J'ai toujours détesté l'alcool, ou plutôt les ravages qu'il produit.
Quand j'étais jeune, mon père buvait, pas une ou deux bières, plutôt une bouteille de Ricard par soir. C'était toujours la même histoire, il buvait, ma mère s'énervait, puis ils criaient. Pendant ce temps, je racontais des histoires à mon petit frère, avec la musique au maximum, pour qu'il n'entende pas le bruit de la vaisselle brisée. Un soir, les cris résonnaient comme à leur habitude, puis il y eut un énorme bruit, celui d'une étagère qui se fracasse à terre, et ensuite seulement le silence. J'avais senti mon cœur se déchirer à cet instant, je n'avais encore rien vu, mais je sentais qu'il s'était passé quelque chose de grave. J'avais dit à mon frère que s'il dormait bien sagement je lui achèterai des bonbons demain, il s'était couché sans hésitation. Il m'avait fait un grand sourire avant que je n'éteigne la lumière de sa chambre. Ce fut, sans le savoir, la dernière fois que je vis ses lèvres s'étirer. Le silence devenait plus pesant à chaque pas que je faisais vers le salon. Lorsque je poussai la porte, je vis d'abord mon père, il était debout, droit, une bouteille de Ricard brisée à la main. Il ne remarqua pas ma présence, il semblait en transe, comme absent. Puis je vis le tas de débris à ses pieds, divers objets mais surtout le grand buffet, maintenant à terre. À la vue de tout le sang qui ornait le tapis blanc, je me vomis dessus. Les larmes dévalèrent d'elles même, j'aurais aimé sentir les bras apaisants de ma mère contre moi, son odeur rassurante aurait dénoué ma gorge, retiré le couteau qui déchirait mes entrailles. Mais c'était impossible, car elle était là, écrasée sous les débris, à se vider de son sang. Je me suis jetée à terre avant que la douleur ne me paralyse, dans un dernier espoir je commençai à décaler les objets. Je n'aurais pas du, car même cinq ans après je revois encore la tête sans vie de ma mère dans mes cauchemars. Je ne pus retenir mon hurlement lorsque je vis ses beaux cheveux mélangés à des bouts d'os et de cervelles. Je m'écartais aussitôt avant de vomir une deuxième fois. Il me fallut plusieurs minutes avant que ne puisse me relever et faire face à mon père, qui ne bougeait toujours pas.
Quand j'étais jeune, mon père buvait, pas une ou deux bières, plutôt une bouteille de Ricard par soir. C'était toujours la même histoire, il buvait, ma mère s'énervait, puis ils criaient. Pendant ce temps, je racontais des histoires à mon petit frère, avec la musique au maximum, pour qu'il n'entende pas le bruit de la vaisselle brisée. Un soir, les cris résonnaient comme à leur habitude, puis il y eut un énorme bruit, celui d'une étagère qui se fracasse à terre, et ensuite seulement le silence. J'avais senti mon cœur se déchirer à cet instant, je n'avais encore rien vu, mais je sentais qu'il s'était passé quelque chose de grave. J'avais dit à mon frère que s'il dormait bien sagement je lui achèterai des bonbons demain, il s'était couché sans hésitation. Il m'avait fait un grand sourire avant que je n'éteigne la lumière de sa chambre. Ce fut, sans le savoir, la dernière fois que je vis ses lèvres s'étirer. Le silence devenait plus pesant à chaque pas que je faisais vers le salon. Lorsque je poussai la porte, je vis d'abord mon père, il était debout, droit, une bouteille de Ricard brisée à la main. Il ne remarqua pas ma présence, il semblait en transe, comme absent. Puis je vis le tas de débris à ses pieds, divers objets mais surtout le grand buffet, maintenant à terre. À la vue de tout le sang qui ornait le tapis blanc, je me vomis dessus. Les larmes dévalèrent d'elles même, j'aurais aimé sentir les bras apaisants de ma mère contre moi, son odeur rassurante aurait dénoué ma gorge, retiré le couteau qui déchirait mes entrailles. Mais c'était impossible, car elle était là, écrasée sous les débris, à se vider de son sang. Je me suis jetée à terre avant que la douleur ne me paralyse, dans un dernier espoir je commençai à décaler les objets. Je n'aurais pas du, car même cinq ans après je revois encore la tête sans vie de ma mère dans mes cauchemars. Je ne pus retenir mon hurlement lorsque je vis ses beaux cheveux mélangés à des bouts d'os et de cervelles. Je m'écartais aussitôt avant de vomir une deuxième fois. Il me fallut plusieurs minutes avant que ne puisse me relever et faire face à mon père, qui ne bougeait toujours pas.
— Qu'est-ce que tu as fait ! Tu l'as tué !
Enfin, en réalité ma voix tremblait tellement qu'elle était à peine compréhensible. Pourtant, mon père sembla l'entendre puisqu'il bougea enfin.
— Il ne s'est rien passé du tout, va dans ta chambre.
Il n'y avait aucune émotion dans sa voix, si ce n'est qu'une menace.
— Il faut appeler quelqu'un ! Les pompiers ! hurlais-je.
Mon père me regarda droit dans les yeux tout en s'approchant de moi.
— On ne va appeler personne, va dans ta chambre.
Il avait les yeux injectés de sang, il semblait complètement fou. Je tremblais d'horreur, mais je n'arrivais pas à contenir la colère que j'éprouvais envers lui.
— Mais fais quelque chose ! C'est à cause de toi si elle est là, à terre !
Je ne vis pas sa main avant qu'elle ne s'abatte sur ma joue. Je sentis la douleur jusque dans mes dents, mais ce n'était rien face au saignement de mon cœur.
— Tu es un monstre !
— Ferme ta gueule ! hurla-t-il tout en me frappant une seconde fois.
Ma bouche était pleine de sang, que je n'hésitai pas une seconde à lui cracher dessus.
— Petite salope !
Cette fois, ce n'est pas son poing qui s'abattit sur mon visage, mais la bouteille brisée qui déchira mon flanc droit. Je hurlai de douleur lorsque les morceaux des verres se plantèrent dans ma peau. Mon poing partit tout seul, rencontrant le visage poisseux de mon père. Je me rappelle de la fierté lorsque j'avais vu une de ses dents abîmées s'envoler, puis de la peur lorsqu'il avait pris mon cou de ses deux mains.
— Tu n'es qu'une sale garce ! hurlait-il.
Ses mains serrèrent encore plus fort mon coup, mes pieds se soulevèrent du sol. Je crachais du sang, tout en essayant désespérément de me libérer en l'assaillant de petit coup. Le manque d'air me faisait brûler la tête, mes flans souffraient le martyre. Le visage de mon père était déformé par la rage, il ressemblait à un animal. Nos regards ne se lâchaient pas, malgré l'extrême douleur qui me parcourrait, je ne lui envoyais aucun signe de faiblesse, seulement de la haine à l'état pur. Il m'aurait tué de ses propres mains si les sanglots de mon frère n'avaient pas résonné dans toute la pièce. Cela eut le mérite de le déstabiliser assez pour que je puisse m'échapper. Consciente que sa stupeur durerait peu, je courus jusqu'à mon frère, je le pris dans mes bras et je remontai les marches quatre à quatre. Mon père hurlait derrière nous. Je nous précipitai dans ma chambre, refermant aussitôt le verrou. À peine une seconde après, les poings de mon père s'abattaient contre la porte. Je décalai aussi vite que possible tous les meubles de ma chambre pour condamner la porte. Les hurlements et coups de l'homme ne cessaient pas. C'est seulement lorsque je fus sûre que jamais il ne pourrait rentrer dans la pièce que je posai mon regard sur mon frère. Il tremblait de tout son corps, sa respiration était trop rapide, son visage recouvert de larmes.
— Tu saignes beaucoup, me dit-il d'une voix tremblante.
Sans un bruit, il m'aida à retirer au mieux les morceaux de verre toujours plantés dans ma peau, puis je nouai un t-shirt autour de mes plaies pour stopper le saignement. Ensuite, nous nous agrippâmes l'un à l'autre, tentant d'oublier l'instant présent.
— Ouvrez cette putain de porte ! Je vais vous tuer !
Cela avait duré des heures, mon petit frère tremblant dans mes bras, aucun autre bruit dans la maison que nos pleurs et les menaces de mort de notre père. À chaque seconde qui passait, la trace indélébile de cette nuit s'imprimait un peu plus dans nos cœurs.