Elle sème. Personne ne sait depuis quand, mais elle sème. Depuis toujours, peut-être. Depuis ma naissance, au moins, puisque je l'ai toujours vu semer.
Ce qu'elle sème ? Je ne suis pas sûr. Des graines de céréales, de fleurs, des plants de légumes, des arbres fruitiers... Un peu tout ça, je crois.
Elle arrive au printemps, les sacs pleins de graines. Elle sème toute la journée. Des centaines de graines qui s'échappent de ses mains et des poches de son tablier, dans des sillons qu'elle creuse elle-même.
Elle sème, mais il n'y en a que peu qui germent. Je suppose qu'ici, l'air est trop sec, le vent trop aride, la terre trop stérile. Mais elle continue de semer, inlassablement. Et elle repart, vers d'autres contrées, quelques semaines plus tard.
De ses graines, poussent quelques plans, que nous arrosons lorsque nous le pouvons, et grâce auxquels nous survivons.
Je sais bien qu'Avant, ce n'était pas ainsi. Avant, l'herbe était foisonnante. Il y avait de la couleur, des bruissements de feuilles, des senteurs lointaines apportées par le vent.
Mais il s'agit d'un temps dont même les anciens peinent à se souvenir.
Alors, je suis allé lui demander. À la Semeuse.
« Dis moi, tu as connu le Avant ? Comment c'était ? »
Elle a suspendu son geste net, la main ouverte, et sa poignée de graines est tombée à ses pieds. Elle a souri, puis m'a dit « Viens, je vais te raconter ».
Et elle m'a raconté son histoire. Elle a grandi dans un pays où la terre était constamment recouverte de neige. Elle n'a pas vraiment connu le Avant, mais ses parents, si. C'était des savants. Leur travail consistait à recueillir des graines de tout horizon, et à les conserver, au froid, pour ne pas qu'elles se perdent.
Ses parents se sont retrouvés bloqués là-bas lorsque la situation a dégénéré, ailleurs sur le globe.
Alors ils ont vécu comme ça, parmi les autres savants, et la Semeuse est née, dans cet énorme réservoir, loin de tout.
Puis, quand l'électricité s'est tarie, quand il est apparu que les graines allaient se perdre, ses parents ont décidé de s'en servir.
« C'est exactement pour ça qu'on les a conservées tout ce temps », ont-ils dit.
Alors, tous les trois, la Semeuse encore enfant, ils ont pris la route. Ils ont emmené le plus de graines possible et sont partis voir ce que le monde était devenu.
« Voilà, conclut la Semeuse, c'est mon histoire »
« Quoi ? C'est fini ? Mais je ne comprends pas ! Qu'est ce que vous avez fait de toutes ces graines ? »
La Semeuse sourit de nouveau en me répondant.
« Nous les avons plantés, bien sûr. Partout où nous allions et où nous trouvions de la vie, nous avons plantés. Des fleurs, des légumes, des fruits, des arbres... tout pour faire revivre cette Terre qui se dessèche.
Maintenant que je suis seule, je continue. Je parcours les régions, je récolte des graines, pour les disséminer ailleurs, pour faire renaître la vie. L'important, vois-tu, c'est de semer toutes sortes de graines différentes, pour diversifier notre alimentation, et nos produits de soin. J'essaye également de retrouver d'anciennes espèces de plants, plus résistants, qui pousseront mieux. Voilà pourquoi je vais toujours plus loin, chercher toujours plus de graines.
Alors, bien sûr, tu as peut-être l'impression que tout cela ne sert à rien. Que sur cent graines, seulement quelques-unes poussent dans cette terre aride. Mais je continuerai jusqu'au bout. Parce que ces quelques unes qui réussissent à germer rendent nos vies, ta vie, un peu plus belle.
Moi, j'ai la vie entre mes mains, conclut-elle ».
Mes yeux brillent lorsqu'elle achève son récit. Si nos ancêtres avaient davantage semé, peut-être ne serait-elle pas condamnée à le faire aujourd'hui...
Mais qu'importe le passé. Je sais ce que je ferai lorsque je serai grand.
Semeur de vie.