Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Le soleil se couchait à peine. Et les ténèbres embrassaient déjà la nature. J’étais seule assise sur un fauteuil dans mon salon. Je regardais par la porte ce spectacle. Laissant le noir me gagner peu à peu et la maison toute entière sombrait dans l’obscurité. Mais cela ne me dérangeait pas. Il y avait quelque chose d’apaisant dans le noir : tout se confondait. Le noir ne m’était pas étranger, il faisait partie de moi depuis que j’ai eu la connaissance du bien et du mal. Il a été bien plus présent dans ma vie, car la lumière m’avait toujours été éphémère. Cette nuit-là, il y avait une lune gibbeuse. Ses rayons me parvenaient au salon et éclairaient le bas de mon corps, ainsi que d’autres pièces de la maison. Sa lumière sublimait le paysage, lui donnant un reflet argenté sans pour autant transpercer ses mystères. Un faible bruit m’était parvenu de l’intérieure de la maison. J’ai dû laisser ma contemplation pour y prêter attention. Du salon, je pouvais voir d’abord la salle à manger puis la cuisine. Et là j’ai remarqué que quelqu’un se tenait derrière la cuisinière. La cuisine était bien plus proche du salon que d’habitude, c’était l’ancienne configuration de la maison. Je m’étais levée d’un bond et regardai autour de moi avec beaucoup plus d’attention. J’étais bien dans mon salon mais tout avait changé : la déco n’était plus la même. C’était la même maison mais dix ans en arrière, quand maman était encore en vie.
- Je t’ai préparé une bouillie, viens t’assoir sur la table, il faut la boire tant qu’elle est chaude.
C’était la voix de maman, que faisait-elle ici ? Elle était belle et bien morte il y a dix ans de cela et était enterrée dans le jardin à l’arrière de la maison. Je n’arrivais pas à bouger ni à émettre un son, j’étais heureuse de la revoir mais elle était morte, était-elle venue me chercher ?
- Viens manger, c’est prêt. Continua-t-elle
- Maman ?
- Oui c’est bien moi ma chérie, pourquoi restes-tu dans le noir ? Viens manger. Dis-moi, est-ce que ça va ? pourquoi restes-tu dans le noir ?
- Je vais bien dis-je en m’asseyant, la lune éclairait juste la table, je n’arrivais pas à voir son visage.
- Ne me dis pas que ça va, tu ne vas pas bien, tu t’es renfermée, pourquoi restes-tu dans le noir ?
- Depuis que t’es partie, le noir me parait plus vivant, plus réel.
- Ma fille tu te méprends, ce sont tes peurs qui te confortent dans le noir, tes peurs te...
La maison, s’était mise soudainement à trembler, le bol de bouillie se fracassa par terre, tout autour de nous tremblait.
- On n’a plus beaucoup de temps, ils se rapprochent, il faut que tu partes, ne les laisses surtout pas te rattraper, disait-elle en me poussant hors de la maison.
- Mais qui maman ?
- Va-t’en ! Et elle me poussa hors de la maison.
J’ai regardé avec effroi la maison s’effondrer devant moi et elle était à l’intérieure une fois de plus. J’ai crié son nom de toutes mes forces mais aucune réponse ne m’était parvenue. J’ai levé les yeux vers le ciel et d’épaisses ombres venaient dans ma direction, une petite voix me dit : « Cours ». Je me suis mise à courir pour échapper à ces ombres, il ne fallait pas qu’ils rattrapent, « cours » me disait mon instinct. Le paysage me semblait macabre, la route sinueuse et rocailleuse ne me favorisait pas la course. À bout de souffle, j’avais mal. Mon corps ne répondait plus. Je ralentissais. Non loin de moi, je voyais une clairière. Il me fallait trouver la lumière, prise d’espoir, j’ai redoublé d’effort, elle se trouvait à quelques mètres de moi. Ils ne me poursuivaient plus, je m’étais alors arrêtée pour reprendre mon souffle. Ils restaient à la limite de la clairière, il semblait qu’ils ne pouvaient pas entrée. Et quand j’ai regardé autour de moi, il n’y avait que des tombes. J’étais dans un cimetière !
- Je te souhaite la bienvenue chez moi, dit une voix gutturale.
Une forme impressionnante s’avançait vers moi, il me fallait fuir encore, mais je n’arrivais pas à faire un pas. Grâce à la lumière de la lune, j’ai pu mieux distinguer cette forme, c’était un homme squelettique mais avec une certaine élégance, il portait un costume trois pièces de couleur mauve très bien taillé, muni d’une canne, il portait aussi un long chapeau de la même couleur de son costume, il me semblait.
- Tu es ici chez toi.
- Suis-je morte ?
- Peut-être, as-tu peur de mourir ?
- Je n’ai encore rien fait de ma vie.
- Tout le monde dit ça quand vient l’heure de la mort. Ils ont besoin de plus de temps, mais qu’ont-ils fait de tous les vingt-quatre heures qu’ils ont passé à vivre ? Qu’as-tu fait de tes dernières vingt-quatre heures ?
- Moi, je peux te le dire ce que t’as fait : rien, absolument rien ; et maintenant tu te pleins de manquer de temps.
- Qui êtes-vous ?
- Je suis ton hôte.
- Qui étaient ces ombres qui me courraient après ? Et pourquoi n’arrivent-ils pas à entrer dans le cimetière ?
Il regardait au loin, je me suis mise à regarder dans la même direction que lui, de haut le paysage était fantasmagorique, j’étais éblouie par tant de beauté, je ne ressentais pas le froid, ni la douleur, c’était magnifique mais funeste. Les yeux de mon hôte étaient rouges et brillants. De lui s’émanait un certain charisme, il remuait la bouche, il s’était enfin décidé à me répondre
- Ce sont tes peurs. Ta peur de l’échec, du rejet, de la trahison, de l’avenir, de perdre des gens que tu aimes. Ils essayaient de t’atteindre, de te submerger, c’est ce que fait la peur aux gens. Mais une fois en ce lieu, ils ne peuvent plus t’atteindre. Qu’est-ce que la peur pourrait-elle bien faire à des morts ?
- Je me sens étrangement bien dans ma peau, je n’ai plus mal...
- C’est ce qui arrive lorsqu’on est mort, on est libre.
- Mais vous m’avez dit que je ne suis pas morte.
- J’ai dit peut-être pas.
- Qui êtes-vous ? Un genre de roi de la nuit ?
- Ne vois-tu vraiment pas ? Dit-il en d’un air menaçant. Je suis Baron Samedi, le maitre de l’Au-delà.
En prenant un ton plus doux, il me dit en me caressant le visage :
- Tu sais, tu pourrais rester ici, tu n’aurais plus de besoin de fuir tes peurs. Tu n’aurais même plus mal, après tout la vie n’est que du noir et la lumière n’est qu’une illusion. Les humains se battent tous pour ce bout de lumière, mais à chaque fois qu’ils ont réussi à l’effleurer, ils font face à de nouveaux défis qui les arrachent de leurs mains. Si tu acceptes de vivre à mes côtés dans ce monde, tu seras libre et libérée.
Je le regardais dans les yeux, j’avais envie d’y croire. Souvent j’ai pensé à mettre fin à tout ça. J’étais fatiguée de me battre pour ce bout de lumière. Et à chaque fois je m’enfonce un peu plus dans le noir.
- Non, tu l’auras un jour, dit une voix que je reconnaitrais entre mille.
- Maman ?
- Toi, dit-il en riant, tu m’empêcherais ?
- J’accepte ta proposition Baron !
- C’est peut-être trop tard, ne le penses-tu pas ? Ta fille est beaucoup plus attirante que toi.
- Tu n’as pas le droit de la retenir. Laisse la partir d’ici et je serai l’une de tes maitresses.
- Jusqu’ici tu m’as toujours résisté ; il faut dire que ça m’excite encore plus. Tout compte fait, elle sera à moi, un jour elle viendra me rejoindre.
- Que fais-tu maman ? Ne te sacrifie pas, pas encore.
- C’est ce que fait une mère, me dit-elle en souriant, maintenant va-t’en. Et ne te retournes pas.
- Mais, mes peurs ils m’attendent et...
- Ne t’inquiète pas, tu as de quoi les vaincre. C’est vrai qu’ils seront toujours présents, mais tu as en toi la force pour les surmonter. Vis ta vie ma fille. Fais-moi plaisir : ferme tes yeux !
Je l’ai regardé une dernière fois, puis j’ai fermé les yeux. J’ai l’impression de tomber d’une douce chute. Je sentais encore son regard sur moi et je ai crié : « Je t’aime Maman ». Quand j’ouvris les yeux, j’étais toujours dans le noir. Mais par ma fenêtre, je pouvais voir les rayons de la lune éclairés mes jambes. J’étais donc dans mon lit et une voix me fit parvenir ces mots : « Vis, vis, je veille sur toi » telle une supplique...
- Je t’ai préparé une bouillie, viens t’assoir sur la table, il faut la boire tant qu’elle est chaude.
C’était la voix de maman, que faisait-elle ici ? Elle était belle et bien morte il y a dix ans de cela et était enterrée dans le jardin à l’arrière de la maison. Je n’arrivais pas à bouger ni à émettre un son, j’étais heureuse de la revoir mais elle était morte, était-elle venue me chercher ?
- Viens manger, c’est prêt. Continua-t-elle
- Maman ?
- Oui c’est bien moi ma chérie, pourquoi restes-tu dans le noir ? Viens manger. Dis-moi, est-ce que ça va ? pourquoi restes-tu dans le noir ?
- Je vais bien dis-je en m’asseyant, la lune éclairait juste la table, je n’arrivais pas à voir son visage.
- Ne me dis pas que ça va, tu ne vas pas bien, tu t’es renfermée, pourquoi restes-tu dans le noir ?
- Depuis que t’es partie, le noir me parait plus vivant, plus réel.
- Ma fille tu te méprends, ce sont tes peurs qui te confortent dans le noir, tes peurs te...
La maison, s’était mise soudainement à trembler, le bol de bouillie se fracassa par terre, tout autour de nous tremblait.
- On n’a plus beaucoup de temps, ils se rapprochent, il faut que tu partes, ne les laisses surtout pas te rattraper, disait-elle en me poussant hors de la maison.
- Mais qui maman ?
- Va-t’en ! Et elle me poussa hors de la maison.
J’ai regardé avec effroi la maison s’effondrer devant moi et elle était à l’intérieure une fois de plus. J’ai crié son nom de toutes mes forces mais aucune réponse ne m’était parvenue. J’ai levé les yeux vers le ciel et d’épaisses ombres venaient dans ma direction, une petite voix me dit : « Cours ». Je me suis mise à courir pour échapper à ces ombres, il ne fallait pas qu’ils rattrapent, « cours » me disait mon instinct. Le paysage me semblait macabre, la route sinueuse et rocailleuse ne me favorisait pas la course. À bout de souffle, j’avais mal. Mon corps ne répondait plus. Je ralentissais. Non loin de moi, je voyais une clairière. Il me fallait trouver la lumière, prise d’espoir, j’ai redoublé d’effort, elle se trouvait à quelques mètres de moi. Ils ne me poursuivaient plus, je m’étais alors arrêtée pour reprendre mon souffle. Ils restaient à la limite de la clairière, il semblait qu’ils ne pouvaient pas entrée. Et quand j’ai regardé autour de moi, il n’y avait que des tombes. J’étais dans un cimetière !
- Je te souhaite la bienvenue chez moi, dit une voix gutturale.
Une forme impressionnante s’avançait vers moi, il me fallait fuir encore, mais je n’arrivais pas à faire un pas. Grâce à la lumière de la lune, j’ai pu mieux distinguer cette forme, c’était un homme squelettique mais avec une certaine élégance, il portait un costume trois pièces de couleur mauve très bien taillé, muni d’une canne, il portait aussi un long chapeau de la même couleur de son costume, il me semblait.
- Tu es ici chez toi.
- Suis-je morte ?
- Peut-être, as-tu peur de mourir ?
- Je n’ai encore rien fait de ma vie.
- Tout le monde dit ça quand vient l’heure de la mort. Ils ont besoin de plus de temps, mais qu’ont-ils fait de tous les vingt-quatre heures qu’ils ont passé à vivre ? Qu’as-tu fait de tes dernières vingt-quatre heures ?
- Moi, je peux te le dire ce que t’as fait : rien, absolument rien ; et maintenant tu te pleins de manquer de temps.
- Qui êtes-vous ?
- Je suis ton hôte.
- Qui étaient ces ombres qui me courraient après ? Et pourquoi n’arrivent-ils pas à entrer dans le cimetière ?
Il regardait au loin, je me suis mise à regarder dans la même direction que lui, de haut le paysage était fantasmagorique, j’étais éblouie par tant de beauté, je ne ressentais pas le froid, ni la douleur, c’était magnifique mais funeste. Les yeux de mon hôte étaient rouges et brillants. De lui s’émanait un certain charisme, il remuait la bouche, il s’était enfin décidé à me répondre
- Ce sont tes peurs. Ta peur de l’échec, du rejet, de la trahison, de l’avenir, de perdre des gens que tu aimes. Ils essayaient de t’atteindre, de te submerger, c’est ce que fait la peur aux gens. Mais une fois en ce lieu, ils ne peuvent plus t’atteindre. Qu’est-ce que la peur pourrait-elle bien faire à des morts ?
- Je me sens étrangement bien dans ma peau, je n’ai plus mal...
- C’est ce qui arrive lorsqu’on est mort, on est libre.
- Mais vous m’avez dit que je ne suis pas morte.
- J’ai dit peut-être pas.
- Qui êtes-vous ? Un genre de roi de la nuit ?
- Ne vois-tu vraiment pas ? Dit-il en d’un air menaçant. Je suis Baron Samedi, le maitre de l’Au-delà.
En prenant un ton plus doux, il me dit en me caressant le visage :
- Tu sais, tu pourrais rester ici, tu n’aurais plus de besoin de fuir tes peurs. Tu n’aurais même plus mal, après tout la vie n’est que du noir et la lumière n’est qu’une illusion. Les humains se battent tous pour ce bout de lumière, mais à chaque fois qu’ils ont réussi à l’effleurer, ils font face à de nouveaux défis qui les arrachent de leurs mains. Si tu acceptes de vivre à mes côtés dans ce monde, tu seras libre et libérée.
Je le regardais dans les yeux, j’avais envie d’y croire. Souvent j’ai pensé à mettre fin à tout ça. J’étais fatiguée de me battre pour ce bout de lumière. Et à chaque fois je m’enfonce un peu plus dans le noir.
- Non, tu l’auras un jour, dit une voix que je reconnaitrais entre mille.
- Maman ?
- Toi, dit-il en riant, tu m’empêcherais ?
- J’accepte ta proposition Baron !
- C’est peut-être trop tard, ne le penses-tu pas ? Ta fille est beaucoup plus attirante que toi.
- Tu n’as pas le droit de la retenir. Laisse la partir d’ici et je serai l’une de tes maitresses.
- Jusqu’ici tu m’as toujours résisté ; il faut dire que ça m’excite encore plus. Tout compte fait, elle sera à moi, un jour elle viendra me rejoindre.
- Que fais-tu maman ? Ne te sacrifie pas, pas encore.
- C’est ce que fait une mère, me dit-elle en souriant, maintenant va-t’en. Et ne te retournes pas.
- Mais, mes peurs ils m’attendent et...
- Ne t’inquiète pas, tu as de quoi les vaincre. C’est vrai qu’ils seront toujours présents, mais tu as en toi la force pour les surmonter. Vis ta vie ma fille. Fais-moi plaisir : ferme tes yeux !
Je l’ai regardé une dernière fois, puis j’ai fermé les yeux. J’ai l’impression de tomber d’une douce chute. Je sentais encore son regard sur moi et je ai crié : « Je t’aime Maman ». Quand j’ouvris les yeux, j’étais toujours dans le noir. Mais par ma fenêtre, je pouvais voir les rayons de la lune éclairés mes jambes. J’étais donc dans mon lit et une voix me fit parvenir ces mots : « Vis, vis, je veille sur toi » telle une supplique...