveilles du monde ; il lui suffisait de me fourmiller le cerveau, d’une campagne de mouches tsé-tsé pour endormir mon sens sceptique. Excessivement confiant, je prenais même l’iambe à contrepied pour m’empêcher le doute.
Malgré tout cela, je ne peux me priver le souvenir de notre promenade d’été : Assis sur la grève, je me délaissais sous une atmosphère généreuse. Au moment où le ciel était ensanglanté par le soleil couchant, la brise me caressais et m’envahissait. Je me réjouissais d’une compagne aux charmes talentueux. Plus que jamais je me souviens de ses douces et limpides paroles à la résonance d’une voix d’or de la musique romantique. Que du bonheur, elle ne me susurrait à l’oreille. Imaginez-vous un tel confort qui caresse si délicatement au sens du poil ? C’est souvent cette expression affective qui voile la conscience et fait flirter la raison aux larges flots d’illusions merveilleuses.
Je ne pouvais, bien évidemment, pas y penser. La flemme ! j’atteignis le paroxysme. Quelle cupide naïveté ! Loin de moi un candide, vous aurez tort. Personne n’est exempte de déchéances, même celle qui atteint la béatitude. De quelle félicité d’ailleurs ? Pas en tout cas celle qui cesse d’exister, lorsqu’on découvre qu’elle est sous-jacente d’une manipulation renardise.
Quand je l’ai su. Dès l’instant que j’ai découvert qu’il s’agissait de mon petit frère, j’avais piqué une poussée d’adrénaline. Une colère bleue me rongeait. Et le moment profitait à la polyphonie, qui instaura un débat dans mon for intérieur. Tout était sombre ! les idées me viennent en vracs. Aussitôt, je me rends compte que beaucoup de choses avaient changé et plus rien n’était comme avant.
Tout ce chef-d’œuvre n’était que subterfuge. Je ne suis qu’un amour illusoire. Incapable d’intervenir, je ne pouvais que regretter tout le temps perdu. Statiquement, je regardais l’avenir à la position de chiens de faïence.
Pendant tout ce temps, Yasmine intriguait avec mon frère. Plus encore, elle assista sans réserve - tel un oiseau qui becquette aisément sa ration sur un épouvantail - au spectacle de ma déchéance. Point de remord !
Maintenant, je me résigne. Mais, devrais-je porter ce fardeau seul ? Je ne suis pas sûr. Qu’en sera-t-il de l’honneur de la famille ? Eperdu !
Point de psychologue. Aucune oreille attentive. Je préfère la garder. Cette déchéance, elle est grande. J’étais fanatiquement amoureux d’elle. De temps à autre, j’usais de toute occasion présente, pour lui manifester mon sincère éblouissement. Eh bien ! même de loin, sa silhouette dessine une sublime beauté conjuguée d’une forme digne d’Amérique latine. Que dire de sa physique ? Un palpitement qui laisse deviner une fréquence cardiaque de cinquante-sept battements la minute. Ce qui, nul doute, témoigne de son calmement sournois et de sa lucide sérénité ; bref, une beauté inexistante. Ô indescriptible ! C’est évident que la vraie beauté ne se représente pas avec de l’encre sur du papier blanc. Elle se contemple passionnellement comme la Joconde.
Yasmine est une beauté très douée. Elle m’avait installé au piédestal, érigé au prix de son amour. Mais, il s’avère que je n’étais pas à la hauteur de ses attentes. Contre tout soupçon, je ne pouvais qu’être confiant. Surtout quand je me rappelle Sofia. Belle-mère était d’une sagesse grandiose. Quand je la rencontrai, elle avait encore de beaux restes. C’est elle qui d’ailleurs, avait soutenu la relation, suite à l’honneur qu’elle m’avait fait en m’invitant.
A trente minutes de guidon, je me suis rendu chez elle. Pas trop de protocole. Elle m’accueillit et m’installa au salon. Elle était assise, de profil à moi, en face la télé, mais prêtait oreilles bienveillantes à la radio. Des rideaux de couleurs beige kaki qui ornaient le salon, se laissaient entrevoir les quatre murs enduits de peinture jaunâtre.
Aussitôt la présentation radiophonique terminée, elle se tourne soigneusement vers moi. Je la fuyais furtivement des yeux. Inexorablement, elle m’interpella. D’un regard gauche, je précipitais, en vain les : enchantés ! C’était comme si j’avais un cheveu sur la langue. Confus !
Des claquements dehors, son attention se détournait de moi. Des bruits au son de cliquetis de cuillères. Le jeu des enfants me profitait. Ouf ! je me ressaisis. Je redevins serein, posé et bien habile.
Dans la foulée d’échange, je pouvais apercevoir de son rictus, ses pommettes se redessinaient et témoignaient ô combien de sa beauté d’adolescence ! A l’évidence, elle me soulagea : « ma confiance est un bien très précieux que je confine dans un écrin. Si seulement tu as conscience des enjeux et responsabilités de ce troisième millénaire, je peux la nouer, en pacte, avec toi. Prends bien soin de Yasmine et veilles à ton avenir ». Sans mot dire, je hochais la tête en guise de consentement. Je compatis. Elle est sa seule et unique fille.
Tout bien considéré, je ne peux pas comprendre la volte-face de Yasmine. Pourquoi maintenant ? Pourquoi encore avec mon frère ? Etais-je aussi éloigné de son horizon d’attente ? Peut-être bien ! En tous cas, je me vantais d’être trop soumis à elle. Il semblerait que je me sois trompé. En tout état de cause, c’est une manœuvre malsaine que d’intriguer avec mon frère. Était-il aussi dévoué que moi. Possiblement ! Parce que dans l’embarras de mon aventure ambigüe, tantôt je suis nostalgique des souvenirs de la plage ; tantôt j’ai la tête sous l’eau : la BU, le bureau de rédaction, les séminaires et les colloques çà et là ne me laissent pas le choix. Je suis tout le temps occupé. Après tout, suis-je réellement obligé d’importuner mon frère ? Ne serait-il pas lui accordé trop d’importance ? Peiné !
J’ai enfin décidé de prendre en considération les conseils de belle-mère. Désormais, je consacre mes quotidiens au veillance de mon avenir. Je tourne la page !
Notre malheur vient souvent de l’insouciance. Malencontreusement, on ne prend les choses avec des pincettes que quand l’inévitable déchéance arrive à nos trousses. C’est le flux d’une naïveté débordante. Une croûte de chagrins peut même s’y être construite, et son ouverture constituerait des foyers de calamités. Inextinguibles !
Par ailleurs, dès lors que nous avons grandi autour d’un entourage diversifié, nous observons les habitudes des uns et des autres et, par ricochet, finirons par s’en approprier une. Au lieu de s’apitoyer, j’ai enfin embrassé la méditation comme seul exutoire. Elle est constante. Elle ne trahi pas. Par ce truchement, j’évalue mes journées et je prépare avec beaucoup d’espoir, un lendemain meilleur.
C’est à partir de ce moment même, que je me suis rendu compte de la nécessité de dépassement. Tire esquivée ! Je me repositionne. Je reconstruis ma vie. Ne serait-ce que pour relever les défis et redresser la barre.