La tombe du sommeil

« Maître ? Vous plaisantez ? Vous pouvez me cogner, comme l'ont fait tous les autres, mais je ne vous appellerai pas maître. »

Minuit est là, le jeu recommence. Quand la dernière personne réveillée s'endort, je ferme les yeux et je réalise la première idée qui me vint à l'esprit : me noyer dans les profondeurs, sauter au diable qui se cache en moi. Je me perds entre ce Moi de la nuit et ce que je suis vraiment. Chaque fois que je mets ma tête sur l'oreiller à la chute du sommeil dans les mains de la douleur et les souvenirs entassés dans mon âme, je ne dors pas, je perds conscience. Je suis fatigué mais je ne peux pas dormir. Les autres rêvent, mais moi je joue. Bien sûr, si vous voulez jouer ce jeu comme moi, vous aurez besoin de mon don : l'insomnie, les réveils nocturnes, les cauchemars et les idées noires. J'ai mal au dos, je tourne à droite et à gauche, vers le haut et vers le bas. Tout mon corps semble engourdi, comme s'il appartenait à quelqu'un d'autre. J'ai du mal à me débarrasser des ombres de mon lit, des fantômes de mon imagination. Le vide s'agrandit. Mon âme est somnambule. Les yeux fixés sur le mur, je ressens de la pitié pour moi-même. Les images dans ma tête se transforment à minuit en des pensées sauvages et solitaires. La nuit me pèse comme une prison. Pour une personne qui souffre d'insomnie, les pilules hypnotiques semblent une solution très tentante. Ce soir, les pilules semblent fonctionner plus lentement que d'habitude. Je ne dors pas, ce sont les pilules du jeu, pas du sommeil. Alors que le monde entier s'endort tranquillement, je suis paralysé, coincé dans un cocon de silence, mais j'entends mille voix qui m'étouffent, les pensées folles qui s'inventent et les murmures du diable.
- Vous devez me laisser partir, me libérer. Satan damné, je veux dormir. Ne me frappez pas, restez loin de moi, maudit diable. Les blessures créent la folie et les monstres, alors vous voulez me convaincre que je suis fou. C'est votre folie, hallucinogène, je ne vous obéirai plus, je romps notre contrat. Enlevez ces pensées toxiques de ma tête ! C'est mon cerveau qui contrôlera la douleur, pas vous.
- Vous ne voulez pas croire à votre maladie, vous vous trompez, vous pensez que vous seriez libéré par l'imagination, mais vous êtes prisonnier de vous-même, de moi, n'essayez pas d'y échapper, croyez en votre folie, croyez en votre maladie. Vous me diriez que je suis diabolique, je vous dirais oui comme d'habitude. Mais, je comblerai votre satisfaction pour subvenir à vos désirs d'être le plus heureux au monde. Le sommeil s'enfuit chaque nuit et vous êtes avec moi face à l'ennui. Ce n'est pas un piège, c'est le jeu. Lâchez-vous, libérez-vous, jouez avec moi. Vous vous soumettrez, je suis le patron ici, je suis le maître, la douleur régnera et vous ne saurez pas la supporter, vous prendrez le plaisir de moi, une promesse de vous amuser et vous libérer de vos limites, de vos valeurs et de vos souffrances. Vous aimeriez pouvoir sortir de ce jeu, mais essayez juste de vivre.
- Et si j'inverserais les rôles ?! Et si je pourrais me contrôler et me créer une autre âme qui ne ressent ni douleur, ni amour, ni pitié, ni souvenirs ?! Mauvais esprit, sortez de ma maison et de mon corps, sortez de tous les coins de mon cœur ! Je veux m'accrocher au pouvoir divin, aux anges purs et brillants là-haut. Je n'obéirai pas à vos actions malveillantes et mauvaises, vous ne ferez pas de moi un pécheur.
- Vous me considérez comme mauvais, mais n'exagérez pas ! Le mal est nécessaire pour réaliser votre grand bien, vous ne devez donc pas considérer ce que je vous ordonne comme un mal, mais au contraire, vous devez l'accepter comme un bien puisqu'il conduit à un plus grand bien. Quitter le mal qui mène au bien est le mal lui-même. Une cause que vous considérez comme mauvaise conduit finalement à des vertus. Si je vous offre du feu, le considéreriez-vous comme un mal parce qu'il brûle ? C'est un grand bien qui permet aux gens de vivre !
- Laissez-moi partir, sale âme, ne me faites pas de mal ; je ne vous laisserai pas me manipuler. Vous ne ferez pas de moi un monstre ! Vous voulez apporter de la douleur dans mon corps pour me gouverner ? Vous rêvez. Résiste bonhomme, résiste mon cœur. Je ne suis pas ivre, je ne suis pas fou. Je sens le fardeau qui me brise le dos et qui m'incline vers le sol. Je préfère être constamment ivre, mais je ne le suis pas. Je n'imagine pas, je ne fantasme pas, je ris parce que j'ai mal, je ne suis pas un clown, mais je ris, et je me sens plus triste chaque fois que je ris davantage. Je suis un guerrier, je résisterai. Vous ne me contrôlerez pas, vous ne déciderez pas pour moi. J'irai me soumettre au tourbillon de ces ouragans qui montent dans ma mémoire, danser avec leur folie, indifférent à leur tentative de faire exploser leur force dans le suicide de ma faiblesse. La vie nous a détruits, nous a dispersés, nous a recouverts comme un cadavre froid momifié depuis des milliers d'années, et nous lui résistons pour vivre, laissant le poids de nos soucis dissous dans une lutte éternelle.
Il est assez pour vous de me frapper, vous me faites du mal. Non, je n'hallucine pas, c'est la vérité. Je tombe dans le vide, dans votre obscurité totale. Qui êtes-vous ? Pourquoi me jugez-vous ? Que cela vous plaise ou non, ne m'accusez pas de folie, je ne suis pas stupide ni fou.
- Vous ne faites pas la distinction entre la réalité et la fantaisie. Vous inventez des illusions. Vous m'inventez.

Parfois, un acte qui vous semble fou peut être un salut pour un autre. Tout comme la façon dont je vis, j'ai tenté de me suicider à plusieurs reprises, mais j'ai survécu. Quand vous me regardez, vous pourriez penser que je suis très calme. Vous ne savez pas que derrière mon silence et mon regard très vague, il y a une personne complètement folle et lunatique, mais assez courageuse pour vaincre la nuit. Mes pensées suicidaires deviennent plus fortes.

- Laisser le couteau, réveillez-vous pauvre fou !
- Taisez-vous imbécile ! Parce que vous pensez que vous me connaissez mieux, que comme mon médecin vous êtes les seuls à savoir la vérité, n'est-ce pas ? ! Guides abominables !
- Pourquoi êtes-vous si obsédés par moi ? Arrêtez-vous avant que votre esprit ne devienne votre tueur. Faites quelque chose pour vous-même au moins cette fois-ci ! Vous ne me tuez pas ! Vous vous tuez !
- Taisez-vous ! Taisez-vous !
- Écoutez-moi s'il vous plaît ! Dans votre imagination débordante, le suicide peut être incroyablement salvateur. C'est juste dans votre tête ! Arrêtez-vous, ouvrez vos yeux !
- Laissez-moi tranquille ! Je veux vous tuer, je veux mourir.
La mort est sans fin de toute façon, comme mon sommeil, laissez-moi me reposer. Allez, poignard heureux ! Sauvez-moi ! Je me poignarderai et je trouverai le salut. Mon corps ondule, tombe. Comme si j'étais debout nu sous le ciel de ma chambre ! Surpris de ma légèreté, de me pencher et de regarder vers le bas dans l'abîme sombre de mon inconscient, le sang tournoie autour de mon corps avec amour. Personne ne peut posséder mon corps ni mon âme. Les soupirs étouffent ma gorge. Ce sont les cris de mon âme, de la liberté. Le sang jaillit de mes veines avec impétuosité. Ce fut un moment avant que je sentais mes derniers souffles.
Ici, je trouverai mon repos éternel, et je me débarrasserai du mal qui habite dans mon corps. Je ferme mes yeux, je suis libre. Je vais ouvrir mes voiles, je vais sauver mon âme ! Dors l'ogre en moi, meurs.
Mon corps contre le sol, je murmure en répétant doucement :
« Je brûle, puis je casse. Paix aux dormeurs, vie à l'audace. »