La trace

Il y a 6 mois, je faisais le tour des refuges animaliers autour de chez moi pour me trouver un compagnon à quatre pattes. Je visitais un refuge en Isère quand je vis un superbe malinois. Il s'appelait Rex, il avait 2 ans. J'allais à l'accueil  pour l'adopter et je décidais de le renommer Missile.
Nous rentrions chez nous à Lyon. Pendant 3 mois, nous  sommes allés au club canin. Missile apprenait très vite et je décidais de passer un test pour entrer à la brigade cynophile de St Fons. Missile et moi avons passé le test avec succès.
Après avoir intégré la brigade, nous avons suivi une formation m'expliquant comment bien éduquer mon chien. Nous avons fait des exercices pour retrouver des personnes disparues ou pour détecter la présence d'explosif, de drogue...
Aujourd'hui nous sommes appelés pour une disparition. Accompagnée de mes 2 collègues rentrées à la brigade en même temps que moi, Angelina et Alix, nous partons immédiatement. Nous devons aller dans la forêt qui se trouve à proximité du chemin de Pilery aux alentours d'Heyrieux.
La famille Péridot a 4 enfants. Les jumeaux Elio et Aaron de 6 ans, Iliana de 9 ans et Solal de 12 ans. Les enfants jouaient à cache-cache au bord du sentier où leurs parents étaient en train de se promener. C'était au tour de Solal de compter et Elio, Aaron et Iliana étaient partis se cacher. Solal trouva sa sœur mais les jumeaux restaient introuvables. Avec l'aide d'Iliana, Solal les chercha, mais ils avaient disparu. Le frère et la sœur allèrent trouver leurs parents pour les prévenir. Après une bonne demi-heure à appeler leurs fils cadets, les parents appelèrent la gendarmerie.
Arrivée sur les lieux, la gendarmerie vit qu'il y avait trop de broussailles, de buissons et d'arbres pour retrouver au plus vite les deux enfants. Ils nous appelèrent. Au bout de 25 interminables minutes, nous avons pu rencontrer les membres restants de la famille Péridot. La femme était en pleurs sur l'épaule de son mari. A travers ses larmes, j'eus la vague impression de l'avoir déjà vue, mais je me concentrai plutôt sur ma tâche. Il fallait absolument retrouver ces enfants.
Pendant que je prépare Missile en lui mettant son harnais, Angelina commence les recherches avec White, sa chienne. Mais malheureusement, elles reviennent quelques minutes plus tard, bredouilles et couvertes de boue. White qui avait eu peur d'un hululement de chouette, avait tiré trop fort sur sa laisse faisant tomber Angelina dans une grosse flaque. Alix revient elle aussi avec Samson son chien qui boitillait, il s'était tordu la patte et ne pouvait plus la poser à terre. Il ne reste donc plus que Missile et moi pour retrouver Elio et Aaron.
Nous partons dans la direction indiquée par Iliana qui avait vu ses petits frères partir par là. Je suis Missile à travers de buissons touffus et brusquement, il tourne à gauche et stoppe net, tourne la tête vers la droite, lève la truffe, puis se met à aboyer. Mon chien avait flairé leurs odeurs, il avait retrouvé leur trace.
Guidée par mon chien, je cours, écartant les fougères, slalomant entre les arbres. A plusieurs reprises, je faillis lâcher la laisse qui me glissait entre les doigts et je la rattrape in extremis. Subitement Missile s'arrête. Je tends l'oreille. A travers le pépiement des oiseaux et le bruissement des branches dans le vent, j'entends au loin les pleurs d'un enfant. Ils venaient sûrement d'un des jumeaux. J'ai l'impression d'entendre des «maman» qui me déchirent le cœur.
Sans plus attendre, j'ordonne à Missile de continuer les recherches. Mon fidèle compagnon tourne la tête vers moi et s'élance vers les pleurs. Cette fois, je m'agrippe à la laisse. Il ne manquerait plus que je me perde moi aussi !
Soudain je me rappelle. Je suis déjà venue dans ces bois. La vision d'une grande falaise remonte de mes souvenirs. Mon sang se glace. Nous courons droit dans sa direction. Plus nous nous rapprochons plus les pleurs sont forts et les «maman» plus déchirants. Au détour d'un chêne, Missile et moi nous nous arrêtons net. Un petit garçon se tient devant nous. Il pleure à chaudes larmes. Il a des cheveux brun clair, des yeux bleu azur et ressemble aux garçons sur la photo qu'on nous avait montré avant de partir à leur recherche. Je regarde aux alentours mais aucun signe de son frère. Je m'approche de lui et lui demande :
«Comment t'appelles-tu ? Comment vas-tu? Où est ton frère ?»
Entre deux sanglots il arrive à bafouiller :
«Elio. J'ai froid.»
Puis il recommence à pleurer. Il me montre tout de même la falaise de son petit doigt. Je m'y précipite et je le vois. Aaron est étendu sur une corniche, un peu de sang coule de sa tempe jusqu'à son menton. Heureusement j'ai pris mon talkie-walkie et une corde. Je le porte à ma bouche et dis précipitamment :
«Je les ai retrouvés. Elio a froid mais il va bien. Aaron est tombé d'une falaise mais a atterri sur une corniche. Il saigne un peu et il semble inconscient.» Je croise les doigts pour que quelqu'un entende mon appel.
J'attache Missile à un arbre, j'enlève ma veste et la donne à Elio. J'entoure ma corde autour d'un arbre. Je fais un nœud autour de mon ventre, me penche au bord de la falaise et jette un dernier coup d'œil à Elio. Il s'accroche au cou de Missile et s'enroule dans ma veste comme dans une couette. Je prends mon courage à deux mains et saute dans le vide. Je fais plusieurs bonds successifs avant d'atterrir aux côtés d'Aaron. Je le prends dans mes bras, le sécurise avec un morceau de corde, et commence tant bien que mal à le porter jusqu'au sommet de la falaise.
Au moment où je le pose délicatement au sol un cri de soulagement se fait entendre et leur mère arrive en courant. Mon appel a été entendu. Sans ses larmes, je reconnais enfin la femme.
C'est elle qui m'a permis d'adopter Missile au refuge. Elle m'a aussi reconnue car elle me dit :
«Cette adoption n'a pas été vaine. Missile et vous avez sauvé mes fils, un grand merci».
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