C'était une nuit de mars, le printemps s'éveillait doucement, dans une rosée matinale. De la brume stagnait autour des bouleaux de l'orphelinat. Célestia les pieds nus, dans sa robe de nuit trop petite et effilochée, était agenouillée contre la fenêtre du grand dortoir où tout ronflement et respiration faisaient sursauter la jeune fille. Ses doigts fins et pâles dessinaient sur la buée son rêve le plus cher. Avoir une amie. À l'aube, Célestia et les autres se levèrent en ronchonnant, soufflant, chuchotant et riant, réveillées par Madame Pin. La vielle femme était aussi froide que le vent glacé de la nuit qui vous transperce de part en part, Tout en enfilant une veille robe grise, elle se demanda ce qu'elle avait fait pour mériter ça. Célestia avait 12 ans et déjà, elle se sentait aussi épuisée de la vie que Madame Pin, qui n'arrangeait pas les choses en lui rajoutant chaque jour plus de tâches, l'empêchant de réviser pour les rares cours qu'elle avait. Alors, elle eut cette idée si peu fréquente chez les jeunes filles de l'orphelinat. Elle sortit dehors respirer l'air frais de la saison. Emmitouflée dans son châle noir, elle tendit ses bras frêles vers une branche de cerisier fleurissant et en respira l'odeur si doux, si réconfortante, l'odeur de sa mère. Soudain, alors, que les larmes lui montaient aux yeux, tels des souvenirs, des traces d'amour perdus et brisés, une voix se fit entendre derrière les barreaux rouillés. Célestia sursauta et lâcha brusquement la branche de cerisier. « Salut ! Ça ne va pas ? C'est dommage, car les cerisiers, moi, je trouve ça très beau ! ». Célestia en resta stupéfaite. Une jeune fille de son âge se tenait là en parfaite reine des fées. Ses cheveux roux cachaient son visage couvert de tache de rousseur. « Je m'appelle Ambre » dit-elle d'un ton posé, un large sourire sur ses lèvres. Surprise, l'orpheline balbutia d'un ton prudent « que fais-tu là ? » Ambre lui tendit une main à travers les barreaux. « Je t'observe depuis des semaines, tu as l'air bien seule... J'aimerais bien apprendre à te connaître, moi-même, je n'ai pas beaucoup d'amies, je vis seule chez mon père. Comment tes parents sont morts ? » « Je ne sais pas bien... La seule trace que j'ai d'eux, c'est un pendentif... » répondit tristement Célestia dans un soupir. Elle avait enfin trouvé quelqu'un qui la rendait heureuse : une amie. Un matin, alors que Célestia s'habillait précipitamment, elle pensa à son médaillon qui était l'unique trace de son passé et se dit qu'elle devrait le montrer pour de bon à Ambre. Penchées sur un tronc à l'écorce résistante, couverte de mousse fraîche, qui engendrait une rivière tranquille, les deux amies riaient aux éclats dont les échos de bonheur résonnaient dans cette forêt enchantée. Une gouttelette mouilla les collants de Célestia et elle aspergea à son tour Ambre dont le rire si pur faisait fondre tous les cœurs de pierres. Puis, après avoir longuement discuté, sur des rochers plats, au bord de la rivière dont les branches de cerisiers, lourds de fleurs, embrassaient élégamment le cours d'eau, Célestia sortit son médaillon de sa poche, et le montra à Ambre. Doré, une rose y était gravée, à l'intérieur un ruban à l'odeur de cerisier. « Crois-tu, dit Ambre, qu'il y a un message caché ? Je l'ignore » répondit Célestia, persuadée qu'un mystère se cachait là sous leur nez. Et particulièrement, sur sa si mystérieuse naissance, aussi mystérieuse et incompréhensible que la brume autour des bouleaux de l'orphelinat. Le soleil se couchait tandis que les deux amies sortirent des bois sinueux. Elles bifurquèrent alors devant un gigantesque manoir délabré, à certains endroits où la pierre, se disloquait. Elles trouvèrent refuge sous un splendide cerisier qui trônait fièrement sur la droite du manoir. Alors qu'elles discutaient, appuyées contre le tronc, Célestia sentit une bosse contre son dos, l'orpheline se retourna et découvrit une rose gravée dans le bois rustique.« Ambre ! » hurla-t-elle au même moment où la petite rose s'ouvrit telle une porte, découvrant un creux dans le tronc, où se nichait une liasse de feuilles ficelées d'un ruban. Ambre, surexcitée, s'empressa de s'emparer, du paquet ficelé d'un ruban doré comme le pendentif. Tout correspondait : la rose, le doré, l'odeur du cerisier symbolisant la trace de son passé ! Avec énergie, les deux amies lurent à haute voix les poèmes qui étaient inscrits. « C'est si romantique ! » S'égosilla Ambre avec entrain. « C'est... mon père qui les écrivait à ma mère... ils... ils habitaient là... » Tournant la tête vers le manoir, Ambre s'extasia « c'est magnifique ! Allons-y ! ». Tremblantes, les deux adolescentes poussèrent la lourde porte de chêne. La lune passant à travers les vitres brisées les éclairait tels des ombres maléfiques. Se blottissant l'une contre l'autre dans un escalier grinçant, les deux acolytes arrivèrent sur un palier à moitié délabré, un long couloir se profilait à l'horizon. Ambre courut jusqu'à une pièce à la porte entrebâillée, suivie de Célestia, essoufflée et couverte de sueur, le cœur battant à tout rompre. Elle venait de découvrir une chambre d'enfant couverte de poussière, un berceau dont la couverture avait été rongée par les mites. Un miroir orné d'une rose reflétait Ambre. Des larmes coulaient sur ses joues. Alors dans un sourire mouillé, Célestia s'avança et dans un murmure dit « depuis le début, j'avais raison, donc c'est toi Ambre, ma destinée, ma sauveuse, ma meilleure amie. ». Légère d'avoir résolu le mystère de la trace de ses parents, Célestia pensa que désormais plusieurs portes s'ouvraient à elle. C'est ainsi qu'elle comprit les puissances de l'amour, comme l'amitié.