LA TRACE DE CHAMOIS

Ce matin-là, le premier jour des vacances de printemps, le petit hameau de Novel était silencieux. Apparemment les cinquante habitants avaient décidé de faire la grasse matinée. Pourtant, on toqua à la porte d'une maison. C'était Gust. Il avait les cheveux châtains .Il venait de découvrir une nouvelle trace de chamois. La porte s'ouvrit. Une dame, assez jeune mais petite, avec les cheveux en bataille, lui demanda: 
Que t'arrive -t- il, Gust ?
Je viens chercher Mélie.
Elle s'exclama : 
Évidemment ! Mélie, Gust te demande !
Une porte claqua et Mélie arriva derrière sa mère. Elle avait les cheveux châtains, les yeux bleus et portait une robe lui arrivant aux chevilles. Elle sortit en courant et sa mère lui cria: 
N'oublie pas de rentrer pour midi!
Mélie ne lui répondit pas. Elle était déjà trop loin. Bientôt ils arrivèrent à la trace de chamois trouvée par Gust. Celui-ci s'approcha pour l'observer de plus près mais le sol se déroba sous ses pieds et il tomba dans un trou. Il cria, inquiet : 
Mélie, il y a un squelette !
Mélie prit sa corde et descendit dans le trou en rappel. Elle aperçut un médaillon. Ils l'observèrent. Il y avait juste une photo jaunie et une date au dos : 1987. Mélie s'emballa :
Pour commencer notre enquête, on pourrait aller voir dans mon grenier.
Quelle enquête ? 
Pour savoir comment il est mort. Ça ne te dit pas ? 
Agacé, il souffla et acquiesça. Ils s'en allèrent chez Mélie et montèrent au grenier. La mère en les voyant revenir, s'étonna : 
Vous avez déjà terminé ? Pour une fois, Mélie, tu es à l'heure.
Mélie leva les yeux au ciel, elle détestait ce genre de remarque.
Les deux enfants montèrent rapidement au grenier. Gust toussota à cause de la poussière.
Mélie renversa le contenu d'un carton sur le sol poussiéreux. C'étaient de vieux journaux donnés par sa grand-mère. Ils commencèrent leurs recherches mais au bout de quelques heures, ils n'avaient rien trouvé puis Mélie se mit à lire un article : 
« D'après sa femme, Monsieur Louis DELACOUR a disparu. Vous pouvez joindre la gendarmerie si vous avez des informations à communiquer. »
L'article comportait une photo que les deux enfants observèrent attentivement. Gust finit par dire : 
Regarde sur la photo, il a le même médaillon que notre squelette.
Mélie s'exclama : 
Mais Louis, c'est le même prénom que le mari de Mamie. Je croyais qu'il avait abandonné Mamie et maman.
Ils allèrent chez la mamie de Mélie pour l'interroger. Claudine avait une forme olympique mais ses rides laissaient apparaître son âge. Elle les accueillit avec un grand sourire et un délicieux gâteau de Savoie. Ils s'assirent autour d'une table. Gust entama la discussion avec la bouche pleine, tant et si bien qu'on ne comprenait rien à ce qu'il disait. Mélie dont la patience avait des limites, s'écria : 
Gust, ça suffit ! Je vais lui expliquer moi-même.
Claudine s'étonna : 
Vous allez m'expliquer quoi ?
Mélie sortit la photo qu'elle avait découpée ainsi que le médaillon. Claudine, ébahie, se mit à pleurer en disant : 
Mélie, c'est ton papy. C'était un homme très bien. Il était très ami avec Jean...
Elle fit une pause et caressa son alliance. Elle reprit : 
Quand il a disparu, Jean a prétendu qu'il nous avait abandonnées mais je ne le croyais pas. Quand je l'ai raconté à ta mère un peu plus tard, elle a, pourtant, cru cette version . La dernière personne qu'il l'a vu, c'était ta mère, Gust, elle avait neuf ans. Voilà. Déguerpissez !
Quand Claudine s'agaçait, il fallait mieux ne pas s'attarder. Une fois, dehors, Gust annonça : 
- On va chez ma mère.
Ils se rendirent chez Justine, la mère de Gust. Ils firent part de leur découverte et ajoutèrent les explications de Claudine.
Elle leur révéla alors : 
Je sais que Louis n'a pas abandonné sa famille, il n'aurait jamais pu. Quand il est mort, il avait à peu près mon âge actuel. Je suis la dernière à l'avoir vu. Il était, alors, avec Jean qui le suppliait de l'accompagner pour l'ascension du Mont Cervin. Il a fini par céder. Peu après, Jean est devenu le plus jeune alpiniste à avoir fait cette ascension. Je n'ai pas fait tout de suite le lien. Mais, quelques années plus tard, Je me suis demandé si Jean s'était débarrassé de lui pour la gloire et avait, lâchement prétendu qu'il avait abandonné sa famille.
Pourquoi ne l'avez-vous pas dit, Justine ? 
J'avais neuf ans au moment des faits et douze quand j'ai fait le lien. Mais sans preuve, personne ne m'aurait crue. 
Alors, allons tout de suite à la gendarmerie !
Oui, je veux qu'il ait ce qu'il mérite. 
Quarante minutes plus tard, Justine répétait son témoignage. Le commandant se montra d'abord perplexe mais quand il vit le squelette, l'article de journal et les résultats ADN récupérés quelques jours plus tard sur le médaillon, alors cela devint évident.
Quelques jours plus tard, ils allèrent tous à l'église où Jean se préparait à aller prier. Le commandant de gendarmerie l'interpella : 
Monsieur, vous êtes en état d'arrestation.
Pour quel motif ? 
Rappelez - vous de l'année 1988.
Jean, livide, articula difficilement: 
Comment l'avez-vous retrouvé ?
Disons que ces deux jeunes gens m'ont un peu aidé. 
Jean regarda derrière le commandant et remarqua Mélie et Gust qui lui faisaient les gros yeux ainsi que Justine. Il marmonna : 
J'aurais du me débarrasser de toi.
Le commandant annonça : 
Vous en avez pour plusieurs années en prison.
Quelques mois plus tard, alors qu'ils reparlaient de cette histoire, Mélie s'exclama :
-Quand je pense que ce tueur n'aurait jamais été condamné sans la découverte de cette trace.
-C'est clair.
Jean était passé devant la cour de justice. Il avait écopé, de plusieurs années de prison. La mère de Mélie avait beaucoup pleuré puis s'était calmée. Elle s'en voulait d'avoir cru le meurtrier de son père. L'enterrement de Louis avait enfin eu lieu avec trente-sept ans de retard. À Novel, tout était redevenu comme avant. Les vacances d'été avaient commencé. Mélie, Gust et leurs mères allaient partir en vacances dans le Massif du Cervin. 
 
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