"La Trace d'Helios Panolier sur Joy Vandalia"

«Je me suis toujours demandée quelle serait mon empreinte dans ce monde.
Depuis mes cinq ans, on me répète que je suis différente. Je ne suis pas une surdouée, non, je ne l'ai jamais été. Mais d'après mes parents, d'après les médecins, je suis de ceux qu'on appelle les HPI.
Haut Potentiel Intellectuel.
Qu'est-ce que cela signifiait?
Il n'y a pas de réponse. Je suis comme tout le monde, je perçois simplement le monde d'une autre manière. Je préfère voir la fin avant le commencement, le malheur avant le bonheur car je sais comment ça va se finir : entourée entre quatre planches. Ça aussi, c'est une autre facette de moi, je vais droit au but, et je ne pense pas que ce soit dû à mon HPI.
Pour moi, je ne suis pas exceptionnelle, je suis comme tout le monde, et puisque tout le monde est différent, alors je suis comme tout le monde. Mais je suis différente, comme toute personne sur cette Terre l'est de son voisin.
On m'avait proposée de sauter de classe. Mes parents ont refusé. Je ne sais pas ce que cela aurait changé si j'étais passée un niveau au-dessus. Je n'aime pas m'imaginer un avenir qui n'est pas le mien, je n'aime pas non plus rêver, car lorsque l'on se réveille, on se souvient que ce moment n'arrivera jamais, ou plus jamais. Je préfère les cauchemars, car lorsque l'on se réveille, on est heureux, on sait que c'est fini. Et j'aime bien les fins. Surtout quand elles sont tristes, je les trouve plus réalistes, on peut voir le personnage principal arborer une émotion connue de tous ; la tristesse. J'aimerais connaitre au moins une personne qui n'a jamais été triste et qu'elle me compte son secret. Alors que la joie, la gaîté, c'est un sentiment rare. Une sensation dont certaines personnes sont dépourvues. Je suis l'une d'elles.
D'après mes calculs, une personne sur trois n'a jamais connu la joie, étant donné que nous sommes huit milliards d'humains sur cette Terre, il y a environ 2 666 666 666, 6... personnes qui n'ont jamais connus cette émotion.
Mais lui, il m'aurait rappelé que je suis nulle en calcul, et que ce n'est pas réaliste. Il m'aurait soutenu son discours sur la joie, que tout le monde pouvait être heureux s'il le voulait. Je lui aurais rappelé que c'était la même chose pour la tristesse.
Il m'aurait tiré les joues et m'aurait fait sourire avec ses mains en tirant ma peau pour la monter jusqu'à mes yeux.
Il me faisait sortir de mes gonds lorsqu'il me chantait l'une de ses chansons proclamant la joie et la paix, une chose impossible dans mon monde. On était de deux mondes différents, et pourtant, nous avons trouvé un portail les reliant. Et pourtant, cette musique, je l'écoute, nous l'écoutons tous depuis...
J'aimerais dire qu'il était la meilleure chose qui me soit arrivée, mais je mentirai, et il le savait que je déteste que l'on me mente, on a déjà trop joué de mes émotions. Alors, lorsqu'il m'a dit qu'il était encore malade, qu'il allait sûrement y passer, cette fois, j'ai vu pour la première fois de la tristesse dans ses yeux verts. Je me souviens qu'il a toussé avant de me prendre dans ses bras, car je pleurais d'avance. J'étais H.P.I, j'avais de l'avance, même dans mes émotions.
On m'a diagnostiquée dépressive et il a été le premier à le savoir. Nous nous sommes alors morfondus sur mon sort, devant un film d'horreur, du pop-corn et mes médicaments. Je n'étais pas encore assez déprimée pour aller en psy. Ce qui me faisait peur n'était pas l'hôpital, non, c'était de ne jamais le revoir, lui.
Alors lorsqu'il m'a dit pour lui, nous avons regardé un film romantique, tel qu'il les aimait, tel que je les détestais. Puis je me suis rendue compte que je déprimais encore plus à cause de ce foutu film, de ce foutu abruti. Lors de ses rendez-vous, j'étais avec lui. Je voyais ses jambes trembler lorsque les médecins faisaient la liste des médicaments à prendre si on voulait espérer un autre visionnage de film déprimant pour moi, réconfortant pour lui.
Ensuite, nous avions l'habitude de nous promener sur la plage. Il marchait plus lentement que moi, il était fatigué, mais je ralentissais toujours un peu plus, pour qu'il n'ait pas cette impression. Puis de jour en jour, nous faisions quelques mètres comme si nous en avions fait 3 milles, essoufflés. Je me souviens de la dernière, il devait le savoir, que c'était l'ultime. J'en suis persuadée. Il m'a tendu son téléphone après avoir lancé l'application «Appareil photo». Je l'avais regardé étrangement et...je me souviens de ses mots:
«Je veux que nous laissions une trace, Joy. Fais ça pour moi, s'il te plait.»
Il m'avait dit cela avec un regard de chien battu, comme s'il le savait. Comme si c'était lui le prévoyant dans notre relation.
Je nous ai dont pris en vidéo et en photos que j'ai ensuite imprimées.
Je devais sûrement sourire, puisqu'il m'affirma, une nouvelle fois, que la joie était partout, même dans mon prénom.
Mais de cet après-midi-là, je me souviens surtout de ses baskets traçant un reflet dans le sol. Il était devant moi, et je le savais aussi, sûrement, car je me suis imprimée cette vision de lui, souriant, pensif, en train de regarder les vagues aller et venir.
Je lui ai souvent parlé de mon souci d'empreinte dans ce monde, il a d'abord ri et m'a affirmé qu'on en laissait une, son importance était jaugée par le nombre de personnes présentes aux funérailles, qui n'étaient pas obligées d'être là. C'est à ce moment que j'ai compris que nous avions laissé notre empreinte sur lui, moi et ma dépression.
Mais lui aussi, m'a laissé son empreinte. Rien qu'en venant, il était dans ma foutue playlist «la playlist du meilleur des amis, c'est-à-dire, moi ; Hélios». Oui, c'est lui qui a choisi le nom.
Alors tu vois mon pote, tu en as laissé une sacrée, d'empreinte. Sur moi, sur nous tous. Et, je te promets de continuer à voir ces foutus films romantiques, à écouter ta playlist et de répéter à Becca qu'elle a été idiote de te laisser partir comme elle l'a fait.»
On m'applaudit, je retourne à ma place après avoir effleuré le cercueil de Hélios, mon meilleur ami.
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