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— J'ai eu la trouille du siècle !
Mes premiers mots à Karima en arrivant chez elle, essoufflée, yeux rougis, me retournant sans cesse.
Karima a le sens du détail et du contre-pied.
J'ai couru comme une dingue. À en perdre une boucle. Un cadeau de ma mère. D'habitude, les boucles d'oreille me font un look d'épagneul parce que j'ai des lobes un peu longs, d'après mon frère Eddy. Il m'a dit ça, soi-disant par amour, un jour d'anniversaire. Ma tante m'avait offert des pendentifs plutôt massifs, des trucs à te faire pencher la tête en avant tellement ça pèse. N'importe quoi, ma tante.
Je ne sais pas ce que je vais dire à ma mère. Quand ma mère me les a accrochées, elle a répété « elles sont en argent », pour que je comprenne bien qu'elle avait payé ça une blinde. Elle était fière et j'ai retrouvé ce jour-là un peu de coquetterie adolescente. Eddy avait sifflé d'admiration, avant de compléter en pensant faire un compliment : « Elles sont minuscules, ces boucles, plus petites que tes boutons d'acné. » Je lui avais balancé mon coca au visage.
— Tu es toute griffée, c'est moche.
Karima a l'empathie encore en phase de développement.
— J'ai eu la trouille du siècle à cause d'un type en sortant de la piscine, dans le couloir trop sombre qui rejoint le parc Malraux. Je sors, je retiens la porte, sinon elle claque fort, et après la piscine j'ai les oreilles sensibles. Je me retourne, et là, un homme immense, genre trois mètres, est à trente centimètres de moi.
Regard sceptique de Karima.
— OK, j'exagère pour la taille, mais pas pour la distance. Donc il est planté devant moi, et j'ai peur qu'il me soulève, qu'il m'écrase ou me balance contre un mur. Je crie sauvagement. Un réflexe. Je ne sais pas ce qu'il veut, mais tu ne bloques pas une fille de dix-sept ans dans un recoin de la ville pour lui parler littérature. Il me met la main sur la bouche et me plaque le visage sur la porte. Coup de bol, la panique et le goût de chlore me font vomir d'un coup sur sa main et sa manche.
— Tu sens plus le chlore que la gerbe.
Karima est rassurante.
— Il me lâche, évidemment, alors je passe sous son bras et m'échappe dans la seconde. Le côté droit de mon visage racle le béton, griffure impressionnante. C'est plutôt là, je pense, que la boucle s'arrache. J'aurai mal plus tard, pour l'instant ce n'est pas l'urgence. C'est presque gagné. Presque. Il me chope le pied d'un bout de rangers. Je tombe, je roule sur cinq mètres. Grâce à mon initiation judo au centre aéré il y a deux ans, je sais vraiment tomber et rouler. J'ai donc un peu d'avance. Mais le temps de me relever, il a refait son retard. Il chope mon sac de piscine, accroché à mon bras. Je suis stoppée net. À mon avis quand tu fais du parachute, au moment où le truc s'ouvre, ça doit faire ça. Arrêt brutal comme si une partie de ton corps continuait à avancer et l'autre non. Je me retrouve à courir dans le vide, toujours retenue, comme un chien par un maître qui tire la laisse tel un malade.
— Le maître doit toujours avoir le dessus sur le chien.
Le frère de Karima dresse des chiens. Elle a dû l'entendre prononcer cette phrase, elle la sort mécaniquement.
— Ça dure vingt secondes, mais j'ai l'impression que ma vie traîne en longueur. J'abandonne mon sac d'un mouvement d'épaule. Ça me fait chier parce que je ne sais pas ce qu'il va faire de mes affaires personnelles, ce gros porc. Mais bon, c'est mieux qu'il fasse ça sur mon maillot que sur moi. En tout cas, ça le déséquilibre, il tombe en arrière et moi en avant, je roule de nouveau. Je me relève plus vite que lui cette fois et je file comme une fusée jusque chez toi, en jetant des regards par-dessus mon épaule toutes les cinq secondes.
J'évite de justesse deux keufs qui traînent par là, genre balade digestive. Ils feraient mieux de surveiller les pervers, si je n'avais pas vomi et lâché mon sac, en ce moment je serais sans doute attachée dans une cave, et...
— Cliché.
Depuis son stage d'impro où les clichés étaient sanctionnés, Karima me fait le coup tous les jours. Peu importent les circonstances.
— Autre coup de bol, pour la première fois de ma vie, j'avais mon portefeuille dans la poche et pas dans mon sac, donc il n'a pas mon adresse. Si je ne retourne pas à la piscine jamais il ne me retrouvera. Voilà. J'ai besoin d'un pétard, là, tout de suite, sinon sur la vie de ma mère, je meurs.
— Pas mal Chloé.
— Comment ça ?
— Maintenant, tu me dis la vérité.
Karima est calme, souriante, sûre d'elle.
Silence.
Je prends un air ébahi, mais je suis déjà prête à rendre les armes, ça doit se voir.
— Dis-moi la vérité Chloé, c'est quoi ton plan foireux cette fois-ci ? Pourquoi ce type s'attaque à toi ? Franchement tu n'es pas miss monde. Je veux dire si tu veux te choper une meuf à la sortie de la piscine c'est pas nous que tu choisis, ni toi ni moi, alors raconte-moi le vrai.
Silence.
— Tu croises les keufs cent mètres plus loin et tu ne leur dis rien ? C'est quoi ton plan ? Tu as encore déconné ou quoi ? Raconte.
Elle me tient par le bras elle aussi, fort, elle me ferait presque mal. Silence encore. Le dernier.
— Qu'est-ce qui est vrai dans ton histoire ?
— Que je suis allé à la piscine.
— C'est tout ?
— À peu près.
— Et donc ?
— J'ai fait les poches dans les vestiaires. Bonne récolte. Trois portefeuilles. Le type, c'était le vigile. En sortant, il m'a bloquée, d'où la griffure, la boucle, le sac. Voilà. Merde, Karima, t'es chiante de lire en moi comme si j'étais transparente.
— Sans moi tu serais à la dérive. Tu te souviens de notre deal Chloé ?
— Oui.
— Redis-le.
— Éviter que l'autre déconne trop.
Ensuite, Karima m'a filé un pétard, parce que j'en avais vraiment besoin pour me calmer et que c'est autorisé dans notre accord, et m'a dit : « Je vais récupérer ta boucle. Ensuite on va discuter de ce que tu vas raconter à ta mère. On va trouver autre chose... là, c'était pathétique. »
Karima ment beaucoup mieux que moi.
Quand c'est elle qui déconne, elle est obligée de me le dire.
Mes premiers mots à Karima en arrivant chez elle, essoufflée, yeux rougis, me retournant sans cesse.
Karima a le sens du détail et du contre-pied.
J'ai couru comme une dingue. À en perdre une boucle. Un cadeau de ma mère. D'habitude, les boucles d'oreille me font un look d'épagneul parce que j'ai des lobes un peu longs, d'après mon frère Eddy. Il m'a dit ça, soi-disant par amour, un jour d'anniversaire. Ma tante m'avait offert des pendentifs plutôt massifs, des trucs à te faire pencher la tête en avant tellement ça pèse. N'importe quoi, ma tante.
Je ne sais pas ce que je vais dire à ma mère. Quand ma mère me les a accrochées, elle a répété « elles sont en argent », pour que je comprenne bien qu'elle avait payé ça une blinde. Elle était fière et j'ai retrouvé ce jour-là un peu de coquetterie adolescente. Eddy avait sifflé d'admiration, avant de compléter en pensant faire un compliment : « Elles sont minuscules, ces boucles, plus petites que tes boutons d'acné. » Je lui avais balancé mon coca au visage.
— Tu es toute griffée, c'est moche.
Karima a l'empathie encore en phase de développement.
— J'ai eu la trouille du siècle à cause d'un type en sortant de la piscine, dans le couloir trop sombre qui rejoint le parc Malraux. Je sors, je retiens la porte, sinon elle claque fort, et après la piscine j'ai les oreilles sensibles. Je me retourne, et là, un homme immense, genre trois mètres, est à trente centimètres de moi.
Regard sceptique de Karima.
— OK, j'exagère pour la taille, mais pas pour la distance. Donc il est planté devant moi, et j'ai peur qu'il me soulève, qu'il m'écrase ou me balance contre un mur. Je crie sauvagement. Un réflexe. Je ne sais pas ce qu'il veut, mais tu ne bloques pas une fille de dix-sept ans dans un recoin de la ville pour lui parler littérature. Il me met la main sur la bouche et me plaque le visage sur la porte. Coup de bol, la panique et le goût de chlore me font vomir d'un coup sur sa main et sa manche.
— Tu sens plus le chlore que la gerbe.
Karima est rassurante.
— Il me lâche, évidemment, alors je passe sous son bras et m'échappe dans la seconde. Le côté droit de mon visage racle le béton, griffure impressionnante. C'est plutôt là, je pense, que la boucle s'arrache. J'aurai mal plus tard, pour l'instant ce n'est pas l'urgence. C'est presque gagné. Presque. Il me chope le pied d'un bout de rangers. Je tombe, je roule sur cinq mètres. Grâce à mon initiation judo au centre aéré il y a deux ans, je sais vraiment tomber et rouler. J'ai donc un peu d'avance. Mais le temps de me relever, il a refait son retard. Il chope mon sac de piscine, accroché à mon bras. Je suis stoppée net. À mon avis quand tu fais du parachute, au moment où le truc s'ouvre, ça doit faire ça. Arrêt brutal comme si une partie de ton corps continuait à avancer et l'autre non. Je me retrouve à courir dans le vide, toujours retenue, comme un chien par un maître qui tire la laisse tel un malade.
— Le maître doit toujours avoir le dessus sur le chien.
Le frère de Karima dresse des chiens. Elle a dû l'entendre prononcer cette phrase, elle la sort mécaniquement.
— Ça dure vingt secondes, mais j'ai l'impression que ma vie traîne en longueur. J'abandonne mon sac d'un mouvement d'épaule. Ça me fait chier parce que je ne sais pas ce qu'il va faire de mes affaires personnelles, ce gros porc. Mais bon, c'est mieux qu'il fasse ça sur mon maillot que sur moi. En tout cas, ça le déséquilibre, il tombe en arrière et moi en avant, je roule de nouveau. Je me relève plus vite que lui cette fois et je file comme une fusée jusque chez toi, en jetant des regards par-dessus mon épaule toutes les cinq secondes.
J'évite de justesse deux keufs qui traînent par là, genre balade digestive. Ils feraient mieux de surveiller les pervers, si je n'avais pas vomi et lâché mon sac, en ce moment je serais sans doute attachée dans une cave, et...
— Cliché.
Depuis son stage d'impro où les clichés étaient sanctionnés, Karima me fait le coup tous les jours. Peu importent les circonstances.
— Autre coup de bol, pour la première fois de ma vie, j'avais mon portefeuille dans la poche et pas dans mon sac, donc il n'a pas mon adresse. Si je ne retourne pas à la piscine jamais il ne me retrouvera. Voilà. J'ai besoin d'un pétard, là, tout de suite, sinon sur la vie de ma mère, je meurs.
— Pas mal Chloé.
— Comment ça ?
— Maintenant, tu me dis la vérité.
Karima est calme, souriante, sûre d'elle.
Silence.
Je prends un air ébahi, mais je suis déjà prête à rendre les armes, ça doit se voir.
— Dis-moi la vérité Chloé, c'est quoi ton plan foireux cette fois-ci ? Pourquoi ce type s'attaque à toi ? Franchement tu n'es pas miss monde. Je veux dire si tu veux te choper une meuf à la sortie de la piscine c'est pas nous que tu choisis, ni toi ni moi, alors raconte-moi le vrai.
Silence.
— Tu croises les keufs cent mètres plus loin et tu ne leur dis rien ? C'est quoi ton plan ? Tu as encore déconné ou quoi ? Raconte.
Elle me tient par le bras elle aussi, fort, elle me ferait presque mal. Silence encore. Le dernier.
— Qu'est-ce qui est vrai dans ton histoire ?
— Que je suis allé à la piscine.
— C'est tout ?
— À peu près.
— Et donc ?
— J'ai fait les poches dans les vestiaires. Bonne récolte. Trois portefeuilles. Le type, c'était le vigile. En sortant, il m'a bloquée, d'où la griffure, la boucle, le sac. Voilà. Merde, Karima, t'es chiante de lire en moi comme si j'étais transparente.
— Sans moi tu serais à la dérive. Tu te souviens de notre deal Chloé ?
— Oui.
— Redis-le.
— Éviter que l'autre déconne trop.
Ensuite, Karima m'a filé un pétard, parce que j'en avais vraiment besoin pour me calmer et que c'est autorisé dans notre accord, et m'a dit : « Je vais récupérer ta boucle. Ensuite on va discuter de ce que tu vas raconter à ta mère. On va trouver autre chose... là, c'était pathétique. »
Karima ment beaucoup mieux que moi.
Quand c'est elle qui déconne, elle est obligée de me le dire.
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Pourquoi on a aimé ?
Chloé et Karima sont deux jeunes femmes hautes en couleur ; et leur personnalité originale est parfaitement retranscrite dans ce court récit au
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Pourquoi on a aimé ?
Chloé et Karima sont deux jeunes femmes hautes en couleur ; et leur personnalité originale est parfaitement retranscrite dans ce court récit au