Prologue :
« J'étais soldat au 27ème bataillon de chasseurs alpins du plateau des Glières, et notre bataillon était dirigé par le colonel Minguet. Nous avions eu l'ordre d'aller aux Glières par Théodose Morel, alias Tom Morel. J'étais jeune, à l'époque, et, avant cette mission, je n'avais jamais touché à un seul fusil. Mais, là-bas, dans les montagnes, j'ai rencontré quelque chose d'extraordinaire qui fut gravée à jamais dans ma tête, et aujourd'hui encore, je me remémore cet instant merveilleux. Pendant quelques instants, j'avais oublié les horreurs de la guerre, et je me suis toujours promis de la protéger. De protéger cette chose. Toujours. »
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Dans les hautes montagnes du plateau des Glières, tel de petits points noirs innocents, environ cent soldats du 27ème BCA avancent péniblement dans la neige abondante et glaciale du mois de février. On ne pouvait entendre que le bruit successif des pas, mélangé par les coups de fusils lointains à l'horizon. Tous se suivaient les uns derrière les autres, mais un de ces cent soldats fut intrigué par quelque chose. Une trace. Elle se dessinait dans la neige, et l'homme s'arrêta. Une trace, ou plutôt trois. Il les examina avec précaution, et alors il distingua des traces de loups. Oui, se dit-il, des traces de loups. Mais pourquoi trois ? Or, il n'eut le temps de s'attarder plus longtemps, car le colonel Minguet le rappela à l'ordre. Le soldat abandonna la trace et se remit en chemin. Il se promit cependant de revenir dans la nuit, car le lendemain était prévu une tempête sans pitié...
La nuit avait rempli les larges forêts du plateau des Glières, il n'y avait pas de bruit. L'homme se prépara en silence et prit une lanterne. Il sortit du chalet où son bataillon avait trouvé refuge et entama une longue et pénible marche sous les étoiles de l'hiver 1944. Fort heureusement pour lui, il y avait peu d'Allemands dans les parages, et il n'eut aucun problème pour retrouver la trace. Elle était encore là, et elle semblait toujours autant étrange. Trois traces de pattes de loup, se dit-il, cela veut dire que cet animal est blessé à un de ses membres. Quand il continua un peu plus loin, il vit du sang à la place de la patte absente. Oui, c'est cela, le loup est blessé... Et là, il se résolut de l'aider. Je vais suivre la trace, j'arriverai bien quelque part... Pour soigner cet animal. Il se remit alors en marche.
Après dix minutes, il découvrit enfin un terrier, ou plutôt un trou dans la neige. Il se dit que cet abri devait cacher d'autres loups, et qu'il serait plus prudent de rebrousser chemin. Mais, un instinct profond obligea l'homme à rester. Il eut raison : deux heures après, il y eu du bruit dans le trou. Le soldat se cacha. Alors c'est à ce moment-là que sortit, sous une fourrure grise et blanche, un seul loup, majestueux. L'homme était émerveillé. Il vit que l'animal avait du sang qui suintait à la place de son membre avant. C'est bien lui, se dit-il. En regardant, toujours caché dans la neige, de plus près, il découvrit qu'en vérité, c'était une femelle. Qu'elle est belle ! Je vais essayer de m'en rapprocher, songea le soldat après l'avoir admirée. Il se démunit de son sac, de son fusil, de sa lanterne, et sortit de sa cachette à pas lents et mesurés, montrant que ses mains ne possédait pas de fusil. Mais la louve, apeurée, essaya en vain de courir : elle était blessée, elle ne pouvait donc fuir ce qu'elle considérait comme un danger. « Ne t'inquiète pas, je ne te ferai aucun mal, je veux simplement te soigner. » dit le soldat, se mettant accroupi à quelques mètres de la louve. Celle-ci le regarda pendant de longues minutes, et l'homme essaya de la mettre en confiance en baissant la tête et fermant les yeux.
« Je ne suis pas un soldat qui te veux du mal, je ne suis pas comme cela. » Il retourna alors à son abri, fouilla dans son sac et sortit le morceau de viande qu'il avait préparé. « Tiens, dit-il à la louve, mange ceci, tu reprendras des forces. » Il tendit la viande à l'animal. Celui-ci hésita encore, mais s'avança enfin pour attraper le morceau dans sa bouche et retourna où il était. L'homme regarda la louve manger, et sorti le deuxième et dernier bout qu'il avait quand celle-ci eut fini. Elle revint donc, plus confiante cette fois-ci. Le soldat avança sa main pour caresser la louve, mais celle-ci recula sa tête. Il ferma alors les yeux. Après un court instant ; il sentit le doux souffle de la louve sur sa tête, et sa fourrure sur son épaule. Quand l'homme releva ses yeux, il vit l'animal parfaitement confiant qui le fixait. C'est à ce moment précis qu'il comprit qu'une amitié de confiance s'était bâtie entre le soldat et la louve. Il oublia pendant de longs instants les horreurs de la guerre, le 27ème bataillon, les Glières, le colonel Minguet, et se promit de toujours aller voir cette louve, de se souvenir d'elle...
« Je m'appelle André, André Carrant, dit le soldat, et toujours je te protégerai. Toujours. »