La route de l'espoir.

- Ça a duré une bonne minute, une vraie minute, une éternité ! Tu nous as fait très peur. Tu sais très bien qu'ici il n'y a pas de cérémonie funèbre. C'est une dépouille, un trou et fin de l'événement.
 
- Ne t'inquiète pas, tout va bien ! Je manque juste d'énergie, donne-moi un peu d'eau que je puisse me réhydrater.
 
- Il faut que tu consultes un médecin, ajouta Sarah, les lèvres tremblantes et les yeux grandement ouverts. Elle se racla la gorge avant de dire d'un ton pauvre : Je ne veux pas risquer de perdre encore un ami.
 
Me fixant du regard, Carlane et Marlon avaient eux-aussi l'air très effrayé. Leurs cœurs avaient cessé de battre au même moment que le mien, lors d'une de mes passagères crises . Ce n'était pas la première fois, et ce ne sera sans doute pas la dernière. Tout le monde estimait que c'était de la folie que de continuer une telle aventure pleine de dangers, de rebondissements et d'endurance, la santé plutôt fragile. Selon le passeur, le mieux pour moi était de me désolidariser de ce projet, d'y renoncer et de rentrer sur ma terre natale. Seulement, J'avais déjà dépensé près de la moitié de l'argent volé à mes parents, je ne pouvais plus rentrer en arrière, je devais poursuivre les objectifs que je m'étais initialement fixé. C'était un dimanche soir, le vent soufflait très vivement et la nuit était noire. Le départ était prévu pour demain, le grand moment, l'instant de la transition, cette période déterminante de l'histoire de nos vies à tous. Traverser le désert sans fin du Ténéré, puis, la Méditerranée pour ensuite rejoindre l'autre côté. Cet endroit où toutes les affaires marchent, où tout le monde est beau. Là-bas, où tout le monde ne manque de rien, où même les chats prennent un déjeuner. Nous étions donc finalement réunis pour un seul et même but, faire fortune et rentrer nourrir nos familles. Libérer nos terres agricoles des envahisseurs. Bientôt, je serai un homme riche. Ma mère racontera sûrement allègrement que son fils est à l'étranger, chez les blancs. Elle est certes en colère, mais cela lui passera. Je ne pouvais pas me permettre de sonner le glas de cette mission pour de légères crises. Quitter le navire au moment où le bateau arrive dans les grandes eaux.
 
Le vent qui soufflait dangereusement ce soir frigorifiait mon corps et mon esprit. Nous étions près d'une vingtaine de personnes à dormir au sol, dans le salon, tandis que d'autres respiraient l'air chaud des chambres qui sentent mauvais la moisissure. Il fallait payer des suppléments pour avoir accès à l'unique douche de cet habitat. Ces conditions de vie était très précaire. Mais malgré tout, je ne pouvais pas abandonner avant d'avoir jamais vu la route jaune, la voie de l'espoir. L'espoir de réussir, de rendre ma famille fier, d'assurer un avenir à ma génération. Cet espoir qui me fait vivre et qui m'enivre, l'espoir de survivre.
 
On pouvait déjà entendre la voix des cigales qui chantent, le bruit des arbres qui frémissent, et moi j'étais toujours couché au sol, pensant à cette lueur, celle pour qui j'étais là, mon but fondamental. C'est pareille à une lumière, un souhait proféré par conviction. Je ne pouvais pas me permettre de tout laisser tomber car j'avais travaillé dur pour en arriver là.
 
- Écoute ce qu'on te dit , reprit Sarah d'un tempérament grincheux. Il vaudrait mieux pour toi que tu t'arrêtes ici, un cadavre de plus ne nous aidera pas. Tu étais couché comme mort sur ce sol, on a du procédé par l'alcool pour te réveiller, pour que ton cœur recommence à battre, fit-elle encore.
 
- Je ne peux pas, non! J'ai du sacrifié beaucoup pour en arriver là, j'ai accepté de quitter ma famille, ma ville, mon pays natal pour arriver jusqu'ici. Si je rentre maintenant sans-le-sou, comment me regardera-t-on? C'est la honte et le déshonneur que je ferai subir à mes parents, autant mourir dans le désert, dis-je en larmoyant, assis sur le sol recouvert d'un drap jaune bon marché. Quoique vous fassiez je ne changerai pas d'avis. J'irai jusqu'au bout et je vais réussir à tout prix et à tous les prix.
 
- J'espère que tu sais ce que tu fais Alex, dixit Carlane, indigné par mes propos, en se levant pour regagner la chambre.
 
Tout le monde retourna à ses occupations. Marlon, un jeune homme très intelligent, rusé avec un visage sournois allait rejoindre son oncle à l'étranger. Carlane quant-à-elle ne supportait plus l'extrême famine qui mine et décolore son pays. Sarah, de père chrétien et mère musulmane espérait réaliser ses rêves d'émancipation, de liberté, elle voulait aller à l'école et faire de grandes études. C'était surtout pour fuir le mariage déjà arrangé avec un certain Amadou, un homme très riche et vaniteux de son pays d'origine. C'est à ces trois là que je me suis lié d'amitié parmi tous les espérants, nous formions un groupe de rares bonnes gens et chacun de nous voulait se frayer un chemin, vivre une vie de rêve. Personne ne devait penser aux conséquences de peur d'entrer dans une profonde mélancolie à n'en point finir et ensuite dans une dépression qui conduira indubitablement au suicide. Il fallait toujours positiver, avoir espoir que tout finira bientôt, espoir que tout ira pour le mieux. L'espoir c'est peut-être tout ce qui nous reste lorsque toutes les forces sont contre nous, c'est lui qui est au fondement de notre hardiesse et de notre témérité, ce besoin de changer, de bouleverser, sinon d'améliorer notre situation malgré toutes les difficultés. L'espoir, c'est la base de tout affranchissement. C'est le commencement et la fin de la vie heureuse, de la réalisation de soi et de l'auto-accomplissement. C'est, pour ainsi dire, la seule clé qui puisse ouvrir la porte du succès.
 
- Alex, tu comptes rester longtemps à méditer comme ça sans rien dire ? Tu étais couché comme mort il y a de cela une minute et maintenant ton cerveau semble tarder à redémarrer, renchérissait Sarah. Une minute m'a semblé une éternité de peur, il faut le dire puisque nous ne sommes plus que tous les deux, poursuivit-elle d'une voix douce et protectrice. En une seule minute, tu peux fermer les yeux pour l'éternité.
 
- Sais-tu que les jours futurs nous pourrions nous faire arrêter sur la route, aux frontières ou alors tuer dans la Méditerranée et que nos corps pourraient ne pas être enterrés?
 
- Oui..., Je le sais très bien, tout le monde le sait pertinemment d'ailleurs.
 
- Alors qu'est-ce qui te donne le courage de continuer ? Pourquoi être venu jusqu'ici, pourquoi éloigner de toi la peur pour rester dans cette apparente sérénité ?
 
- On ne prend pas la route avec la crainte de perdre la vie, puisqu'en quittant nos terres nous avons ouvert les bras à la mort. En fait, ce qui nous fait vivre c'est l'espoir. L'espoir d'arriver jusqu'au bout, de traverser cette route que tant de frères ont traversé, et de réussir là où tant d'autres ont échoué. Je pense que c'est de là que je tiens mon courage et ma sérénité, la patience et l'espoir.
 
- Oui, c'est aussi pour cette raison que je veux continuer, chaque minute ici paraît comme une éternité. En une minute tout peut s'arrêter, soit mon cœur, soit ma vie. En une minute comme tu l'as si bien dit, nous pouvons fermer les yeux pour l'éternité. Mais cette route est jaune, symbole de l'espérance. C'est une route d'hommes de projet, je vais continuer car j'ai espoir de m'affranchir de mes souffrances, je vais continuer car c'est la route de l'espoir par laquelle je changerai mon destin pour l'éternité.
12